De Pierre Creton (2023)
Scenario: Pierre Creton avec la collaboration de Mathilde Girard, Cyril Neyrat et Vincent Barré
musique : Jozef van Wissem
avec Antoine Pirotte et Pierre Creton (Pierre-Joseph), Manon Schaap (Françoise Brown), Vincent Barré (Alberto), Pierre Barray (Adrien) Chiman Dangi (Kutta)
et les voix de Françoise Lebrun, Grégory Gadebois, Mathieu Amalric,
Présenté au festival de Cannes 2023 Section Quinzaine des Cinéastes Prix SACD
Argument: Pierre-Joseph a 16 ans quand il intègre un centre de formation pour devenir jardinier. Il y rencontre Françoise Brown la directrice, Alberto son professeur de botanique, Adrien son employeur, déterminants dans son apprentissage et la découverte de sa sexualité. 40 plus tard survient Kutta, l'enfant adoptif de Françoise Brown dont il a toujours entendu parler. Mais Kutta qui est devenu le propriétaire de l'étrange château d'Antiville semble chercher autre chose qu'un simple jardinier.
Le fil conducteur, ce sont les rencontres" (Pierre Creton)
Voici une montagne aux couleurs sombres et dorées à la fois, qui semble défier le ciel de sa dent brunâtre, c’est le plan d’ouverture. Montagne tibétaine cadrée tel un tableau ? Montagne du « légendaire » Prince indien? celui qu’évoquera la directrice Françoise Brown "tout a commencé avec Kutta" ? Suit une séquence qui frappe par son mélange de réalisme et de symbolisme : gros plan sur une plante arrachée avec délicatesse par des mains de jardinier qui aura eu quelques difficultés à remuer le terreau de son coup de pelle. Mais la voici enclose dans la paume et comme ravie à elle-même.
Serait-ce la métaphore de la vie ? (creuser étreindre la substance de la nature) ; celle d’une narration qui évoluera au gré de strates poétiques autobiographiques et culturelles mêlant le parcours du jeune stagiaire et de Kutta (ce prince- sans cesse nommé adulé mais que le spectateur ne verra que vers la fin alors que, devenu propriétaire, il est en quête d’un autre moi !!!) Serait-ce aussi l’image du parcours de Pierre-Joseph, séduit par la découverte simultanée de la terre matrice féconde et de la sexualité (ce que confirmeraient la récurrence de motifs tels que ces tiges, ce velours de corolles empourprées dans l’attente d’une caresse, et celle des baisers, des étreintes -et de ces fellations pudiquement suggérées hors champ-, Motifs et thèmes qui ponctuent et scandent un récit multiforme ?
Oui le film de P Creton -conte sur un Prince et récit rétrospectif de la vie professionnelle et sexuelle de Pierre-Joseph -que le cinéaste interprétera dans le dernier quart avec une ellipse temporelle mais non sensorielle…-, peut se lire comme les pages d’un herbier libidinal que l’on va feuilleter lentement à l’instar de ces longs plans fixes ; il s’écoute comme une partition que l’on déchiffre (et la polyphonie des trois voix off, celles de Françoise Lebrun, de Grégory Gadebois,et de Mathieu Amalric, en exalte solfège et tessiture, loin de phagocyter l’attention du spectateur, elle la stimule en « creusant » un espace/interstice entre ce qu’il voit et ce qu’il entend) ; c’est aussi une quête de soi qui allie harmonieusement découverte de sa propre sexualité et apprentissage de la « botanique » Dans une interdépendance entre tous les «aspects» du vivant : fleurs faune humains, dans le cycle de la vie et de la mort (corps d'hommes vieillissants désirés dans leurs rides/stigmates , corps étendu gisant pour l’éternité, corps au sexe démultiplié dans une vision fantasmatique). Une interdépendance en forme de « bouture » (qu’il s’agisse des plantes, des voix, des comportements, des apprentissages et même du « film dans le film »).
La première voix qui nous parvient, aux accents parfois durassiens, celle de Françoise Lebrun, -voix intérieure de la directrice d’école, interprétée par Manon Schaap- en tisse la « métaphore filée » ; Françoise Lebrun interprète aussi la mère de Pierre-Joseph, une mère alcoolique, hantée, elle la taxidermiste, par un esprit ! Roger.. ! La scène du dîner vaut son pesant de tapioca ! Voici Alberto vu de dos, dans une main il tient un rameau (en écho à la toute première séquence ?) et de l’autre il le dessine, sur un tableau, en ses multiples « ramifications »....
Si vous connaissez déjà l’univers de ce cinéaste, ouvrier agricole normand (Va, Toto 2017 par exemple) vous retrouverez ses amis ses proches, cette terre qui lui est si familière, mais aussi son amour des mots, de la chair , de l’art.
Sinon venez vite découvrir un univers si singulier et laissez-vous habiter ! (même si le final fantastique onirique et mystique est déconcertant !!!)
Colette Lallement-Duchoze