3 juillet 2019 3 03 /07 /juillet /2019 06:25

De Laure De Clermont-Tonnerre (France USA)

Avec Matthias Schoenarts, Jason Mitchell 

 

Incarcéré dans une prison du Nevada, Roman n’a plus de contact avec l’extérieur ni avec sa fille... Pour tenter de le sortir de son mutisme et de sa violence, on lui propose d’intégrer un programme de réhabilitation sociale grâce au dressage de chevaux sauvages. Aux côtés de ces mustangs aussi imprévisibles que lui, Roman va peu à peu réapprendre à se contrôler et surmonter son passé.

 

Nevada

Robert Redford a produit le film. Et Laure de Clermont-Tonnerre installée aux USA s’est documentée sur des expériences en cours dans diverses prisons - ce que mentionne d’ailleurs le générique d’ouverture et ce qu’illustre le générique de fin.

 

Certes la réalisatrice insuffle une part de romanesque (dont la relation de Roman avec sa fille) dans un cadre et une démarche proches du documentaire. Certes son film est très bien construit : après un prologue assez époustouflant, on va suivre les différentes étapes du dressage jusqu’à la connivence complice entre l’équidé et l’homme que semble immortaliser ce cadrage repris pour l’affiche ; dressage de l’animal qui va de pair avec l’apprentissage du self-control : Roman progressivement apprivoise ses pulsions et s’ouvre  au monde extérieur.

Certes il y a les plaines du Nevada -ces grandes étendues désertiques- (attention il ne s’agit pas de western comme se complaisent à l’affirmer certains critiques pour simplifier ou se référant uniquement à la séquence d'ouverture), et surtout  il y a la présence et  le jeu de Matthias Schoenarts  à la puissance fragile, au mutisme éloquent et au regard qui semble sonder un infini bleu et tourmenté......

 

Mais à partir d'un thème assez convenu - réhabilitation sociale de détenus par une formation au dressage de chevaux sauvages ou en termes plus cliniques et dans d'autres contextes, rédemption par l’équithérapie- la réalisatrice sur-ligne sa métaphore filée (analogies entre la condition de Marquis le cheval et Roman le détenu -deux "bêtes" sauvages - et leur apprivoisement réciproque). De plus, elle semble recourir aux clichés propres au  " film carcéral" - deal, drogue, incompréhension au parloir, cellules et mitard, corps des hommes sous la douche, etc. - comme simples référents illustratifs et il en va de même (parfois) avec la bande-son !!

 

Dommage !

 

Colette Lallement-Duchoze

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30 juin 2019 7 30 /06 /juin /2019 07:00

De Monia Chokri  Canada 

Avec  Anne-Elisabeth Bossé, Patrick Hivon, Sasson Gabai, Evelyne Brochu

présenté au festival de Cannes (Un Certain Regard)

Montréal. Sophia, jeune et brillante diplômée sans emploi, vit chez son frère Karim. Leur relation fusionnelle est mise à l’épreuve lorsque Karim, séducteur invétéré, tombe éperdument amoureux d’Eloïse, la gynécologue de Sophia…

 

La femme de mon frère

Tout est exacerbé voire hystérique dans ce film de Monia Chokri (on l’avait vue comme actrice dans des films de Xavier Dolan). Rythme, montage et raccords, couleurs, dialogues – ponctués de fameuses punchlines- débités à une vitesse folle et même les références à Xavier Dolan. L’actrice Anne Elizabeth Bossé qui interprète Sophia, une trentenaire super diplômée mais sans emploi, célibataire, "amoureuse" de son frère (du moins la relation est très fusionnelle) , est aussi survoltée que le film (attention cela n’enlève rien à sa prestation !!). Et tout en riant -sans se moquer tout à fait- de ce personnage, le spectateur risque sinon d’être exaspéré (à moins que ce ne soit le but recherché par la réalisatrice) du moins de s’ennuyer quelque peu...

 

Et pourtant la scène d’ouverture était prometteuse (pour le ton et pour la façon de filmer). La présidente du jury (Sophia défend une thèse d’anthropologie sur les politiques familiales chez Gramsci) s’exprime face à la caméra dans son jargon philosophique le ponctuant de mimiques qui la transforment en pantin ridicule et névrosé puis elle sollicite l’avis des membres du jury -visages en gros plan face à l’objectif- eux aussi vite discrédités….Un prénom pour le moins symbolique (Sophia) le sujet d’une thèse comme mise en abyme du film, et les querelles de chapelles comme caricature du milieu universitaire... Règlement de comptes? Peu importe.

