Documentaire de Andreas Horvath 48 min 2002 (Autriche )
Mention spéciale du jury du public festival Nyon Visages du réel en 2002
2001 : la suppression systématique de plusieurs millions d'animaux d'élevage dans le nord de l'Angleterre ordonnée par le gouvernement Blair dans le but de combattre l'épidémie de fièvre aphteuse en cours, transforme les paisibles pâturages du Yorkshire du Nord en terreau fertile pour les soupçons et les accusations.
Images de verts pâturages, ciels tourmentés (à la Turner) ou immensément bleus ourlés d’un blanc cotonneux, respect de la règle d’or dans la composition, surimpression paysage réel et toile de Constable, oui the silence of green est bien l’oeuvre d’un photographe!
Mais quand Andreas Horvath donne la parole à des fermiers (qu’on ne verra pas) très suspicieux quant à la "gestion" d’une épidémie (elle-même remise en question), quand il fait coexister la cruauté du réel (abattage d’animaux) et le religieux (cf la récurrence de plans sur l’église et surtout le leitmotiv d’une trame sonore qui fait la part belle aux chants, aux prières) le documentaire est éminemment politique !
À rappeler (comme il est dit dans le générique d’ouverture) que la fièvre aphteuse (foot and mouth disease) fait les gros titres ; en mai, tout semble sous contrôle, mais bizarrement, le Ministère de l’Agriculture décide de faire abattre des troupeaux dans le Nord du Yorkshire, région où aucun cas n’a été signalé. Cette fois-ci, les médias sont tenus à l'écart. Pas question que des images de bûchers fassent à nouveau le tour du monde. Quelques semaines plus tard, on apprendra (cf générique de fin) que seulement 25% des cheptels étaient atteints, les autres ayant été éliminés par mesure de précaution.
Ce carnage était-il vraiment nécessaire ?
La réponse des personnes interrogées est "non"; elles incriminent non seulement Tony Blair mais l’Union européenne. Un fermier affirme péremptoire que dans les pays européens (Irlande Allemagne France ) tout a été « étouffé dans l’oeuf ». Un autre évoque la perte douloureuse de son cheptel sa ferme ayant été "désignée par erreur" une erreur de ...logiciel. Une femme accuse l’Union européenne de vouloir "décimer" une partie du monde agricole Tous savent que pour "bénéficier" d’une "compensation", ils ne doivent pas alerter les médias...n’empêche !!
Pour rendre compte de tout cela Andreas Hovarth va convoquer simultanément ou successivement des modalités et codages de filmage du réel, et ceux plus proches de la fiction (mais on sait que la frontière entre fiction et documentaire est souvent poreuse, que les « genres » ne sont pas forcément antinomiques, qu’il s’agit avant tout de deux façons d’interroger le monde, le regard primant sur le genre…). Le "document" porte sur un événement (la fièvre aphteuse qui a sévi en 2001) un fait social (fermiers britanniques sceptiques emportés, impuissants, dans la tourmente d’une gestion "calamiteuse") mais il est filmé à distance (recours au téléobjectif) ; le regard scrute le paysage (à la beauté ...faussement innocente) l’environnement (avec et sans les animaux : une étable vide une prairie comme inviolée le silence est éloquent) il s’arrête sur des détails (des points qui soudain prennent forme ….prémices...d’un massacre, en présence d’équarrisseurs ?)
Et en inscrivant le "réel" dans un contexte « religieux » le réalisateur le chorégraphie en une danse liturgique de la mort, où le silence a les accents d’un requiem !
A voir absolument!
Colette Lallement-Duchoze
PS le réalisateur était venu en décembre 2019 à l’Omnia présenter son premier long métrage Lilian