de Nicholas Hytner (GB)
adaptation du roman d'Alan Bennett
avec Maggie Smith, Alex Jennings, Jim Broadbent
À l'heure où l'autofiction fait florès dans le roman français, un auteur anglais Alan Bennett se posait la question de dissocier le je -l'auteur et le je -l'homme; toi tu l'écris, et moi je le vis dit Alex Jennings à son double dans le film. L'expérience qu'il a vécue est si originale qu'elle serait la matière idéale d'un livre. L'écrivain en fera une pièce de théâtre dans laquelle a joué Maggie Smith en 1999 et la même actrice est sollicitée par Nicolas Hytner pour interpréter à l'écran cette Miss Shepherd, une femme clochardisée acariâtre et sale. Installée dans sa camionnette (qu'elle customise au grand dam des voisins et de la police) sur l'allée du garage d'Alan Bennett ,elle entretient avec ce dernier une relation de "voisinage" pour le moins originale!!! et qui durera 15 ans! (soit de 1974 à 1989, date de sa mort ) Et ce, dans une rue de Camden un quartier londonien en voie d’embourgeoisement (le comportement des voisins dans le film en est la caricaturale illustration! )
Le film s'ouvre sur la scène de l'accident que nous ne voyons pas mais percevons par le bruit amplifié du fracas; puis gros plan sur le pare-brise ensanglanté; puis délit de fuite : la conductrice poursuivie échappe à la vigilance des policiers. Cette scène inaugurale sera revécue soit comme cauchemar, soit comme monnaie d'échange (un ex policier joue le maître chanteur) et dans la séquence finale tarabiscotée qui se veut assomption vers....où les fantômes des morts évoluent dans une fraternité retrouvée
Maggie Smith est the lady in the van (comme elle fut récemment my old lady dans le film d'Horovitz ) et de ce fait elle est de tous les plans (voici un très gros plan sur le visage aux yeux globuleux inquisiteurs, un plan moyen où recroquevillée dans sa camionnette elle fait corps avec tout son fatras, voici un plan d'ensemble où sa silhouette informe s'est précisément fondue, la voici sur le fauteuil roulant, elle se laisse happer par l'ivresse vertigineuse de la descente; etc..) Cette actrice octogénaire (elle joue la comédie depuis 60 ans..) semble si à l'aise dans ses guenilles aux odeurs fétides, sa gouaille et son sens de la répartie, sa rouerie manifeste dans ses mensonges et son catholicisme de pacotille, qu'elle suscite l'empathie ce que renforcent les flash-back
Figure "romanesque" par excellence -les étapes de son parcours sont égrenées au fil des rencontres et recherches menées par le dramaturge- Miss Sherphed intrigue et fascine. Derrière la fenêtre de son bureau l'auteur guette, s'interroge et son double lui répond, le tance ou le conseille; l'un à l'aise sur le clavier de sa machine à écrire, l'autre et pourtant le même, dégingandé et maladroit dans les gestes du quotidien. Vue en contre-plongée pour l'auteur, en légère plongée pour l'homme ou alignement à peine contrasté des deux (hormis le port de la cravate pour l'un) ; sourire narquois de l'un, regard hébété de l'autre; et la prestation d'Alex Jennings n'est nullement entachée par l'omniprésence de Maggie Smith quand bien même cette dernière crève l'écran....Ce pince-sans-rire aux afféteries parfois prononcées incarne entre autres l'humour (que l'on dit si "british") qui irrigue tout le film
Film où l'on rit et sourit de bon cœur -malgré tous les malgré(s)
Colette Lallement-Duchoze