De Albert Serra (Espagne France)
Avec Helmut Berger, Marc Susini, Iliana Zabeth
Prix spécial du Jury de Cannes dans la sélection Un Certain Regard
1774. Madame de Dumeval, le Duc de Tesis et le Duc de Wand, libertins expulsés de la cour puritaine de Louis XVI, recherchent l’appui du légendaire Duc de Walchen, séducteur et libre penseur allemand, esseulé dans un pays où règnent hypocrisie et fausse vertu. Leur mission : exporter en Allemagne le libertinage, philosophie des Lumières fondée sur le rejet de la morale et de l’autorité, mais aussi, et surtout, retrouver un lieu sûr où poursuivre leurs jeux dévoyés. Les novices du couvent voisin se laisseront-elles entraîner dans cette nuit folle où la recherche du plaisir n’obéit plus à d’autres lois que celles que dictent les désirs inassouvis ?
Oui ce film sur la déliquescence et le stupre libertin aux accents sadiens, fait du spectateur un voyeur (à l’instar de ces personnages en retrait ou armés d’une longue vue ou tapis derrière un arbre…)
Serait-ce la raison pour laquelle des spectateurs quittent la salle ?? Mais de la pudibonderie faisons fi, car après tout l’orgasme dans ce film n’est-il pas essentiellement mental et la parole cardinale ?
Nous étions 7, nous restâmes 3 ….
3 à apprécier cette façon de filmer qui, par la magie du cadre et la répartition des couleurs, transforme chaque personnage et chaque coin de la forêt en tableau (Fragonard, Boucher), qui fait du clair-obscur une syntaxe, qui théâtralise avant-scène et arrière-plan
3 à être sinon envoûtés du moins emportés dans un voyage où s’enchevêtrent une rêverie quasi mystique, une déclinaison des plaisirs et sévices sexuels, (de la fellation à l’ondinisme, de la pénétration à la flagellation), et une sorte de fresque historique (des chaises à porteurs qui vont jouer le rôle de mini-studios côtoient arbres et sous-bois, costumes d’époque et perruques, langage précieux, revendications "révolutionnaires" )
Si l’on ajoute un sens aigu de la dramatisation (voici une tempête tellurique où le ruissellement de la pluie s’accouple à la sudation des efforts érotiques, où le mugissement des éléments prolonge les râles des plaisirs), la circularité de la construction (aux premiers longs plans fixes sur la forêt qui s’obscurcit progressivement répondent ceux de la fin où le bleu du ciel et la lumière sont annonciateurs d’une aube nouvelle mais aussi….peut-être ...du retour à la normalité!!) ; si l’on ajoute cette alliance des contraires (Albert Serra fait se côtoyer laideur et beauté, jeunesse et vieillesse, roture et noblesse) et la toute puissance du regard : voilà encore de bonnes raisons de déchirer l’écran de la salle afin de pénétrer dans ce "bois empoisonné", cette forêt entrelacs des fantasmes, à la singularité inextricable, et "participer" à cette cérémonie de LA LIBERTE éprouvante et mortifère, sensuelle et poétique….
Un film à la lenteur calculée, à ne pas rater !
Colette Lallement-Duchoze