Film iranien de Jafar Panahi
Pas de liste artistique ni technique "le ministère de l'Orientation Islamique valide les génériques des films diffusables. A mon grand regret, ce film n'a pas de générique. J'exprime ma gratitude à tous ceux qui m'ont soutenu. Sans leur précieuse collaboration ce film n'aurait pas vu le jour"
Ours d'Or au festival de Berlin
"Si mes premiers films se passaient tous dans la ville, je pourrais désormais essayer de faire rentrer la ville dans mon taxi" Optant pour la caméra Black Magic (petite, souple, facile à dissimuler) le réalisateur peut ainsi contourner les diktats : il préserve la dimension documentaire en ne dévoilant pas le tournage et en préservant la sécurité de l'équipe (tout comme dans "ceci n'est pas un film" il s'était laissé filmer par un ami dans son propre appartement; on m'a interdit de filmer mais pas d'être acteur...)
Ainsi Jafar Panahi chauffeur/réalisateur transforme l'habitacle d'un taxi jaune (pourri dira la nièce) en réceptacle d'une société tout entière: défilent une institutrice, un voleur, un vendeur DVD, un blessé (sur le corps ensanglanté duquel se lamente sa jeune femme), les deux femmes et leurs deux poissons rouges (censés représenter la "bonne fortune"), un étudiant cinéphile (le neveu du réalisateur) la petite Hana (sa nièce) ainsi que l'avocate Nasrin Sotoudeh son amie (la femme aux fleurs). Leurs discours, leurs échanges, leurs préoccupations en disent long sur les lois, les interdits et les mœurs de la société iranienne, non sans humour ! Le chauffeur est à l'écoute, "bienveillant". Dans ce microcosme social, idéologique qui semble s'adapter à l'exiguïté de l'espace clos, pas de sensation d'enfermement, d'étouffement; c'est que les 3 caméras orientables alternent gros plans sur les visages et plans moyens; elles saisissent aussi le dehors en captant les mouvements de circulation, l'affairement des piétons etc. Au tout début, on a l'impression que l'on filme une rue en extérieur (plan fixe); mais un mouvement à peine perceptible nous indique que la caméra était sur le tableau de bord d'une voiture; le réalisateur/chauffeur n'apparaît pas de suite, restant volontairement hors champ. Quand lui-même n'oriente pas la caméra, c'est Hana qui prendra le relais avec son appareil numérique, se conformant (ironiquement) à des règles, les "fameux" codes transmis par son institutrice, et qu'impose le régime, via le comité de censure, aux "films diffusables".
Au-delà de cet aspect "documentaire" (et dont se gargarise la presse occidentale!) Taxi Téhéran c'est aussi une leçon de cinéma (comme dans "ceci n'est pas un film" 2011) et surtout, une interrogation sur fiction et réel; ou comment ce dernier est perçu dès qu'il est comme emprisonné et/ou transgressé. Car ne nous leurrons pas: il faudrait (si l'on en croit les codes énoncés par Hana) déformer le réel pour faire un film "diffusable" Eh bien, Jafar Panahi lui, va faire du réel une "fiction impropre à la diffusion"; voici des règles pour "domestiquer" le réel mais voici précisément et simultanément leurs limites et leur absurdité!!!!
Ce que semble corroborer la pirouette finale !!
Colette Lallement-Duchoze