7 avril 2019 7 07 /04 /avril /2019 05:08

de Lou Jeunet

Avec Noémie MerlantNiels SchneiderBenjamin Lavernhe  Camélia Jordana, Amira Casa

Pour éponger les dettes de son père, Marie de Héredia épouse le poète Henri de Régnier, mais c’est Pierre Louÿs qu’elle aime, poète également, érotomane et grand voyageur. C’est avec lui qu’elle va vivre une initiation à l’amour et à l’érotisme à travers la liaison photographique et littéraire qu’ils s’inventent ensemble.

 

Curiosa

En art, Curiosa désigne une représentation, écrite ou visuelle, érotique voire pornographique ; -ce que rappelle d'emblée le prologue-;  l’art érotique est appelé  erotica ou curiosa

Pierre Louÿs (1870-1925), l’érotomane connu du public, en fut l’adepte ; moins connue, sa maîtresse Marie de Régnier (1875-1963) (fille du poète José Maria de Hérédia ; épouse d’un autre poète Henri de Régnier ) l’a pratiqué elle aussi et c’est la "passion" -érotisme/photographie- entre ces deux êtres que Lou Jeunet porte à l’écran.

 

Certes la réalisatrice apporte un soin particulier aux décors (ah ces papiers peints!!) aux costumes, aux cadres, aux postures lascives et/ou sculpturales et aux éclairages ; certes le personnage de Marie est admirablement interprété par Noémie Merlant (vue récemment dans "les drapeaux de papier " ); certes le thème de l’amour est scruté dans sa dialectique (séduction manipulation aliénation) et pourtant la volupté languide et flamboyante n’est pas au rendez-vous et le film est moins esthétique qu’esthétisant. Or la recherche plastique à tout prix ne saurait rendre compte de la fulgurance du désir et du plaisir ; et les personnages -surtout Niels Schneider qui interprète Pierre Louÿs- ne sont pas  "habités".

Bien plus, curiosa mêle sans subtilité préciosité et scènes plus triviales (cf les crêpages de chignon entre Marie et Zohra (Camélia Jordana) la maîtresse algérienne)

Et que dire de ce décalage que provoque la musique électro de Rebotini (revisitant par moments Schubert) ?

 

La toute première séquence donnait le ton : un jeune homme regarde trois filles et leur mère derrière le miroir sans tain d’un appartement ; c’est Pierre Louÿs chez son ami José Maria de Hérédia .C’est aussi derrière un tel miroir que se tiendrait le spectateur ?

 

Reste le parcours d’une femme  qui s’émancipe des tutelles familiale et conjugale ; elle sera contrainte néanmoins de recourir à un pseudo masculin -Gérard d’Houville- pour éditer son premier livre "l’inconstante"

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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6 avril 2019 6 06 /04 /avril /2019 08:15

De Michel Leclerc

avec  Edouard Baer, Leïla Bekti, Tom Levy (Corentin), Baya Kasmi

Sophia et Paul emménagent dans une petite maison de banlieue. Elle, brillante avocate d’origine magrébine, a grandi dans une cité proche. Lui, batteur punk-rock et anar dans l’âme, cultive un manque d’ambition qui force le respect ! Comme tous les parents, ils veulent le meilleur pour leur fils Corentin, élève à Jean Jaurès, l’école primaire du quartier. Mais lorsque tous ses copains désertent l’école publique pour l’institution catholique Saint Benoît, Corentin se sent seul. Comment rester fidèle à l’école républicaine quand votre enfant ne veut plus y mettre les pieds? Pris en étau entre leurs valeurs et leurs inquiétudes parentales, Sofia et Paul vont voir leur couple mis à rude épreuve par la « lutte des classes »....

La lutte des classes

Se croiser? Oui.  Se mélanger ? Non

Serait-ce le constat amer de cette comédie ? Car hormis le « twist » final (un happy end farfelu aux couleurs bigarrées où l’entraide a eu raison de tous les clivages en une chaîne de vêtements dans une école pauvre sous financée et délabrée …) il s’agit bien de l’échec de la mixité sociale dans l’école publique des quartiers populaires. Michel Leclerc et la co-scénariste Baya Kasmi -qui interprète d’ailleurs Melle Delamare, professeur des écoles- ont pris le parti de l’humour, de la comédie, voire de l’extravagance, pour traiter ce sujet (assez grave ..) ; mais dans leurs dialogues qui revisitent tous les "clichés" (sur la prégnance de la religion, l’ascension sociale, la liberté, l’émancipation de la femme, le financement public) ils ont trouvé le ton juste ! -même si quelquefois certains interprètes donnent l’impression de réciter un texte !

