Film d'Alain Guiraudie.
Avec Pierre Deladonchamps (Frank), Patrick d'Assumçao (Henri) Christophe Paou (Michel)
Voici des hommes, nus, au bord d'un lac; ils exhibent leurs regards et leurs corps, s'adonnent aux plaisirs de la chair dans les bosquets attenants.
Une liturgie identique se répète chaque après-midi; vue en plongée, caméra fixe, sur le mini espace qui sert de parking; bruit moteur, arrivée de la R25 qui se gare (presque toujours à la même place); la caméra fixe capte l'arrivée de face de Franck dans la sente qui conduit à la grève; puis le personnage est filmé de dos (caméra fixe toujours) avant qu'il ne s'installe se déshabille ou se dirige vers la droite saluer un personnage solitaire, Henri le seul ventripotent ...Rituel de la drague aussi: un regard une parole et deux corps s'arrachent à la grève pour s'étreindre dans une frénésie sexuelle (les rares scènes de fellation ou de pénétration sont bien évidemment doublées).
Mais il y a l'immensité de l'eau! Ces hommes pour la plupart bons nageurs, s'immergent dans un bain lustral ou tout simplement hédonistes jouissent de cette osmose avec l'élément liquide. (comme le montrent d'ailleurs de très beaux plans sur le corps le visage de Frank quand il crawle). Ce lac est aussi le repaire du Mal; dès le début on apprend qu'un silure immense y aurait élu domicile; mort et croyances légendaires.!.. Eau et obscurité seront les complices du meurtre commis par Michel; mort et profondeurs abyssales!. Quand l'eau ne frémit plus mais se "déchaîne", que le vent ne susurre plus mais violente feuilles et arbres (à noter que dans ce film les bruits de la nature certes parfois amplifiés sont la seule musique) la conscience de Frank est elle aussi ébranlée (mais les conseils du sage Henri seront frappés d'inanité) Eros et Thanatos!
Ainsi dans un espace à la fois clos et ouvert -lac, rives, bosquets - la lumière édenique des premiers jours s'est muée à partir du sixième en obscurité crépusculaire; Frank dans la pénombre d'un soir qui tombe, assiste au meurtre; et son silence "résonne" comme un aveu: il crie sa passion pour le meurtrier..
."L'inconnu du lac" a reçu à Cannes le prix de la mise en scène dans la section "Un certain regard" . Un prix bien justifié: cadrages, lumières, scènes apparemment répétitives (hormis un détail, un angle de vue), la grève comme espace "théâtral" avec ses entrées et sorties, avec ses dieux apolliniens et dionysiaques, avec ses dialogues à la fois anodins et empreints de philosophie.
Quant au contenu, le réalisateur a visé l'universel : "Il y a beaucoup de films hétéros qui sont devenus des métaphores homos, eh bien disons que là, j'avais envie de faire l'inverse, qu'un film au contenu au départ teinté par l'homosexualité devienne une métaphore de la société, du désir, de l'humain en général"
Colette Lallement-Duchoze