De Jim Jarmusch (USA)
avec Adam Driver, Golshifteh Farahani, Kara Hayward
Présenté en compétition officielle festival Cannes 2016
Argument: "Paterson vit à Paterson, New Jersey, cette ville des poètes, de William Carlos Williams à Allen Ginsberg,aujourd'hui en décrépitude. Chauffeur de bus d’une trentaine d’années, il mène une vie réglée aux côtés de Laura, qui multiplie projets et expériences avec enthousiasme et de Marvin, bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte pas…"
Composé de 7 tableaux correspondant aux 7 jours de la semaine ce film n’est répétitif qu’en apparence. Si Paterson accomplit chaque jour les mêmes gestes, Jim Jarmusch ne les filme pas de la même façon -ajout de détails, changements de cadres ou d’angles de vue, variations des plans ; un rituel non pas du ressassement mais de l'accomplissement..Pour exemples : le plan sur le couple avant le réveil (c’est sur lui que s’ouvre chaque tableau) est certes cadré de la même façon mais il fait varier la position des bras du visage des corps alanguis dans un drapé dont les plis n’épousent pas toujours ni de la même façon, le corps des endormis ; la montre « magique » indiquera 6h 10 puis progressivement 6h30 ; le bus au volant duquel Paterson sillonne les rues de la ville peut être filmé en frontal ou en travelling latéral ;avec ou sans les reflets des façades...On pourrait multiplier les exemples !
Mais ce qui frappe ce sont tous les effets spéculaires au service d’une évidente gémellité. Le premier jour en se rendant au dépôt de bus, Peterson croise deux vieux assis sur un banc public, des sosies ; parmi les passagers voici -un autre jour- deux petites filles,des jumelles (or Laura venait de rêver être la mère de jumeaux) ; gros plan sur deux chaussures de deux garçons ; les poèmes qu’écrit Paterson dans son carnet secret sont d’abord imaginés récités en voix off. D’ailleurs le cinéaste joue sur le nom propre Paterson : simultanément patronyme de la ville (New Jersey), nom du personnage principal qui conduit le bus Paterson 23 et titre d’un recueil de poèmes de William Carlos Williams…Le Même et pourtant Autre, le Même et son ondulante phonie démultipliée!
Est-ce le réel qui est transfiguré quand le réalisateur recourt au flou et aux surimpressions ? Le pouvoir « poétique » de l’écriture qui réenchante le monde ?
Paterson puise son inspiration dans le réel qu'il capte souvent dans des bribes de conversation. Ses écrits - prose poétique ou poésie prosaïque- font référence à Williams Carlos Williams qui avait dédié une ode à sa ville. Jim Jarmusch les a empruntés à Ron Padgette (cf le générique de fin), mais il a écrit celui que récite une gamine « la verse »… et la rencontre entre le chauffeur et cet enfant/poète a la vertu magique de toute épiphanie !
Par son jeu impassible, par son équanimité, par sa démarche assez raide - qui contraste avec l’exubérance de Laura- l’acteur Adriam Adam donne paradoxalement de l’épaisseur au personnage (là où d’autres en feraient un impavide falot).
On pourra reprocher l’excès de théâtralité dans la scène ultime où Paterson rencontre un poète japonais (même si cet événement est censé livrer le sens de tout le film et si le décor a le rendu de certaines estampes), l’humour un peu facile et appuyé qu’illustrent les grognements du chien Marvin (désapprobateurs ou non) ainsi que l’enthousiasme souvent naïf de Laura.
Qu’importe ! Paterson est un film à voir absolument tant son réalisateur sait réinventer le quotidien le plus banal, grâce à et par la poésie !
Colette Lallement-Duchoze
éprouvé un pur bonheur tout au long de ce film et à la sortie. Trés difficile de retrouver en ligne les textes des poèmes du film. Leur incrustation sur l'image dans cette typographie si légère et la diction très pesée, posée, contribue à nous transporter. "Currently our favorite brand is Ohio Blue Tip..."
Guy Foulquié 1/02/2017