 

C’est alors qu’éclate au grand jour la "vraie" problématique : changer d’école – en contournant la carte scolaire par exemple - au lieu de changer l’école ??…. « pour qu’il y ait de la mixité il faut qu’il y ait de la mixité » ce jugement formulé par Paul le père, n’est tautologique que par la forme ; il interroge sur le concept même de mixité : quel sens lui donner dans des quartiers qu’une politique urbaine a ghettoïsés ?

 

La lutte des classes n’est pas celle qui oppose les élèves de Jean Jaurès (l’école publique) et ceux de Saint Benoît (école privée) ; c’est celle d’un combat intérieur : celui de parents confrontés à une réalité que jusque-là leurs idéaux, leurs convictions avaient plus ou moins gommée ou transcendée. Ecole publique versus école privée ? Que choisir pour son enfant ? l’idéal républicain revendiqué s’effritera quand Corentin le "seul blanc" peine à s’intégrer !

 

On pourra toujours déplorer  les limites d’un tel film -la tendance à ménager chèvre et chou, la caricature facile, le foisonnement de sujets abordés-, il n’en reste pas moins que cette comédie très alerte et vivifiante propose une sociologie de quartier ; elle est, en outre, servie par des acteurs hors pair (mention spéciale à Edouard Baer en anar ébouriffé)

A voir !

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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2 avril 2019 2 02 /04 /avril /2019 13:07

De  Beatriz Seigner (Colombie) 

Avec Doña AlbinaYerson CastellanosEnrique Díaz 

 

Présenté au festival de Cannes (Quinzaine des Réalisateurs)

 

Présenté en avant-première dans le cadre du festival "elles font leur cinéma" à Rouen le samedi 30 mars 2019  en présence de la réalisatrice 

Fuyant les exactions des FARC, des groupes paramilitaires et de l'armée, une mère et ses deux enfants se réfugient à la frontière brésilienne dans un village habité par les fantômes des victimes de la guerre, à commencer par celui du mari et père de famille.

ou

Nuria, 12 ans, Fabio, 9 ans, et leur mère arrivent dans une petite île au milieu de l’Amazonie, aux frontières du Brésil, de la Colombie et du Pérou. Ils ont fui le conflit armé colombien, dans lequel leur père a disparu. Un jour, celui-ci réapparaît mystérieusement dans leur nouvelle maison.

Los silencios

Quelle est donc cette île « de la fantasia » où cohabitent vivants et morts ?

Une île sur l’Amazone à la frontière entre le Brésil, le Pérou et la Colombie ; envahie par les eaux 4 mois par an elle refait surface comme par magie…

C’est là que Beatriz Seigner a tourné « los silencios »

 

Dès la première séquence le spectateur est plongé dans une atmosphère étrange celle d’un nocturne énigmatique et inquiétant; on devine la silhouette d’un frêle esquif, une pirogue, on entend le clapotis de l’eau, le bruit des rames et voici qu’une mère et ses deux enfants débarquent dans un village sur pilotis accueillis par une parente (Morte ? Vivante?) « c’est un miracle que vous soyez vivants »

 

Ces déplacés, -suite aux affrontements entre paramilitaires colombiens et guérilleros dont faisait partie le mari tout juste disparu- ces réfugiés vont peiner à s’insérer dans ce village (trouver un emploi, inscrire à la cantine le fils Fabio, lui acheter un uniforme, etc.) mais ils ne sont pas perturbés quand le mari s’assoit tout naturellement à la table, quand la fille caresse le visage de sa mère éplorée, quand la mère dans la lenteur et la délicatesse de ses gestes lisse les cheveux de Nuria ou quand l’assemblée des morts prodigue ses conseils aux habitants...

 

Les âmes errantes ne sont pas traitées sur le mode surréaliste surnaturel ou fantastique. Beatriz Seigner les signale par de petites touches de couleurs fluorescentes et c’est au spectateur d’accepter  la cohabitation, spectateur si accoutumé aux logiques cartésiennes qu’il en oubliera peut-être tous les signaux qui balisent la narration….

