15 juin 2023 4 15 /06 /juin /2023 16:47

2 documentaires réalisés par  Jean Eustache    1968 et 1979

avec les habitants de Pessac, le(s) maire(s) et la(es) rosière(s)

Depuis 1876 à Pessac, la ville natale d'Eustache, le maire et un jury procèdent chaque année à l'élection d'une "Rosière"  une jeune fille choisie pour un an, pour ses qualités morales et sa vertu, qui recevra un prix honorant toute la communauté

Printemps 1968. Une vingtaine de notables se réunit autour du maire de Pessac pour comparer les situations de quelques jeunes filles triées sur le volet. La plus vertueuse est élue 72ème Rosière de Pessac. La cérémonie est organisée selon un protocole strict : la remise de la dot, le cortège mené par la fanfare, la messe, les discours, le banquet et ses chansons à boire.

10 ans après retour à Pessac avec l'idée de "refaire le même film" 

La Rosière de Pessac 1968 et 1979

" En 1968 quand j'ai tourné le film, j'ai regretté qu'il n'existe pas le même film tourné en 1896 l'année où cette tradition qui remonte au Moyen Age a été ranimée et instituée et qui correspond à peu près à l'invention du cinéma. J'ai rêvé à ce qu'auraient pu faire les frères Lumière en 1905, en muet, sur cet événement; j'ai rêvé qu'un autre opérateur aurait filmé la cérémonie pendant la guerre de 14-18, on aurait vu les poilus le village et les gens tels qu'ils étaient à l'époque; j'imaginais le même film en 1936, au moment du Front populaire , et puis il y aurait eu la Rosière sous l'Occupation, avec des Allemands regardant passer le défilé.

L'envie m'est venue de le refaire, exactement de la même façon, en filmant la même chose  avec cette idée donc que si on filme la même cérémonie , qui se déroule sous tous les régimes , sous toutes les Républiques , on peut filmer le temps qui passe, l'évolution et la transformation d'une société à l'intérieur d'une certaine permanence, celle d'un lieu et celle d'une tradition. C'est l'idée de temps qui m'intéresse" Jean Eustache 

Je voudrais que les deux films soient montrés ensemble : d'abord celui de 79, ensuite celui de 68. Une façon de dire aux gens : si vous avez envie de savoir comment ça se passait avant, restez, vous allez voir. » J. Eustache, «Cahiers du cinéma», n°306. décembre 1979

En voulant capter un rituel de fête, en respectant scrupuleusement la "matière" même du sujet -une sorte de   "cinéma vérité" avec un dispositif spécifique -place des lumières et des micros, déplacement de l'opérateur et de la caméra, absence de commentaire-,  afin de ne faire jaillir que "la réalité humaine" et surtout les rapports entre les individus (devenus acteurs de leur "destin" ), en jouant le rôle d'un témoin qui  filmerait à distance,  le réalisateur constate que la "reprise du même système de captation" à 11 ans d'intervalle offre une dimension tout autre du réel . Et ce ne sont pas seulement   la couleur (qui s'est substituée au noir et blanc)  les vues aériennes (plus abondantes) les  travellings ascendants sur des façades de buildings,  qui en "changeant la forme"  proposent une autre vision du réel.

Filmer la  mise en scène des autres  (ici une cérémonie avec son rituel immuable) dont on sera le témoin, fait que tôt ou tard elle va s'inscrire dans votre propre façon de "la mettre en scène". Le spectateur est convié à "voir" une double mise en scène celle d'un document ,celle d'un réalisateur qui aura "transformé"  cette matière première.  Dans la version de 1968 il y a comme un sous-texte (qui affleure dans le prêche du curé mais nullement dans le laïus "baveux" du maire au sourire mielleux) il  concerne la révolte de la jeunesse; dans la version de 1979 c'est le chômage qui habite tous les discours (celui du maire et  celui du curé) Si les critères d'exception morale semblent toujours prévaloir, (pour le choix de la Rosière)   le mérite dû au travail est plus prégnant en 1979. Cela étant , à 11 ans d'intervalle le propos antiféministe des "mâles" dominants n'est toujours pas "remis en cause" ( les clins d'oeil et remarques salaces font florès!!) 

 

Une belle leçon de cinéma!

et une belle définition du "réalisme" 

 

 

Colette Lallement-Duchoze

Partager cet article
Repost0

commentaires

Mode d'emploi

Ce blog est destiné à collecter nos ressentis de spectateurs, à partager nos impressions sur les films (surtout ceux classés Art et Essai).

Envoyez vos articles ou vos réactions à: artessai-rouen@orange.fr.

Retrouvez aussi Cinexpressions sur Facebook

 

 

Recherche