de K. Mendonça Filho et J. Dornelles (Brésil)
avec Sonia Braga, Udo Kier, B. Colen
Prix du jury Cannes 2019
Dans un futur proche… Le village de Bacurau dans le sertão brésilien fait le deuil de sa matriarche Carmelita qui s’est éteinte à 94 ans. Quelques jours plus tard, les habitants remarquent que Bacurau a disparu de la carte.
Fable futuriste ? Conte politique ? Dystopie -cathartique pour certains, trop manichéenne pour d’autres- ? Bacurau est tout cela à la fois ; et si l’on ajoute -pour ce qui est du traitement- le mélange de western et de cangaço (forme de banditisme social dans le nordeste fin XIX° et début XX°) on comprendra que le film ait reçu le prix du jury au festival de Cannes. Et la tentation est grande d’appréhender le film à l’aune de l’actualité (alors qu’il a été conçu et réalisé avant l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro..)
Bacurau signifie en portugais engoulevent, oiseau crépusculaire qui se cache quand il repose sur une branche d’arbre. Ainsi du village éponyme de ce film, qui "intime du noir, ne sera remarqué que s’il a lui-même envie d’apparaître" "une seule rue des maisons de chaque côté une église une école voilà un microcosme familier aux Brésiliens..." (propos du réalisateur)
Ce village d’une contrée aride qui mêle astucieusement l’antique et le moderne (technologie) qui pratique la solidarité sans faille en bannissant tout clivage, nous allons le découvrir avec la petite-fille de la défunte matriarche Carmelita. Le camion citerne qui la (nous) conduit traverse une immense contrée avant d’être entravé par des ….cercueils….première interrogation, premier indice (?)
C’est que la mort est omniprésente dans ce film: il s’ouvre en effet sur une procession mortuaire (la défunte Carmelita nonagénaire) et se clôt sur l’enterrement d’un vivant (le caïd allemand au yeux d’acier qui avait programmé avec ses acolytes super armés l’extermination de Bacurau!)
Entre ces deux scènes que de perturbations! (guerre de l'eau, découverte d'une tuerie dans une ferme, passage insolite de chevaux débridés, arrivée de deux motards fluos, etc.) Que de métamorphoses! que d'effets visuels inattendus (une luminosité chatoyante qui s'opacifie; des fondus enchaînés traités tels les feuillets d'un livre que l'on déploie à ciel ouvert, un ciel endeuillé de nuages noirs
Et l'espace apparemment indolent (l'invite du panneau d'accueil "si tu viens, va en paix" était-elle ironique?) va se muer en un théâtre sanguinaire; l'ingestion de psychotrope aidant -ici la succession ultra rapide de très gros plans sur les lèvres les langues des habitants peut prêter à sourire alors qu'elle est censée magnifier les pouvoirs de cette drogue- ce sera la victoire de la résistance collective
Village désert en embuscade, agresseurs aux aguets, silence sépulcral avant...l'assaut....Une scène digne d'un western.
Un élu local venu acheter des voix avec... de la nourriture et des médicaments périmés...pamphlet caricatural? hélas non ...
Alors oui Bacurau peut se lire comme "l'allégorie des opprimés qui s'insurgent contre l'agression de l'impérialisme et de la bourgeoisie nationale, à travers l'auto-organisation, germe d'une société nouvelle" et en ce sens le film est éminemment politique
Bacurau, une ode à la solidarité - mais qui risque de déstabiliser, déranger certains spectateurs!
Colette Lallement-Duchoze