Des bruits répétitifs -bruissement de l’eau et du végétal, chant des oiseaux et de la pluie, frémissements – contribuent eux aussi à transformer un récit en une authentique liturgie (dont la longue séquence finale serait le fulgurant aboutissement)

 

Cette alliance entre allégorie et réalité sociale et politique s’inscrit-elle dans ce qu’on appelle "réalisme magique" ? Le concept d’abord réservé à la peinture puis à une forme de littérature latino américaine, peut sans conteste s’appliquer à ce film où la normalité du quotidien le plus banal épouse presque à chaque instant (au détour d’un cadre d’une lumière d’un geste) la magie du sublime;

Un réalisme magique comme  "mode d'écriture" 

 

à voir absolument !

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

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1 avril 2019 1 01 /04 /avril /2019 19:45

Pour son premier téléfilm - un remake des Larmes amères de Petra von Kant de Fassbinder- Vera, réalisatrice, veut le casting parfait. Mais le premier jour de tournage approche rapidement et les nombreuses séances de casting n'ont pas encore permis de trouver d’actrice capable de jouer le rôle principal...

Casting

Hommage à Fassbinder ? Effets de mises en abyme ? Regard à la fois cynique et cruel sur les coulisses de la télévision -qui sont aussi celles du cinéma- au moment du  "casting" quand s’exercent des pressions (celles des producteurs) et qu’éclatent au grand jour injustices et égocentrismes ? Il y a tout cela dans le film de Nicolas Wackerbarth (2017) Et ce plus qu’incarne Gerwin:  cet acteur amateur doit -en l’absence de l’acteur principal retenu sur un tournage- donner la réplique à toutes les actrices  "renommées" qui défilent lors des auditions ; sera-t-il enfin "reconnu" ?ce que semble lui promettre la réalisatrice... Car c’est bien du rapport à l’image, des compromis, du refus ou de l’acceptation des humiliations qu’il est question à travers ce personnage

 

Un studio de télévision (dans le film de Fassbinder c’était l’appartement de Petra) Et dans l’enfermement de ce huis clos, juste avant le tournage on procède aux dernières auditions pour le rôle du personnage titre. La réalisatrice du téléfilm, Vera, sous des dehors affables et des sourires mielleux, fait preuve d’un autoritarisme stupéfiant voire sadique  dans l’exercice de son pouvoir ! L’actrice pressentie par la production refusera d’ailleurs le rôle (elle semble s’insurger contre une mascarade, celle d’une sélection... humiliante ...)

Le rôle qu’interprétait Hanna Schygulla, Karin, est joué par un homme, -à la relation saphique Vera  substitue une relation hétérosexuelle;  jusqu’à cette scène pour le moins étonnante celle du baiser prolongé entre deux hommes (celui qui interprète momentanément Petra et Gerwin ..;) alors que l'on voit les techniciens  en train de monter les rails d’un travelling....

 

Lutte des classes dans un boudoir : -arrogante styliste, Petra maltraite sa secrétaire dévouée puis s’éprend d’une jeune aspirante mannequin Karin de condition plus modeste... c'était la thématique du film de Fassbinder (1972)

Le remake (sujet de casting) est bien, lui aussi, un film politique -le métier d’acteur servant de support à une réflexion sur le « sadisme » des manipulateurs exercés au pouvoir, sur la concurrence et la survie dans l’industrie de la télévision !!! 

 

A voir!

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

Casting

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28 mars 2019 4 28 /03 /mars /2019 09:58

Documentaire réalisé par David Mambouch

Elle est de ces artistes qui creusent des sillons durables et profonds, qui bouleversent les existences. Depuis plus de 35 ans, Maguy Marin s’est imposée comme une chorégraphe majeure et incontournable de la scène mondiale. Fille d’immigrés espagnols, son œuvre est un coup de poing joyeux et rageur dans le visage de la barbarie. Son parcours et ses prises de positions politiques engagent à l’audace, au courage, au combat. En 1981, son spectacle phare, May B, bouleverse tout ce qu’on croyait de la danse. Une déflagration dont l’écho n’a pas fini de résonner.  Le parcours de la chorégraphe Maguy Marin, un vaste mouvement des corps et des cœurs, une aventure de notre époque, immortalisée et transmise à son tour par l’image de cinéma.