 

Suit une exposition sous forme de galerie de portraits (Karim le frère, et les parents assez excentriques). Nous voici immergés dans une comédie humaine (façon québécoise) dont les scènes de repas festives exubérantes mais aussi sarcastiques  seront la  "ponctuation" 

 

À partir du moment où la réalisatrice opte pour la sur-stylisation et l’outrance (dans la mise en scène comme dans les dialogues) même si des scènes empreintes de tendresse sont censées assurer un tempo, même si le personnage principal est censé évoluer (de son "infantilisme" initial à une forme de "maturité"  qui passe par l’acceptation de soi et l’acceptation de la "femme de son frère") le film dans son exubérance même a tendance à s’embourber

 

Dommage !!

 

Colette Lallement-Duchoze

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29 juin 2019 6 29 /06 /juin /2019 08:25

de Darko Stante  2018 Slovénie

avec Matej Zemljic, Timon Sturbej, Gasper Markun

A 17 ans, Andrej est placé dans un centre de détention pour jeunes. Il y intègre un groupe de garçons délinquants avec lesquels il se perd dans la drogue et la violence. Mais bientôt les désirs d'Andrej le rattrapent. Démasqué, il va devoir faire un choix pour rester fidèle à lui-même..

Conséquences

En enfermant le spectateur avec Andrej dans un centre de détention, le réalisateur (qui s’inspire de sa propre d’expérience d’éducateur) attaque frontalement un système incompétent et simultanément plaide la tolérance dans un pays où l’homosexualité est encore tabou où les droits de la communauté LGBT évoluent (trop) lentement

 

Après quelques scènes rapides qui illustrent la faillite du milieu parental, nous allons suivre la trajectoire d'Andrej dans le  centre... Là aussi le personnel de surveillance et les éducateurs semblent impuissants face à l’existence d’un microcosme régi par la loi du plus fort, où l'on doit " faire ses preuves" sous la houlette d’un leader à la fois charismatique et violent., Zelko.

Rackets, drogue, alcool, vol de voiture, pugilats, filles ...sont illustrés en des scènes-tableaux au rythme souvent trépidant. Les étapes d’un engrenage, la progression dans la Violence sont saisies  dans une approche réaliste, sans fard.  Et les propos comminatoires des adultes  "sur les conséquences inéluctables"  d'actes répréhensibles  sont frappés d’inanité !

 

Andrej est de tous les plans imposant sa présence de jeune homme à la gueule d'ange et aux muscles d'acier!!!  

Refoulant dans un premier temps son homosexualité,  il l'assume en la concrétisant dans une relation   avec Zelko (plusieurs scènes exaltent le désir ardent du corps ) ...Mais  il sera  trahi…Rejeté par tous les siens (la communication téléphonique avec sa mère, les salves dévastatrices des jeunes du centre  témoignent de l'incompréhension généralisée),  il est  relégué à une  Solitude fondamentale 

 

Andrej incarne une jeunesse sauvage et tendre à la fois  (cf sa relation avec SON rat  blanc et surtout son  choix final...) Et  le plan fixe prolongé qui clôt le film  semble  le magnifier en icône! 

 

Un film saisissant ; un film coup de poing.

A voir! 

 

Colette Lallement-Duchoze 

 

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23 juin 2019 7 23 /06 /juin /2019 08:36

De Quentin Dupieux (Belgique, France) 

avec jean Dujardin, Adèle Haenel, Albert Delpy

 

Sélection Cannes 2019  Quinzaine des réalisateurs

 

Georges, 44 ans, quitte sa banlieue pavillonnaire et plaque tout du jour au lendemain pour s'acheter le blouson 100% daim de ses rêves. L'achat vire à l'obsession et finit par plonger le détenteur du daim dans un délire criminel....

Le Daim

Plus minimaliste qu’au Poste, aussi perturbant que Rubber (le pneu psychopathe ) moins trash que Wrong cops  ( polar dégénéré) encore que… Le daim propose un univers humain aux couleurs marronnasses  (à l’instar de la couleur du blouson 100 % daim), des paysages "naturels" comme floutés (anomalie du regard de Georges qui la communiquerait au spectateur ?) et surtout met en scène une forme de folie qu’incarne avec un certain brio Jean Dujardin.

