de Satajit Ray (Inde 1955)
avec Subir Bannerjee (Apu Roy), Kanu Bannerjee (Harihar "Hori" Roy), Karuna Bannerjee (Sarbajaya Roy), Uma Das Gupta (Durga), Chunibala Devi (Indir Thakrun), Runki Banerjee (La petite Durga), Tulsi Chakraborty (Prasanna, l'instituteur), Binoy Mukherjee (Baidyanath Majumdar).
musique Ravi Shankar
chef opérateur Subrata Mitra
Festival de Cannes 1956: prix du "document humain"
La vie d'une famille indienne pauvre, dans un village du Bengale, au début du vingtième siècle. Le père occupe la fonction de brahmane (prêtre) alors que Durga et sa mère travaillent au champ. Naît un second enfant, Apu, un petit garçon. Durga, commet de petits larcins pour améliorer le quotidien. Apu grandit et le père décide de partir travailler à la ville en espérant gagner plus d'argent. C'est désormais la mère, seule, qui doit faire vivre la famille.
Un coin perdu comme oublié, une maison ancestrale délabrée, une cour intérieure lieu de toutes les activités et des palabres ; c’est là que vit une famille dont le père (brahmane) est souvent absent. Famille que le cinéaste (dont c’est le premier long métrage) filme au plus près (à la manière du néo réalisme italien et dans la mouvance de Renoir). Il fait se succéder des scènes comme autant de tableaux d‘un théâtre de la vie dont le tempo est scandé par les allers retours du père et dont le passage d’une scène à l’autre ou d’un acte à l’autre se fond dans l’écran noir. Et pour les 2/3 il adopte le point de vue de l’enfant Apu. Enfant dont la sœur (émancipée de certaines contraintes) servira de « modèle » dans un monde miséreux misérable mais traité sans « misérabilisme » ; voyez ces gestes dont le prosaïsme est magnifié, (brossage de cheveux ) gestes de survie (l’eau les préparations culinaires les repas) sinon sacralisés du moins ritualisés dans une belle liturgie
La présence de la vieille Indir aussi décharnée que l’intrigue est minimaliste, pliée en deux, et dont le visage, édenté, parcheminé s’impose en gros plan à l’écran, illustre le problème de l’entraide des humains dans la précarité, ainsi que la survivance des croyances animistes ancestrales. Plus d’une fois la mère la chasse du logis (car les larcins répétés de sa fille Durga -dont celui de fruits destinés à l’aïeule provoquent des réactions indignées et ulcèrent une mère soucieuse de sauvegarder son amour-propre, son honneur). Cette « tata » sait capter l’attention des enfants en leur racontant des histoires de même qu’en sentant sa mort prochaine elle psalmodie une complainte en s’adressant directement au passeur "Le crépuscule de ma vie est venu. Je vous attends, ô passeur qui devez me conduire sur l'autre rive. Vous êtes bon et n'abandonnerez pas le pauvre parmi les pauvres..."
Le cinéaste fait alterner vastes étendues extérieures, plaine forêt (que le frère et la sœur, pieds nus, parcourent en courant ) paysages personnages à part entière et séquences à l’intérieur de la maison ancestrale.
Un quotidien dont l'immuable recommencement sera provisoirement brisé par les préparatifs de mariage d’une jeune voisine et par le festival de théâtre t. Bien plus, alertés par un sifflement jusque-là inconnu, les deux enfants assistent au passage d’un train…Un train et ses connotations de fuite , d'évasion !!
Et la musique discrète ou expressive, mais si envoûtante de Ravi Shankar (il joue autant du sitar que de la flûte de bambou) !
Autant de raisons pour ne pas rater ce film, premier volet de la trilogie d'Apu
Colette Lallement-Duchoze
PS En 1956 Truffaut aurait dit « je ne veux pas voir un film avec des paysans qui mangent avec leurs mains"....