Maguy Marin: l'urgence d'agir

Portées par différents interprètes depuis la création en 1981, les figures de May B -inspirées de l'oeuvre de Beckett- ont traversé le temps et les mémoires, gardant intacte, inviolée la force à la fois tragique et cynique, féroce et tendre de ces cabossés de la vie; êtres de poussière, enduits d'argile, glaise qui se craquelle, vêtus de haillons, ils avancent comme un choeur désarticulé, éructant par moments ce cri primal et/ou onomatopéique de la Douleur. May B est bien le fil directeur du film documentaire réalisé par le fils de la chorégraphe,  David Mambouch (il est né en même temps que la pièce; et en 2014 il sera un des interprètes !)

Il s'ouvre sur des extraits du discours de Maguy Marin (urgence d'agir); il mêle images d'archives, interviews (certaines poignantes sont celles de danseurs des années 80 aujourd'hui disparus), extraits de pièces (Cendrillon, 2017, entre autres...), il nous fait assister à des répétitions, nous entraîne en Amérique du Sud (où Lia Rodrigues l'une des premières interprètes a ouvert une école de danse pour les enfants de la favela de Maré, près de Rio de Janeiro), à Ramallah (lors d'une représentation) et dans les différents lieux où Maguy Marin a exercé son art si singulier qui réconcilie danse et théâtre, qui lie étroitement création et engagement dans la vie de la cité (sens étymologique de politis) et qui a fait voler en éclats les canons de la beauté formatée

Sorte de palimpseste (par une double surimpression, celle des reprises répétitions et celle plus intime de chaque visage -en très gros plan parfois- où se lit en filigrane une histoire particulière) le film est à coup sûr, une "oeuvre d'art"  avec des raccords audacieux , des résonances dans la bande-son (extraits de discours de Mitterrand en 1981, de Juppé en 1995 par exemple) et des allers et retours entre présent et passé, garants d'une dynamique celle de la transmission

Malgré la précarité de notre monde ce film rappelle que nous avons le pouvoir d'agir, et à quel point chaque existence, chaque histoire, est précieuse (David Mambouch) 

Vivre ensemble 

Un seul Corps

Visages amis, visages aimés

L'argile unique dont nous sommes faits

 

Un documentaire à ne pas rater !!!

 

Colette Lallement-Duchoze
 

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24 mars 2019 7 24 /03 /mars /2019 08:07

De Benoît Jacquot

avec Vincent Lindon, Stacy Martin, Valeria Golino

Au XVIIIe siècle, Casanova, connu pour son goût du plaisir et du jeu, arrive à Londres après avoir dû s’exiler. Dans cette ville dont il ignore tout, il rencontre à plusieurs reprises une jeune courtisane, la Charpillon, qui l’attire au point d’en oublier les autres femmes. Casanova est prêt à tout pour arriver à ses fins mais La Charpillon se dérobe toujours sous les prétextes les plus divers. Elle lui lance un défi, elle veut qu’il l’aime autant qu’il la désire

Dernier amour

Spectral et désabusé tel nous apparaît Casanova vieillissant au tout début du film. Nous sommes en 1793 château de Dux en Bohême. Reclus dans sa fonction de bibliothécaire, il écrit ses mémoires historia de mi vida. À la demande expresse d’une jeune femme qui l’interroge sur ses conquêtes, il consent à "raconter" un épisode inoubliable de sa vie amoureuse, vécu 30 ans auparavant, comme une douloureuse exception. Exception que Benoît Jacquot traite en couleurs feutrées ou crépusculaires sous forme d’un flash-back. Parant ainsi le propos de la fonction thérapeutique ou dérisoire de la mémoire? Qui sait? Quoi qu’il en soit, la structure narrative adoptée -qui oblige à des allers-et-retours entre le présent, le moment de la narration et l’épisode rapporté, impose une facture classique pour ne pas dire scolaire, d’autant que les commentaires laconiques, des truismes de surcroît, et les questions de la jeune fille, semblent récités

 

Si la vacuité de l’existence des aristocrates anglais est bien restituée (encore que les ambiances de lupanar sont assez soft…) si l’opposition entre frugalité imposée (le désir de posséder ne pourra être assouvi) et obsession de nourriture (nombreuses scènes de repas en intérieur ou extérieur) est patente, si la dialectique imposée par la jeune courtisane corrobore les convictions de Casanova (on n’aime jamais autant que lorsque l’on est éconduit), si la beauté visuelle est incontestable, on est loin d’être habité par ce film tout comme on a l’impression que les personnages eux-mêmes ne sont pas habités...

