De Sébastien Bailly
avec Hafzia Herzi, Lise Bellynck, Anne Steffens Friedelise Shutte Marie Rivière
Argument: Hafsia, Douce, Delphine et Charlotte : quatre jeunes femmes qui cherchent à s’affranchir des limites qu’on voudrait leur imposer; à travers trois histoires distinctes formant un triptyque sur le désir féminin
Ce premier long métrage de Sébastien Bailly regroupe 3 de ses courts métrages (Douce 2011 Là où je mets ma pudeur, 2013 Une histoire de France 2015). Dès le prologue quelques plans rapides sur chacune des femmes mettent en évidence la cohésion (et cohérence) de portraits croisés impulsés par une thématique commune (rapport à son propre corps, volonté de faire voler en éclats certains tabous) et dans laquelle le cinéaste évitera le piège du "male gaze". Exemple le plus probant? Hafsia (Où je mets ma pudeur ) commente pour son examen le tableau d’Ingres (la grande odalisque) ; du corps exhibé dans sa nonchalante et lascive nudité (regard masculin sur la séduction) elle dénonce les imperfections dans le traitement pictural, les indécences de la posture et son commentaire sur la chevelure retenue par un ruban, sur la notion de « pudeur » renvoie par une forme de mimétisme -inversé- à son statut particulier (elle qui en toute occasion, portait le hijab, a dû s’en débarrasser pour l’examen…) laissant pantois les membres du jury.
Un film sur le regard donc. Celui des « autres » sur soi (regardeurs hostiles à la regardée dans Douce ; cette infirmière qui caresse le corps d’un patient dans le coma et se masturbe jusqu’à l’orgasme) Celui de soi sur soi (que renforcent des effets spéculaires Où je mets ma pudeur) celui de l’appareil photo (une histoire de France) qui capte le vivant le vécu ou le passé. Les hommes font office de figurants ou incarnent tous les obstacles qui entravent le parcours de ces femmes….femmes qui vont assumer jusqu’au bout leur « hors normes »
Le troisième volet semble le plus « scolaire » (et le titre pris au sens littéral le confirmerait aisément) il est aussi le plus « didactique » Tulle ville de deux présidents français -d’ailleurs on attend la visite de Hollande- ; Tulle ville natale de Rohmer, (clin d’oeil de Sébastien Bailly au cinéaste disparu dans le traitement à la fois intime et distancié des personnages ? Mais sans le "marivaudage"). Tulle et l’épisode tragique des pendus. La ville corrézienne devient par la rencontre autant épiphanique que sensuelle - et sexuelle- entre Delphine et Charlotte, une variante du fameux rapprochement franco-allemand….
A ceux qui reprochent un "manque de psychologie" (entendez Sébastien Bailly n’a pas approfondi les enjeux ou motivations de Douce ou Hafsia) il est facile de rétorquer que l’enjeu cinématographique est de faire transparaître par un geste, un regard, un silence, le conflit intérieur de ces deux femmes. A cela s’ajoute la musique (composée par Laurent Levesque): celle du générique de fin surtout où les choeurs, épousant le rythme intérieur de ces quatre femmes, révèlent leur âme
Au grief concernant la tendance à "réciter" (Hafsia face au tableau d’Ingres, Delphine évoquant pour Charlotte, la photographe allemande, les atouts de la ville de Tulle ou le massacre des pendus) on peut répondre que le réalisateur fait sien un principe cher à Rohmer, celui de la distanciation
Délicatesse et suavité, alors que les conflits intérieurs peuvent être explosifs; élégance et simplicité alors que les thèmes abordés frappent par leur gravité ; une attention particulière accordée aux cadrages aux lumières qui transforment une scène en tableau….tout cela fait de « féminin plurielles » un film esthétisant parfois, certes, mais convaincant toujours !
Et dans le contexte actuel il a une résonance toute particulière!
Colette Lallement-Duchoze