12 mai 2024 7 12 /05 /mai /2024 08:11

Documentaire réalisé par Mehran Tamedon (France/Suisse 2023)

 

avec le réalisateur et Zar Amir Ebrahimi

 

 • Festival de Film de la Villa Médicis • Rome (Italie) • Prix du meilleur film 2023

• Terra di Tutti Film Festival • Bologne (Italie) • Mention spéciale 2023

• FIFAM - Festival International du Film d'Amiens • Amiens (France) • Grand Prix (ex æquo) & Mention spéciale Prix du jury étudiants

 

Mehran Tamadon vit en France depuis de nombreuses années. À titre expérimental, il demande à des artistes iraniens en exil de l'interroger comme pourrait le faire un agent de la République islamique. L'un d'entre eux, ayant une connaissance directe de ces mauvais traitements, accepte le défi.

Mon pire ennemi

Mon dernier film, Iranien, se termine par mon interdiction de retourner en Iran. Avec Mon pire ennemi, je mets en place un dispositif cinématographique, cette fois en France, pour me frayer un chemin de retour en Iran : il s’agit de me prêter au jeu d’un interrogatoire, tel que les autorités iraniennes pourraient me le faire subir. Contrairement au précédent, ce film s’achèvera, je l’espère, par ma liberté de circuler entre mon pays d’origine et le pays où je vis. » (Mehran Tamadon)

 

Dès le début le réalisateur tel un élève appliqué fait part de son projet, met en place un casting mais se heurte à des fins de non recevoir ou à des essais peu convaincants. C’est alors qu’entre en scène (dans tous les sens de l’expression) l’actrice Zar Amir Ebrahimi

Une maison située dans la banlieue parisienne (délabrée ou du moins vétuste dans sa pseudo modernité avec ses ampoules nues, son mobilier sommaire, son inconfort) sera le décor de « l’entreprise d’avilissement » (c’est ainsi que Sartre définissait la torture dans son essai sur « la situation de l’écrivain »). Et dans les derniers plans du documentaire le vide de cette maison (travellings passage d’une pièce à l’autre) sera forcément habité…

La tortionnaire/bourreau est donc interprétée par l’actrice Zahra Amir Ebrahimi, (prix d’interprétation féminine pour Les nuits de Masshad Cannes 2022) elle-même victime de tortures en Iran …; et le réalisateur interprète son propre rôle de victime, torturé

En l’absence de toute contextualisation, triomphe l’arbitraire. Sadisme savamment calculé (insinuations, invectives, propos comminatoires) mise à nu (sens propre et figuré) pour extorquer des (prétendus) aveux ; glissement perceptible dans la  "destruction de l’humain" ; la victime (par la violence psychologique surtout) perd la "maîtrise" ; aux rires francs puis étouffés succède une apparente capitulation non pas celle de l’aveu (il n’y a rien à avouer) mais celle de la déshumanisation en plein mode opératoire. La tortionnaire semble « jouir » du pouvoir dont elle est investie et pour reprendre les propos de Sartre se châtie dans le corps de sa victime des soupçons et du mépris qu’il(elle) éprouve à l’égard de l’homme et de la foi qu’il(elle) a perdue en sa propre humanité. Et l’actrice n’avouera-t-elle pas avoir ressenti à un moment le pouvoir insidieux de la  contamination … la situation est plus décisive que le caractère des individus (comme si la simulation avait fait émerger ce quelque chose d’enfoui et qui s’apparenterait à des velléités de tortionnaire… à méditer ) !! Les emplacements judicieux de la caméra dans ce huis clos ou à l’extérieur (quand Zar Amir Ebrahimii traîne le « supplicié » presque nu tel un chien dans le froid jusqu’à l’école pour le donner en pâture à ses propres enfants) seront déterminants dans la maîtrise des « jeux » de même les gros plans sur le visage ou les plans rapprochés sur la victime et son bourreau.  Se pose dès lors la question du rapport filmeur-filmé. Est-ce que le réalisateur peut perdre le pouvoir sur son propre film ? (car ici c’est bien l’actrice qui va tout imposer, jusqu'aux révélations troublantes sur son propre  vécu aux dépens de et à l'insu du …réalisateur) Problématique qui induit un autre questionnement a-t-on le droit de faire du mal aux gens pour faire un film ? Rappelons que Mehran Tamedon fut longtemps tiraillé par des problèmes d’ordre éthique (demander à des victimes de rejouer des scènes traumatisantes….) et que « mon pire ennemi » aura mis presque une décennie avant d’être finalisé (second -ou premier- volet du diptyque consacré à  la torture,  avec Là où Dieu n’est pas)

Au-delà de la "simulation" (un mécanisme propre au cinéma expérimental) c’est moins la tentative de dissection de la torture au sein d’interrogatoires idéologiques qui hantera l’esprit du spectateur que cette mise en abyme (deux « artistes »,   deux êtres humains victimes de …les « aveux » de l’actrice, les enlacements n’en seront que plus déchirants)

A voir c’est une évidence !

Colette Lallement-Duchoze

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