 

On pourra toujours rétorquer que le primat accordé au "cérébral" sur l’émotion est un choix délibéré. Que le cinéaste nous confine dans la position de "spectateur", à l’instar de Casanova condamné à "être regardeur"           N’empêche !

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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21 mars 2019 4 21 /03 /mars /2019 15:33

1913, au cœur de l’empire austro-hongrois. Irisz Leiter revient à Budapest après avoir passé son enfance dans un orphelinat. Son rêve de travailler dans le célèbre magasin de chapeaux, autrefois tenu par ses parents, est brutalement brisé par Oszkar Brill le nouveau propriétaire. Lorsqu’Írisz apprend qu'elle a un frère dont elle ne sait rien, elle cherche à clarifier les mystères de son passé. A la veille de la guerre, cette quête sur ses origines familiales va entraîner Irisz dans les méandres d’un monde au bord du chaos.

Sunset

Oui tout -ou presque- est crépusculaire dans ce nouveau film de Laslo Nemes -dont nous avions tant aimé "Le fils de Saul". Aux camps de concentration se substitue ici la ville de Budapest avec ses quartiers chics, son effervescence, sa lutte de classes, sa rivalité avec Vienne, une ville et ses soubresauts qui précèdent la première guerre mondiale !

 

Un très gros plan sur un visage dont on soulève la voilette ...une mini valse dans l’essayage de chapeaux aux formes ingénieuses et raffinées; c’est l’ouverture...Et voici le film "encodé" : d’emblée est impulsée la dynamique du dévoilement -la plupart seront suggérés plus qu’explicités ; de même que la chapellerie illustre par métonymie l’apparat, le luxe, apanage de la haute bourgeoisie. Au très gros plan sur le visage chapeauté répondra en écho le plan final celui d’un visage nu, le regard hébété par l'effroi!

 

Et comme dans "Le fils de Saul" une façon de filmer au plus près comme si la caméra était vissée au personnage -ce sera souvent la nuque pour Irisz Leiter-; et comme dans le film précédent une réalité -ici le crépuscule d’un empire- perçue par un seul regard. Le personnage est au premier plan entre ombre et lumière alors que l’arrière-plan est souvent flou. Un flou qui dit la confusion : celle d’Irisz dans ses déambulations à la recherche d’un frère dont elle ignorait jusque-là l’existence. Des plans-séquences la suivent dans des intérieurs -aux jeux savants de clair-obscur- dont elle semble traverser les parois, à bord d’un tramway, dans des lieux interlopes, sur des places publiques où fermentent les révolutions, au cœur de convulsions, préludes à la première guerre mondiale. Confusion qui s’empare du spectateur lequel dispose de peu de repères (bribes de mots, opacité délibérée, scènes suggérées hors champ) dans son appréhension d’une histoire de famille au rendez-vous avec l’Histoire – Histoire dans laquelle il sera projeté, en frontal, dans ce dernier plan-séquence - qui rappelle les sentiers de la gloire ...

 

"Beauté convulsive" de la forme (que certains n’apprécieront pas…et pourtant elle épouse la décadence d’un monde) mais aussi de la bande-son, sorte de partition, stridente parfois, qui mixe voix humaines, musiques diverses -allant du répertoire classique aux opérettes- et bruits du monde urbain

 

On ferait un mauvais procès en glorifiant "Le fils de Saul"  et en dénigrant "Sunset" ; or le thème du premier (le rôle d’un Sonderkommando) malgré l’horreur, est plus "porteur"…que la ville de Budapest à la veille de la première guerre mondiale...

Et si Sunset était comme le préquel du  fils de Saul  ?

 

Un film à ne pas rater!!!

 

Colette Lallement-Duchoze

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19 mars 2019 2 19 /03 /mars /2019 07:33

De Siew Hua Yeo (Singapour) 

avec Xiaoyi Liu, Peter Yu, Jack Tan, Yue Guo 

Singapour gagne chaque année plusieurs mètres sur l’océan en important des tonnes de sable des pays voisins – ainsi que de la main d’oeuvre bon marché.  Dans un chantier d’aménagement du littoral, l’inspecteur de police Lok enquête sur la disparition d’un ouvrier chinois, Wang, jusqu’alors chargé de transporter des ouvriers. Après des jours de recherches, toutes les pistes amènent Lok dans un mystérieux cybercafé nocturne...

