de Andrea Segre (Italie France)
Rinaldi, policier italien de grande expérience, est envoyé par son gouvernement en Libye afin de négocier le maintien des migrants sur le sol africain. Sur place, il se heurte à la complexité des rapports tribaux libyens et à la puissance des trafiquants exploitant la détresse des réfugiés. Au cours de son enquête, il rencontre dans un centre de rétention, Swada, une jeune somalienne qui le supplie de l’aider. Habituellement froid et méthodique, Rinaldi va devoir faire un choix douloureux entre sa conscience et la raison d’Etat : est-il possible de renverser l’ordre des choses ?
Le film s’ouvre sur le plan d’une superbe villa avec son jardin ses pelouses ; elle est filmée dans la lumière du jour. (on va assister au départ de Corrado Rinaldi) À la fin, mêmes plans mais de nuit ; derrière les baies vitrées dans une lumière feutrée, c’est l’image d’une famille réunie, un cocon douillet (Rinaldi de retour a accompli sa mission). Entre ces deux scènes le spectateur l’aura accompagné en Libye (et dans ses allers et retours) où il doit "gérer l’afflux de réfugiés en provenance d’Afrique subsaharienne". Officiellement il s’agit de « contrôler les centres de rétention » que finance en partie l’UE, les droits humains sont-ils respectés ? Sur écran TV voici des opérations de sauvetage. Une « bonne conscience » à portée d’ONG ?
La réalité est tout autre. Qu’a enjoint le supérieur à Corrado Rinaldi?... là-bas il y a le robinet et il faut le fermer. Et les fonctionnaires de police, envoyés en Libye pour négocier avec les autorités locales travaillaient en secret. C’est ce secret que le réalisateur met à nu....Depuis le fiasco de l’intervention en Libye, tribus rivales, garde-côtiers mafieux, trafiquants en tous genres, exploitent ce "commerce" d’immigrés; il faut monnayer avec eux, soit pactiser avec le diable, au risque de bafouer les principes codifiés par des lois -ou conventions- sur les droits des réfugiés
Mais la trame narrative du film repose sur un dilemme qui oppose éthique et raison d’État. Rinaldi lors de la visite d’un centre est interpellé par une Somalienne -elle doit rejoindre son mari mathématicien en Finlande ; elle a déjà perdu un frère - . Or il peut organiser le transfert ; s’il le fait, triomphera la "bonne conscience" mais simultanément il aura trahi l’essence même de sa mission qui le lui interdit et sa propre image; dans le cas contraire ….Enjeu et suspense sont ainsi étroitement imbriqués dans ce docu- fiction qui invite le spectateur à être le "témoin" de ses douloureuses "hésitations" (Et il est intéressant de constater que l’homologue français -interprété par Olivier Rabourdin- a décidé, lui, de jeter l’éponge….)
Le réalisateur insère des mini scènes d’escrime censées illustrer la "précision, la maîtrise de soi" et la "froideur méthodique" du personnage -qui d’ailleurs est de tous les plans. De même qu’il multiplie les contrastes entre la violence des traitements infligés aux migrants et le bien-être de tous ceux qui décident de leur sort; jeux d'ombres et de lumières..
Malgré une certaine surenchère (jeux d'antonymies, dialogues convenus, plans prolongés sur le personnage principal en proie aux affres de la solitude etc.) ce film a le mérite de dénoncer le cynisme éhonté qui dicte les choix des politiques migratoires de certains pays européens dont la France et l'Italie : on est censé défendre les "droits de l’homme" mais on ferme les yeux sur tout ce qui les entrave en se dédouanant à peu de frais.
Laisser les migrants aux portes de l’Europe tout en sachant que leurs conditions de survie sont épouvantables...C'est " l’ordre des choses "....?
Colette Lallement-Duchoze