de Maud Alpi (2016)
avec Boston (le chien) Victor Hanrot, Dimitri Buchenet
prix Louis Delluc 2016
présenté aux "journées cinématographiques" 21ème édition (à voir jusque ce soir 23h59) sur https://www.festivalscope.com/page/les-journees-cinematographiques/
sinon bande annonce
https://shellacfilms.com/films/gorge-coeur-ventre
Les bêtes arrivent la nuit. Elles sentent. Elles résistent. Avant l’aube, un jeune homme les conduit à la mort. Son chien découvre un monde effrayant qui semble ne jamais devoir s’arrêter.
Très laconique la réalisatrice en présentant son film hier (journées cinématographiques) invitait le spectateur à "traverser un long tunnel pour attraper des miettes de lumière"
Et de fait ce premier long métrage est moins une œuvre "militante" au service de la cause animale qu’une plongée (si douloureuse soit-elle) dans les ténèbres. La caméra (souvent à hauteur de Boston le chien) capte la palpitation de ces derniers instants de Vie, la caresse et l’exalte. Dans ces couloirs dédaléens la marche inéluctable vers une mort annoncée n’en est que plus tragique et poignante
Nous serons la plupart du temps dans la « zone sale » aux couleurs jaunâtres , c’est un espace cloisonné allant de la plate-forme de « débarquement » jusqu’au bout du couloir (interminable …) où l’animal sera abattu et dépecé (une seule scène en profondeur de champ dans un carré de lumière artificielle en rend compte alors que les pattes sanguinolentes exécutent la danse macabre) C’est dans cet entre-deux que nous serons plongés en tant que spectateurs impuissants certes mais non voyeurs...
Voici des vaches des veaux des porcs des moutons ; il faut les guider « allez allez hop » dans l’ultime cheminement. Un œil hagard en très gros plan, des cils qui dessinent leur gracile graphie, des corps qui dans leur compacité semblent se recroqueviller dans la fraternité, des corps sculptés, la peau qui palpite, des pas récalcitrants qui refusent d’avancer … pelage museaux oreilles sabots corps qui frémissent, tout cela sur fond de meuglements bêlements grognements, ces « paroles » agonisantes auxquelles répondent en écho les jappements du chien. Un monde « vivant » qui résiste encore aux ténèbres tout en les traversant et dont l’issue sera paradoxalement la « lumière » du « coup de grâce » Une brebis (?) égarée et comme affolée dans cet univers jaune (cf l'affiche) et très vite le jeune homme adopte le geste ancestral du berger, la prend sur ses épaules (comme au tout début il avait porté son chien) ...avant le "sacrifice" (sans connotation religieuse). Une vache isolée, elle doit mettre bas; mais "ici aucun animal ne sort vivant" dit le maître à son chien; elle sera donc tuée puis immolée: le corps mort est devenu bûcher
Par trois fois nous quittons l'abattoir et accompagnons Virgile dans son quotidien qu'il partage amoureusement avec Boston et sa compagne. Repas pris en commun dans cette pièce squattée inondée de lumière, baignade dans ce plan d'eau où le corps humain délesté de sa carapace nocturne se marie à l'impétuosité des flots de la cascade.
Sa main caresse le poil de Boston (Boston ce chien bâtard mais qui la nuit à l'abattoir rappelle de par son profil et ses yeux scrutateurs l'Anubis antique!) tout comme il avait caressé la peau des animaux encore vivants. Une anxiété se lit en filigrane sur son visage; au spectateur de sonder ce palimpseste!
Si la chanson de L Cohen "show me the place" s'inscrit dans la séquence finale où des chiens errants se sont retrouvés dans un bâtiment en ruines mais qui est présenté comme un paysage intérieur, ventre de la terre(?) n'éclaire-t-elle pas rétrospectivement l'enjeu de ce film? -dont le titre est emprunté à un poème de Pasolini
Colette Lallement-Duchoze