Les étendues imaginaires

Mélange des genres (policier, film noir, drame social) éclatement de la chronologie, ambiances nocturnes, passage sans transition d’un labyrinthe (mental ou virtuel) à l’autre (géographique), porosité de la frontière entre réel et imaginaire, vrai et faux, réel et virtuel, tout dans ce film de Siew Hua Yeo concourt à nous dérouter (changer constamment de « point de vue ») et ce faisant, à nous séduire

 

Un exemple : au tout début un inspecteur enquête sur la « disparition » d’un ouvrier chinois Wang ; nous suivons Lok sur le chantier singapourien et découvrons avec lui les conditions d’hébergement précaires (pour ne pas dire inhumaines); on est dans le genre policier doublé d’une chronique sociale; mais dès l’instant où Lok, après avoir pris la boîte de somnifères (indice de la présence de Wang), dit avoir rêvé de lui -sans le connaître- voici qu’apparaît au second plan cet ouvrier et le film va basculer dans un long flash back sur les jours qui ont précédé sa disparition….

 

Wang souffre d’insomnies, -tout comme le policier- il enquête à un moment sur la disparition de son collègue bangladeshi (tout comme Lok). Sommes nous dans le réel ? Ou dans l’esprit de Lok ? Fantasme ou réflexion ? 

 

Dans le cybercafé nocturne où nous sommes aux côtés de Wang (puis plus tard de Lok)- nous entendons la voix off du premier affirmer qu’il a rêvé cette enquête .Mais voici un autre partenaire de jeu ... omniscient... serait-il le vrai démiurge ? Et  une très belle séquence nous fait traverser -sur l’écran vidéo- des ambiances architecturales à la Chirico ..

 

On l'aura compris: de Singapour nous ne verrons que l’envers d’un décor devenu cliché ( ville de 700 km2 occupant une grande île et son « miracle économique » ..) L’envers?  celui des tonnes de sable déversé (de très gros plans nous en font sentir  la matérialité; mais c'est aussi sous le sable que disparaissent  les "invisibles", les "sans-papiers" ceux dont a confisqué les passeports...)  L'envers? celui des travailleurs étrangers sur-exploités dont nous partagerons momentanément les échappées par le rêve et la danse ....

 

Un film remarquable!!

 

Colette Lallement-Duchoze

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18 mars 2019 1 18 /03 /mars /2019 05:30

De Jeremiah Zagar (USA)

avec Paul Castillo (Paps) Sheila Vand (Ma) Evan  Rosado (Jonah) Isaiah Kristian (Manny) Josiah Gabriel (Joel)  

Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation (festival Deauville 2018)

Jonah est le plus jeune d’une fratrie de trois jeunes garçons impétueux et épris de liberté. De milieu modeste, ils vivent à l’écart de la ville avec leurs parents qui s'aiment d’un amour passionnel, violent et imprévisible. Souvent livrés à eux-mêmes, les deux frères de Jonah grandissent en reproduisant le comportement de leur père alors que Jonah se découvre progressivement une identité différente…

We the Animals

 

Nous sommes trois, nous sommes frères, nous sommes des rois. Manny Joel et Jonah partagent-ils les mêmes rêves les mêmes attentes ? C’est ce que croyait Jonah ce petit être aux yeux bleu profond au sourire d’ange...mutin...dont nous entendons la voix off et dont nous suivrons le cheminement entre réalité fantasme et rêve (ce qu'il écrit et dessine avec ses crayons Crayola, dans son cahier caché sous le matelas) jusqu’à cette prise de conscience où sa vie basculera de l’autre côté, celui où l’on a  quitté définitivement l’enfance.