Georges a décidé d’éradiquer le monde de tous les  blousons ; sa mégalomanie le pousse à en être le seul détenteur. Et nous allons suivre son cheminement depuis ce "caprice"  jusqu’à la schizophrénie, depuis une forme de dépression (style de malade... se plaît-il  à répéter) jusqu’au meurtre. Comme il a reçu en prime (lors de son achat) un caméscope, il va s’amuser à filmer…à .se filmer (jouant son  Alain Cavalier) imaginant un dialogue entre lui et son blouson. Denise, une barmaid (admirable Adèle Haenel) qui rêve d’être monteuse,  sera son acolyte…

 

Ainsi et à l’inverse des autres films de Quentin Dupieux,  la  " folie" n’est pas dans la construction du récit mais elle habite le personnage principal: ce qui autorise à  suivre sa progression, scandée d'ailleurs par le motif instrumental récurrent de Mort Stevens -tiré de la série  Hawaii Five-0 - The Long Wait -

 

Mais comme dans d’autres films de ce réalisateur,    il y a le film et l’histoire du film. Georges (double peut-être du cinéaste qui pratiquerait l'auto-dérision)  est un piètre "réalisateur":  il apprend son  "métier" sur le tas en s’aidant d’un manuel et il est encouragé par Denise (elle a remonté dans l’ordre Pulp fiction et c’est franchement nul …) Il commande il cadre il impose de rares répliques à de rares individus de " passage"  (cinéphiles accostés  à la sortie de l’unique salle de cinéma dans un bled assez paumé par exemple) "je promets de ne plus jamais porter de blouson" . Et ce qu’il filme, Denise le voit sur petit écran tout comme le spectateur d’ailleurs (cf l’affiche)

 

Une étrange  étrangeté, un humour comme "décalé", des cadrages qui rappellent parfois des "vignettes", une bande sonore qui convoque entre autres Jo Dassin (en ouverture) Et si tu n'existais pas.....autant de bonnes raisons (parmi d'autres...) pour aller voir cette comédie! 

 

Mais il y a les irréductibles, ennemis farouches de cet univers déjanté ! 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

….

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21 juin 2019 5 21 /06 /juin /2019 12:36

Suite au scandale de la projection de L’ÂGE D’OR à Paris en 1930, Luis Buñuel se retrouve totalement déprimé et désargenté. Un ticket gagnant de loterie, acheté par son ami le sculpteur Ramon Acin, va changer le cours des choses et permettre à Buñuel de réaliser le film TERRE SANS PAIN et de retrouver foi en son incroyable talent. 

Buñuel après l’Age d’or

Ce film d’animation raconte le tournage (assez épique) du documentaire "terre sans pain", réalisé en 1932  par Bunuel (1900-1983) Sorte de making of il  mêle réalisme et onirisme, incrustant aussi des images en noir et blanc du documentaire lui-même.

Nous voici projetés à la fois dans l’univers mental du cinéaste (ne serait-ce que par la récurrence de scènes de son enfance traumatisée par la relation au père et par des cauchemars), dans le paysage et les mœurs d’une des régions les plus pauvres d’Espagne, les Hurdes, et au coeur même de l’acte Créateur.

L’équipe de tournage ? Un jeune poète parisien Pierre Unik, le photographe français Eli Lotar, l’ami sculpteur Ramon Acin -qui a financé le projet après avoir gagné à la loterie... - et Luis Buñuel. Salvador Simo (ex dessinateur pour Disney) a opté pour les couleurs à dominante mordorée jaune-brun et brunâtre ; il a fait appel à Arturo Cardelus pour la partition -dont certains extraits hanteront la sensibilité du spectateur bien après la projection…

.Et le portrait qu’il brosse du cinéaste est sans complaisance : non seulement par souci de "réalisme"  (quitte à le « forcer ») ce dernier n’a pas hésité à faire décapiter un coq, à "tuer" des chèvres afin de les filmer dans leur chute dans le ravin, ou encore à sacrifier un âne ….dévoré par des abeilles ; il va jusqu’à  "mettre en scène"  une liturgie funèbre, un bébé mort, dans un moïse qui s’en va rejoindre l’élément liquide…..

