de Ryūsuke Hamaguchi (Japon 2021)
avec Kotone Furukawa, Hyunri, Katsuki Mori, Kiyohiko Shibukawa, Fusako Urabe, Aoba Kawai.
- Berlinale 2021 : Grand prix du jury
- Festival des trois continents 2021 : Montgolfière d'or et prix du public
Un triangle amoureux inattendu, une tentative de séduction qui tourne mal et une rencontre née d'un malentendu. La trajectoire de trois femmes qui vont devoir faire un choix…
Voici comme le signale le titre des variations (au nombre de 3 Magie, La porte ouverte, Encore une fois) sur la question du hasard et de la coïncidence au sein d’intrigues amoureuses
Si la seconde (la porte ouverte) joue avec des ruptures temporelles annoncées par des encarts, la première et la troisième semblent imposer une unité de temps. Mais les trois en reliant le présent à un passé plus ou moins proche (deux ans en I, six ans auparavant et 5 ans plus tard en II, et 20 ans en III) mettent en évidence l’indéniable efficience du passé sur les choix que l’on va opérer au présent ; cette force implacable du temps ne renvoie-t-elle pas précisément à Rohmer ?
Un autre héritage du cinéaste français est bien évidemment l’importance du texte ! En I la longue séquence à l’intérieur d’un taxi où Tsugumi confie à Meiko les bouleversements dus à une rencontre amoureuse -ignorant que la mutine Meiko est précisément…(ne pas spoiler)- va être le « déclencheur » d’un revirement inattendu (illustré concrètement par la brusque demande de Meiko au chauffeur de faire demi-tour ; de même en III la descente d’escalator sera suivie d’une remontée rapide, répétée deux fois; et les vues aériennes sur les boucles et échangeurs signes d’un trafic intense peuvent illustrer par métaphore trajectoires, revirements).
Dans les trois contes le texte sera « révélateur » d’une « coïncidence » troublante (et en ce sens le film semble professer une conception de l’existence et partant une philosophie de la vie qui peuvent intriguer. Montrer la coïncidence, c’est une façon d’affirmer que la rareté est l’essence même du monde, plus que la réalité elle-même. affirme le cinéaste )
Le texte -informatif- n’est pas seulement un déclencheur il peut jouer le rôle de métalangage : en II la longue séquence où Nao -alors qu’elle est animée par un souci de vengeance- lit face à Segawa son ex professeur de littérature un extrait érotique de son roman (Segawa est désormais un romancier reconnu) fait se chevaucher trois niveaux de langage (dont celui de la puissance de la littérature par rapport au réel et plus tard celui de la psychanalyse); au final le « hasard » aura raison de « tous les fils narratifs » tissés jusque-là et il suffira d’un acte manqué pour tout bouleverser, changer définitivement le cours de deux vies…
Le réalisateur donne à la femme un pouvoir à la fois démiurgique -elle semble être la seule à maîtriser les « enjeux » - et démoniaque – ses duplicités assumées- (à signaler toutefois que ces dernières sont largement contrebalancées par une étonnante « sincérité » qui s’exerce au sein même de la « manipulation »). En III c’est le face à face troublant entre celle que l’on croit reconnaître, celle qui jouera le rôle, et il libérera -à la faveur de « quiproquos »- des secrets enfouis…
Surtout ne pas comparer Contes du hasard et autres fantaisies à Drive My Car" ce qui ne plaiderait pas en sa faveur. Très dialogué très littéraire à la photo (presque toujours) laiteuse aux plans séquences très longs, un exercice d’artificialité ? Peut-être !
Mais ce sont trois contes, traités comme trois sketches (dans la veine des « contes moraux » ?) réalisés avant le fulgurant « drive my car ». Trois contes où les personnages (essentiellement féminins) vont « retrouver » par le langage « une vibration perdue ».
Le film ne peut que séduire !
Colette Lallement-Duchoze