 

Car le film -adapté d’ailleurs d’un roman auto biographique de Justin Torres- et qui est vu à hauteur de et par le regard d’un enfant, est  un récit d’apprentissage dont l'originalité vient essentiellement de la forme, de la mise en scène, du montage . Filmé caméra à l'épaule, en 16mm, "We the Animals"  mêle chronique familiale (enfants souvent livrés à eux-mêmes compte tenu de l’impéritie ou de l’immaturité de leurs parents) et animation (ce qui est consigné  prend vie et envahit l’écran), réel et rêve, onirisme et poésie, peurs et fantasmes (l’imaginaire peut transformer une expérience ordinaire en aventure fabuleuse ou l’inverse ; le désir d’abord suggéré se concrétisera ...dans un baiser ...par exemple)

 

Les trois frères sont d’abord filmés dans cette intimité tiède  typique de l’enfance (vus de dos,  alignés sur leurs matelas, courant dans la forêt, allongés sur le tapis du salon, chapardant dans une supérette) et pourtant on devine une "faille" entre les deux plus âgés et le narrateur. Jonah est plus sensible à l'auto-destruction de ses parents; il est lui-même victime de railleries ou intimidations;  mais à partir de l'instant où il découvre "l'assaut de la chair"...et du même coup son identité sexuelle, la marche fraternelle du trio et son tempo intime se délitent !

 

C’est bien l’imaginé, redouté ou ardemment souhaité, qui sert de contre-point au réel. Mais c’est bien le réel (et la découverte des cahiers jusque-là tenus au secret, leur émiettement en morceaux signent une brisure) qui préside à l’ultime sursaut aux allures d’assaut (ce qu’exprime la chanson dans le générique de fin)

 

A ne pas manquer! 

 

 

Colette Lallement-Duchoze  

 

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17 mars 2019 7 17 /03 /mars /2019 06:30

d'Allan Mauduit 

avec Cécile de France, Yolande Moreau, Audrey Lamy, Simon Abkarian, Samuel Jouy,  Béatrice Agenin 

 

Récompense:  Globes de Cristal de la presse du meilleur film de comédie du Festival de l’Alpe d’Huez. 

Sans boulot ni diplôme, Sandra, ex miss Pas-de Calais, revient s’installer chez sa mère à Boulogne-sur-Mer après 15 ans sur la Côte d’Azur. Embauchée à la conserverie locale, elle repousse vigoureusement les avances de son chef et le tue accidentellement. Deux autres filles ont été témoins de la scène. Alors qu’elles s’apprêtent à appeler les secours, les trois ouvrières découvrent un sac plein de billets dans le casier du mort. Une fortune qu’elles décident de se partager. C’est là que leurs ennuis commencent…

Rebelles

Se méfier du titre ; se méfier du casting qui fait la part belle à un trio féminin. Rebelles n’est pas un film "social" (même si la condition des ouvrières et des laissés-pour-compte est évoquée) ni un film "féministe" (les trois femmes tentent par tous les moyens de préserver le pactole découvert après la mort "accidentelle" de leur "chef" ; mais ni militantisme ni questionnement ni revendications sur la  "condition féminine"). La caméra va se focaliser sur les trois actrices : elles devront jouer jusqu’à l’absurde (et on devine leur plaisir) une outrance furibarde. 

 

Voici trois ouvrières Sandra (Cécile de France), Nadine (Yolande Moreau) et Marilyn (Audrey Lamy), travaillant dans une conserverie à Boulogne-sur-Mer (un panneau de signalisation puis une vue panoramique sur ce bassin désindustrialisé ouvrent le film). Chacune rame à sa façon pour les "fins de mois". Bien vite suite à un "accident" (cf le pitch) les voici métamorphosées en cowgirls : ça bute, ça flingue, ça fossoie ; ce sont de vraies casse-couilles (sens littéral).

 

On retrouve dans le film d’Allan Mauduit les « ficelles » entremêlées du polar et du western servis par un rythme parfois débridé sur fond de corruption (trafiquants belges malfrats , flic ripou)  par des changements de ton et par des rebondissements (dont certains prévisibles...)

Détonant (ça dégoupille souvent et la scène de tuerie dans le salon de Nadine en est un bel échantillon ) et détonnant (femmes armées plus rapides à la détente que les hommes auxquels habituellement le rôle est confié…) ce film force le rire -tellement c’est gros ; car avouons-le c’est souvent grossier -pour ne pas dire vulgaire- même si l'aura que dégagent les trois actrices est celle de la "bienveillance",  même si c’est la pulsion de Vie (pour ne pas dire survie) qui les anime de bout en bout !!

 

Alors on l’oubliera comme dans la chanson ?

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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Ce blog est destiné à collecter nos ressentis de spectateurs, à partager nos impressions sur les films (surtout ceux classés Art et Essai).

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