Film australien de Rolf de Heer
Présenté à Cannes "Un certain regard"
Avec David Gulpilil (prix d'interprétation)
Depuis 2007 les aborigènes du nord de l'Australie sont victimes d'un programme gouvernemental appelé "l'Intervention"
Étranger dans son propre pays tel serait le lamento de ces aborigènes dont Charlie est le porte-parole; un peuple qui vit dans des "camps à ciel ouvert", un peuple traqué au quotidien par la police. Le premier plan illustre comme en exergue la dichotomie et le paradoxe: d'un côté de l'écran une pancarte (répression de l'alcool) de l'autre une ouverture sur un paysage avec son allée et ses arbres; or ce sont précisément les poisons -drogues et alcool- importés par les Blancs qui ont contaminé et perverti un peuple et son mode de vie et que la loi vient sanctionner!!! Dans ce film qui est certes un plaidoyer certains gestes de Charlie ont une valeur démonstrative plus éloquente qu'un manifeste : donner de l'argent à ses congénères, piquer des cigarettes à l'un d'eux pour les jeter, narguer la police (voir l'épisode du buffle) réclamer le droit à la "propriété" (ma maison au lieu de cet abri de fortune, sur la terre de mes ancêtres) conspuer la nourriture des supermarchés, etc.
Le personnage est porté par l'incroyable David Gulpilil dont la prestation lui a valu un prix à Cannes "Un certain Regard". Il est de tous les plans : sa silhouette longiligne épouse la gracilité des arbres quand il a décidé de vivre dans le bush; son corps allongé se confond avec l'humus ou les racines; son visage en très gros plan derrière les barreaux de la prison dit la détresse de tous ceux qu'on a spoliés de leur culture; quand on lui tond sa chevelure poivre et sel hirsute et bouclée et qu'on rase sa barbe voici que surgit l'être nouveau celui qui doit obéissance aux Blancs. Faute de vivre comme le faisaient ses ancêtres (l'expérience du bush s'est soldée par un échec et Charlie doit être hospitalisé), il conserve intact le souvenir de l'inauguration de l'opéra de Sydney par la reine d'Angleterre (une photo qu'il commente avec nostalgie; il était jeune garçon et il a dansé lors de cette cérémonie). Il veut et il va transmettre à la nouvelle génération le rituel de la danse (maquillages et chorégraphie). Dès lors le motif musical (au piano) qui scande les étapes du double voyage de Charlie (voyage dans l'espace et voyage intérieur) ne résonne-t-il pas telle une incantation?
Colette Lallement-Duchoze