Film documentaire réalisé par Christine Angot (2023)
L’écrivaine Christine Angot est invitée pour des raisons professionnelles à Strasbourg, où son père a vécu jusqu’à sa mort en 1999. C’est la ville où elle l’a rencontré pour la première fois à treize ans, et où il a commencé à la violer. Sa femme et ses enfants y vivent toujours. Angot prend une caméra, et frappe aux portes de la famille
Papa !
C’est un des premiers mots de ce documentaire, bouleversant. C’est le cri de joie de Léonore fille de Christine Angot et de Claude ; un bout de chou filmé en 1993, portant une baguette de pain …
Papa ! un mot que jamais n’aura pu prononcer la mère…
Léonore gamine ouvre le film, Léonore adulte habite la dernière séquence
Le film qui mêle ainsi présent (les interviews) et passé (extraits de vidéos commentés en voix off souvent) obéit en outre au « concept » du « double », tant sont évidentes les mises en parallèle : Christine, devenue mère, et sa propre mère, sa mère et sa belle-mère, ses deux compagnons Claude et Charly, Léonore sa fille et images de Christine adolescente, ses deux cheffes opératrices, tout comme Une famille est le "prolongement" de Un voyage dans l’est
Les extraits de films (famille insouciante et heureuse) jouent le rôle de pauses, de virgules certes mais surtout par leur confrontation avec les « interviews » révèlent en creux une réalité dont on ne peut sortir que dévasté voire massacré à vie.
Abandonnée par le père qui ne la reconnaît pas… …Christine sera régulièrement violée…à partir de ses 13 ans
Inceste révélé dans le livre éponyme L'Inceste (1999) ; inceste défini dans "une semaine de vacances." En passant du mot à l’image Une famille doit « montrer quelque chose qu’on ne voit jamais » « Comment vous pouvez faire voir quelque chose qui est invisible si vous passez uniquement par les preuves ? Ça, c'est juste pour la crédibilité, les preuves, etc. Là, ça permet de voir comment ça se passe (ainsi s'exprimait Christine Angot lors de son passage à Rouen pour présenter son film jeudi 7 mars) et cela se fera en entrant dans les pièces fermées sur les incestes. A l'instar de la romancière/réalisatrice qui "force", en compagnie de ses deux collaboratrices, la porte de l’appartement de sa belle-mère à Strasbourg veuve depuis 1999 ).
Car il s’agit bien de confronter les personnes de son entourage (belle-mère, mère, ex-mari, fille). à leur façon d'avoir appréhendé les traumatismes qui l'ont marquée dans son être tout entier, quand sa parole a été bafouée, dénigrée, frappée de suspicion. Certaines confrontations sont agressives, tant est patente la ténacité de Christine Angot, tant peut sembler terrifiante sa radicalité. Mais où est la violence ? dans ce pied qui entrave, pour forcer une porte, ou dans le silence des autres? silence qu’on lui a imposé durant des décennies ?
Une déchirure et une sensibilité à fleur de peau (répondant à une question sur la séquence télévisée -dont le documentaire propose des extraits-, et où avec dignité elle avait quitté le plateau de Thierry Ardisson et les quolibets de Laurent Baffie, elle avoue sans fard « s’être effondrée dans la loge » )
Une voix qui touche aux larmes
A voir!
Colette Lallement-Duchoze