Mais au cours de ce tournage, cet homme autoritaire, exigeant et fantasque va s’humaniser -et en cela le film de Salvador Simo est aussi un récit initiatique- ; de même que "Terre sans pain" -même s’il fut un temps interdit de projection- marquera un tournant dans le parcours du cinéaste (il devient ce qu’il sera)

Choquer pour conscientiser les esprits ? Donner à VOIR une population laissée à l’abandon, aux conditions de vie insalubre (et c’est un euphémisme). Une vue en plongée sur des toits qui ressemblent étrangement à des carapaces de tortues, un labyrinthe de ruelles, des êtres faméliques, des bouches édentées, un environnement austère, la mort qui rôde. Après le délire surréaliste de L’Age d’or, voici le documentaire social Terre sans pain .

Mais dans Bunuel après l’âge d’or, la veine surréaliste coexiste avec le making of. Voici des éléphants aux pattes graciles, (on pense à la tentation de Saint Antoine de Dali) voici une théorie de poules au bec rouge prédateur: ils envahissent l’écran comme ils taraudent l’esprit tourmenté de Luis Bunuel...Et le voici lui-même déguisé en Bonne Sœur (au grand dam des autorités locales…) Pied de nez à ??? Toute sa filmographie -à venir- sera à jamais marquée par la coexistence du rêve et de la réalité, du vécu et du fantasmé, de l’intériorité et de l’extériorité bousculant l’ordre existant obligeant le spectateur à douter de sa pérennité

Un film d’animation à ne pas rater !!

 

Colette Lallement-Duchoze 

 

 

Voici un lien pour  visionner terre sans pain 

https://www.dailymotion.com/video/x2t72xy

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17 juin 2019 1 17 /06 /juin /2019 08:49

de Dexter Flectcher

avec Taron Egerton, Jamie Bell,  Richard Madden

 

Sélection Cannes 2019

 Le film retrace la métamorphose de Reginald Dwight, un jeune pianiste prodige timide, en une superstar mondiale. Il est aujourd’hui connu sous le nom d’Elton John. Son histoire inspirante – sur fond des plus belles chansons de la star – nous fait vivre l’incroyable succès d’un enfant d’une petite ville de province devenu icône de la pop culture mondiale. 

Rocketman

Producteur du film, Elton John avait demandé à ce que la personne qui joue son rôle "sache chanter ". Ainsi et contrairement à la majorité des biopics musicaux, l'acteur Taron Egerton chante en les réinterprétant chacune des chansons de Rocketman. Et rien que pour la "prestation" de l’acteur et le plaisir de entendre les tubes des années 70 80, cette fiction romancée qui tient du biopic et de la comédie musicale vaudrait le déplacement!!!

 

Une scène d’ouverture fracassante : le chanteur en costume à plumes et cornes rouges, entre dans le champ de la caméra avançant vers elle comme s’il allait se produire sur scène...En fait il est attendu par le groupe des alcooliques anonymes ; dès lors il va "raconter"  "se raconter" : son enfance entre un père militaire très distant et une mère folâtre, le trauma dû au  manque d’affection (hormis celle prodiguée par la grand-mère) ses débuts de jeune pianiste prodige, et son ascension fulgurante,  jusqu’à la cure de désintoxication. Soit pour simplifier enfance, ascension, rédemption. Ce schéma lui-même est frappé de suspicion

Et si j’étais moins bon sans l’alcool et les drogues ?

La suite du parcours ce sera pour le générique de fin mais qui  insiste plus sur des choix de vie que sur la musique (abstinence depuis 28 ans…création d’une fondation qui lutte contre le sida, découverte de l’amour).

 

Le film doit dire toute la vérité, sur l’addiction à l’alcool, aux drogues, sur la solitude de l’homosexuel  Hélas leur traitement est souvent entaché par une forme très désagréable de complaisance… L'émotion sincère (?) d'Elton John en découvrant le film à Cannes  ne serait-elle pas liée à la fabrication d’une légende -à laquelle d'ailleurs il a été fier de participer ??? Un biopic aux accents d’hagiographie ???

 

Il est regrettable que le symbolisme du  "dénuement" (Taron Egerton au cours de sa "confession" se débarrasse progressivement de son costume flamboyant pour se revêtir in fine d’un peignoir gris terne) soit si éculé.

