d'Aki Kaurismaki (Finlande 2023)
avec Alma Pöysti ( Ansa) Jussi Vatanen ( Holappa)
Prix du jury Festival de Cannes 2023
Grand prix de la FIPRESCI (fédération internationale de la presse cinématographique )
Ansa, une femme célibataire, vit et travaille dans un supermarché à Helsinki. Une nuit, elle rencontre Holappa, un travailleur tout aussi solitaire et alcoolique. Malgré l'adversité et les malentendus, ils tentent de construire une relation.
Ceux qui ont découvert Kaurismaki à Rouen grâce au festival du cinéma nordique vont retrouver dans ce film les thèmes si chers à l’auteur d’Ariel ou de La fille aux allumettes : son empathie pour les gens simples, la solidarité dont font preuve les cabossés de la vie ; la présence d’un chien ; la sordidité des lieux de travail (usines cabanes de chantier, coulisses de supermarchés). Ils retrouveront aussi cette façon de filmer si singulière : couleurs froides en grands aplats, personnages placides et renfrognés, filmés en plans américains ou en frontal, avant que le cadre ne s’élargisse ; ellipses ; caméra souvent fixe ; dialogues minimalistes ; importance de la musique (ici chansons nostalgiques que l’on écoute quasi religieusement dans un bar (miteux) lors des soirées karaoké)
Or le contexte a ceci de tragique que l’invasion de l’Ukraine par la Russie est le lot quotidien des émissions radiodiffusées. Et quand bien même cette douloureuse contemporanéité se double de la présence d’un calendrier 2024, que les personnages utilisent des téléphones portables (déjà désuets…) il faut reconnaître que leurs vêtements, leur mode de vie (plutôt survie) nous transportent dans un monde suranné (il en va de même pour les décors comme figés dans les années 60). Une désuétude assumée, largement compensée par la vitalité du cinéma auquel le cinéaste rend un vibrant hommage (Visconti, Jarmusch entre autres) avec parfois cet humour « on dirait du Bresson ou du Godard à propos du film de zombies The Dead Don't Die de Jim Jarmusch.
Et ce n’est pas pur hasard si « l’union » entre Ansa et Holappa se « concrétise » autour d’un film (de ce film en particulier) dans un cinéma de quartier ; lieu de la rencontre, lieu de l’attente. Le cinéma ou l’art de transcender le prosaïque, la réalité la plus glauque ??
Voici une succession de mini séquences comme autant de tableautins où Ansa et -en montage alterné- Holappa, sont filmés dans leur quotidien, victimes d’une pression sociale cruelle (arbitraire et violence managériale). Mais Holappa est en outre un alcoolique notoire (il ingère sa dose quelle que soit l’heure, quel que soit le lieu) et les mises en garde d’Ansa -qui a vu mourir son père et son frère victimes de ce fléau puis sa mère par désespoir - seront dans un premier temps frappées d’inanité …avant…. un sursaut…
Humanisme « chaplinesque » ? (facétieux, Kaurismaki l’accentue en prénommant le chien abandonné Chaplin et en recourant à un final où le trio quittant l’écran sur un tapis de feuilles mortes, peut rappeler Chaplin, vu de dos, quittant le cadre dans un médaillon, en surimpression)
Un grand moment de cinéma !
Colette Lallement-Duchoze