d'Ildiko Enyedi (Hongrie)
avec Alxandra Borbély, Morcsanyi, Réka Tenki
Ours d'Or Berlin 2017
Argument Mária, nouvelle responsable du contrôle de qualité dans un abattoir et Endre, directeur financier de l'entreprise, vivent chaque nuit un rêve partagé, sous la forme d'un cerf et d'une biche qui lient connaissance dans un paysage enneigé. Lorsqu'ils découvrent ce fait extraordinaire, ils tentent de trouver dans la vie réelle le même amour que celui qui les unit la nuit sous une autre apparence...
Le film s’ouvre sur la chorégraphie amoureuse d’un cerf et d’une biche : forêt enneigée, couleurs bleutées, silence alentour que le martèlement de leurs pas s’en vient troubler. À la délicatesse de cette scène inaugurale s’opposent bien vite la froideur et la rudesse d’un abattoir : regards inquiets des bêtes, bruits métalliques ; c’est l’antichambre de la mort, c’est là que vont être tués dépecés puis suspendus alignés en carcasses, les bovins...C’est là que travaillent Endre directeur financier … et la nouvelle employée Maria responsable des contrôles qualité ; le premier, handicapé (bras) , la seconde complètement inadaptée au monde des humains (autiste à la mémoire phénoménale… rigide insensible, ce dont rendent compte ses gestes son allure et les quelques bribes de paroles…).
À partir de ces prémices le film propose une sorte d’éducation des sens et des sentiments. Car ces deux personnages que tout semble opposer se rencontrent la nuit dans leurs rêves (Endre est le cerf et Maria la biche). Cette connexion nocturne et poétique à la fois, impose au film son tempo : va-et-vient entre réel et rêve, alternance entre scènes de la vie ordinaire – le self, les chambres froides, l’abattage … et séquences hors les murs dans cette nature préservée, réceptacle des ébats amoureux entre les cervidés. Progressivement le visage de Maria jusque-là impassible va s’illuminer d’un sourire ; progressivement la jeune femme va découvrir la volupté des sens (caresser le poil d’un bovin, regarder sans voyeurisme des corps qui s’ébattent sur l’herbe, etc.) et au final disparaîtra de l’écran le "couple" qui hantait -berçait - leurs nuits
Illustration du principe de synchronicité (cher à Jung?) : le même rêve que font deux personnages qui ne se connaissent pas ; rêve qui va les mener l’un vers l’autre…Peut-être
L'opposition un peu facile et ici trop appuyée entre le paysage extérieur immaculé -où évoluent les deux animaux sauvages- et les sols rouges de l’abattoir, (le sang des bêtes que l’on a tuées afin de nourrir les hommes….) ne renvoie-t-elle pas à une autre dichotomie celle qui s’exerce au sein même du monde des humains et dont l’orgie - hors champ- due au vol de doses d’aphrodisiaque est le point d’orgue ? Et dont les scènes récurrentes du self -lieu par excellence de tous les cancans : on mâche on mange on déblatère- seraient l’illustration ? Peut-être.
En tout cas le film est d’emblée biaisé : on plaque sur deux êtres "mal en peine" (mutilation physique ou psy) une mécanique psychologisante -en contraste permanent avec la mécanique froide et quasi inhumaine du lieu de travail- ; on ouvre les portes sur un onirisme feutré ou grandiose...le rêve comme principe libérateur et l’on signe une romance amoureuse certes délicate, certes empreinte d’humour – celui grinçant des pays de l’Est post communiste- mais qui n’émerveille pas...ou du moins où le charme cesse vite d’opérer
Colette Lallement-Duchoze