Dommage aussi que le trauma de l’enfant mal aimé - thématique  récurrente- soit si appuyé (et la séquence au fond d’une piscine où le chanteur est confronté à son moi/enfant en scaphandre est d'un   goût  douteux …)

De même les "scènes d’apesanteur"  censées illustrer la chanson titre (homme fusée) où l’on voit le chanteur décoller de son piano alors que la foule en délire est en lévitation, frisent le grotesque

 

Un film au rythme souvent enlevé qui, à n’en pas douter, aura autant de détracteurs que de zélateurs !!

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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16 juin 2019 7 16 /06 /juin /2019 07:28

de Bertrand Bonnello (France Haïti)

avec Louise Lebeque, Wislanda Louimat, Adilé  David

 

présenté à Cannes 2019 (Sélection Officielle) 

Haïti, 1962. Un homme est ramené d'entre les morts pour être envoyé de force dans l'enfer des plantations de canne à sucre. 55 ans plus tard, au prestigieux pensionnat de la Légion d'honneur à Paris, une adolescente haïtienne confie à ses nouvelles amies le secret qui hante sa famille. Elle est loin de se douter que ces mystères vont persuader l'une d'entre elles, en proie à un chagrin d'amour, à commettre l'irréparable.

Zombi Child

Comment faire coexister l’histoire vraie de Clairvius Narcisse, celle d’adolescentes pensionnaires à l’école de la Légion d’honneur (fondée par Napoléon…) , l’interrogation sur la liberté, la transmission de l’histoire, la dénonciation de l’esclavage ?

Bertrand Bonello (réalisateur exceptionnel  de Tiresia, l’Apollonide, Nocturama) a certes choisi le montage alterné – deux lieux, deux temporalités (Haïti en 1962 1980 et Paris XXI°siècle), deux façons de filmer; mais il les relie par de subtiles correspondances  : ainsi la voix de Melissa récitant un extrait d’un poème de René Depestre semble se confondre avec celle du poète ; ainsi les parallèles -inclus dans le titre-, entre la souffrance du vrai zombi et les inquiétudes des lycéennes de Saint-Denis ; (mais avec ces audaces contrastées entre la rigidité des salles de cours à la lumière froide, des élèves figées telles des statues, et sa transgression par la musique rap de Damso..)

Mais  c’est la séquence du cours d’histoire où l’on entend Patrick Boucheron (professeur au Collège de France il interprète ici un enseignant) énoncer ces vérités  "Napoléon a achevé la Révolution dans les deux sens du terme" ou "comment raconter l’Histoire alors qu’elle est hoquetante"  qui -située juste après une scène d’ouverture presque terrifiante-, va irriguer telle une mise en abyme tout le film…( par un jeu permanent d’échos tant formels que thématiques ne serait-ce que par ces histoires souterraines hésitantes et résurgentes)

Le film s’ouvre sur les "préparatifs" à la  lenteur calculée d’une mise à mort : on extirpe d’un poisson spongieux ce qui va servir à fabriquer une poudre que l’on verse dans une paire de chaussures ; puis dans une rue déserte et sombre la caméra suit en travelling la victime titubante qui s’effondre : c’est Clairvius Narcisse. Nous sommes en 1962 Haïti ...Il sera enterré, déterré, exploité dans les champs de canne à sucre .La figure de ce zombi hante encore l'Histoire et les mentalités !

Et c’est Melissa (personnage de fiction) dont les parents ont connu la dictature de Duvalier, qui servira de relais ; pensionnaire intronisée par Fanny dans le cercle des sororités, elle "racontera"  l’histoire de son grand-père

 

Progressivement les frontières s’abolissent : images et paroles se confondant par des effets de superposition ; images mentales et réalité (l’être aimé fantasmé(?) dont se languit Fanny jusqu'à en être possédée) ; rites et rituels à l’atmosphère curieusement envoûtante (ceux pratiqués par le cercle des 5 pensionnaires à Saint-Denis et ceux des Haïtiens avec Baron Samedi par exemple); etc.

 

Tout cela fait de Zombi Child un film presque hypnotique ; à condition -excusons ce truisme- de se laisser porter voire transporter  !

 

Colette Lallement-Duchoze

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10 juin 2019 1 10 /06 /juin /2019 07:10

de Bong Joon-Ho (Corée Sud) 

avec Song Kang-Ho, Cho Yeo-jeong, Lee-Sun-Kyun, So-Dam Park

 

Palme d'Or Cannes 2019

Toute la famille de Ki-taek est au chômage, et s’intéresse fortement au train de vie de la richissime famille Park. Un jour, leur fils réussit à se faire recommander pour donner des cours particuliers d’anglais chez les Park. C’est le début d’un engrenage incontrôlable...

Parasite

Le réalisateur recommandait de ne rien "dévoiler" de son film avant la sortie officielle. Et de fait on ne raconte pas l’intrigue faite de soubresauts, de pièges (ceux tendus par les arnaqueurs mais aussi par le cinéaste) ; le spectateur doit se laisser entraîner dans un labyrinthe un puzzle au dénouement « inattendu » . Le titre lui-même est polysémique ! Le vocable parasite peut désigner un perturbateur humain, biologique et  "communicationnel"

 

Puisque le seul recours pour survivre -quand on est chômeur, que l’on vit dans les bas-fonds mais qu’on dispose d’un portable- est le vol, rien d’étonnant à ce que l’on profite du wifi  du voisin...On parasite. Puis se met en place avec méthode et ingéniosité une "manipulation" qui fera des quatre membres de la famille (les parents et leurs deux enfants) des arnaqueurs ; sympathiques au demeurant, ils profitent (en tant que parasites) de la naïveté (comique) du couple employeur, les Park….Seule suspicion une odeur -que détecte leur jeune enfant- l’odeur indélébile des égouts, de la Misère ; elle risque de parasiter l’air ambiant  

Mais quand à un moment le film bascule vers  l’horreur que le rythme s’accélère qu’une descente vertigineuse nous mène aux portes de l’enfer, et qu’un déluge... les rires se figent -encore que -

La violence sociale, celle des criantes inégalités sert ainsi de toile de fond à la déshérence de ces êtres qui vivent dans les bas-fonds ; et une palette souvent bichrome est au service d’une peinture contrastée entre les "richissimes" qui vivent à la lumière (à noter ici que la somptueuse maison des Park est construite sur un abri anti-atomique au cas où la Corée du Nord…) et ceux qui doivent se contenter du glauque, des "miasmes morbides". À cela s’ajoutent la subtilité des changements de rythme et de tonalités (mélange de comique et de tragique), la prestation des acteurs, et cette fluidité dans la narration alors même qu’elle traduit des chocs et des heurts !

Parasite: Une comédie sans clowns, une tragédie sans méchants (propos du réalisateur)

Parasite: un film à ne pas rater

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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7 juin 2019 5 07 /06 /juin /2019 12:59

de Jim Jarmusch (USA)

avec Bill Murray, Adam Driver, Tilda Swinton, Tom Waits

 

présenté en ouverture du festival de Cannes 2019

Dans la sereine petite ville de Centerville, quelque chose cloche. La lune est omniprésente dans le ciel, la lumière du jour se manifeste à des horaires imprévisibles et les animaux commencent à avoir des comportements inhabituels. Personne ne sait vraiment pourquoi. Les nouvelles sont effrayantes et les scientifiques sont inquiets. Mais personne ne pouvait prévoir l’évènement le plus étrange et dangereux qui allait s’abattre sur Centerville : THE DEAD DON’T DIE – les morts sortent de leurs tombes et s’attaquent sauvagement aux vivants pour s’en nourrir. La bataille pour la survie commence pour les habitants de la ville.  

The Dead don't die

Voici Ronnie (Adam River) et Cliff (Billy Murray) son chef désabusé ; ils patrouillent, la routine quoi ! et la ville défilera en un long travelling latéral (avec les images iconiques du commissariat, des pompes funèbres, de la station service avec son tenancier friand de fanzines et d’histoires d’horreur(mise en abyme).) et voici le diner (façade alu)

Mais la terre est sortie de son axe suite à une fracture hydraulique polaire. Les repères temporels sont abolis. Et cette catastrophe écologique fait sortir les morts de leurs tombes, leur nombre grossit envahit une ville jusque-là pépère... Ces "zombies" voraces  se nourrissent  des vivants (alors on aura droit à des plans prolongés sur les premiers corps éventrés, sur des morceaux d’intestin que suce un zombie en qui on aura reconnu Iggy Pop ; mauvais goût ...apparemment revendiqué...)

Protégés dans leur habitacle, les deux "patrouilleurs" -quand ils ne participent pas à la décapitation de zombies par le sabre ou les armes à feu- s’interrogent sur le scénario : oui ils ont lu le script oui ils connaissent la chanson de Sturgill Simpson the dead don’t die (normal c’est la chanson-titre affirme nonchalant Ronnie). Oser un pied de nez au réalisateur avant de disparaître eux aussi (mort du scénario?)

 

Que la préposée aux pompes funèbres aux allures de samouraï (Tilda Swinton) soit protégée par la soucoupe qui in fine la recueille dans les airs (non contaminés ?), que les trois ados échappent à l’apocalypse (on ne sait trop pourquoi), que la voix de l’ermite qui a élu domicile depuis belle lurette dans la forêt (Tom Waits en homme des cavernes hirsute) soit celle de la Sagesse, que tout cela joue le rôle de contre point pourquoi pas ??

Mais avouons-le quelque chose "cloche" dans ce film

Un message  si poussif et tautologique qu’il est contre-productif. Un scénario et une mise en scène aux références (tant au cinéma qu’à la littérature) trop visibles. La métaphore appuyée de la voracité -matérialiste-

 

On  pourra toujours objecter que le film n’était qu’un jeu, une farce mi-grotesque mi-tragique!!

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

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6 juin 2019 4 06 /06 /juin /2019 06:03

de Jean-Pierre et Luc Dardenne (Belgique)

avec Idir Ben Addi , Myriam Akheddiou, Olivier Bonnaud

 

Prix de la Mise en scène Cannes 2019

En Belgique, aujourd’hui, le destin du Jeune Ahmed, 13 ans, pris entre les idéaux de pureté de son imam et les appels de la vie.

Le jeune Ahmed

Il se prénomme Ahmed, il a 13 ans, et déjà tout son être est envoûté (au sens fort) par les paroles de l’imam. Ce dont témoignent les gestes récurrents de la prière, des ablutions, et l’apprentissage du Coran, qui désormais vont scander le rythme de ses jours. Trop jeune pour prendre quelque distance, ou plutôt déjà trop radicalisé, il met un point d’honneur à appliquer à la lettre certains préceptes. Se sentant investi d’une mission, il doit « tuer » sa prof d’arabe car c’est une mécréante !!! (elle refuse de prendre pour support de ses cours les textes coraniques.Geste effarant -cette tentative d'homicide- qui le conduit directement dans un centre de détention et d’éducation pour adolescents (la partie la plus longue du film)

Comment ce jeune de 13 ans en est-il arrivé là ? Cela n’intéresse pas les réalisateurs. Pas de démonstration psychologisante. Pas de lestage socio-économique (comme chez Ken Loach). Le factuel à l’état brut. De longs plans séquences, une caméra qui colle au personnage : on reconnaît la marque des frères Dardenne (cf Rosetta La promesse L’enfant) Une mise en scène qui privilégie les petits gestes, ou/et le corps mal à l’aise souvent dégingandé, une attention particulière aux "professionnels",  éducateurs pétris de bienveillance, et c’est bel et bien une autre approche d’un sujet désormais ancré dans notre quotidien : la radicalisation islamique. Mais ici on est presque aux antipodes du film -peu convaincant- de Téchiné L’adieu à la nuit

Ahmed ne rit pas, ne sourit pas (hormis une seule fois...) . Enfermé dans ses certitudes, c’est un bloc hermétique, comme si sa part d’enfance était à jamais abolie. Ce que déplore sa mère quand, lors d’une visite au centre, elle le serre dans ses bras telle une piéta "j’aimerais tellement que tu redeviennes comme avant". Le séjour à la ferme reliée au centre fermé où il est détenu, sera-t-il salutaire ?

Un film âpre et sobre, épuré et pessimiste

Quand cloué au sol Ahmed implore sa "maman" -est-ce la résurgence de l’enfance? ou quand il demande "pardon" - est-ce la part de l’irréductible .....enfin mise à mal ? Ou….?

Je vous laisse juge !!!

Colette Lallement-Duchoze

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Ce blog est destiné à collecter nos ressentis de spectateurs, à partager nos impressions sur les films (surtout ceux classés Art et Essai).

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