d'Alexander Abaturov (2022)
Photographie Paul Guilhaume
Son Myriam René, Sorin Apostol, Frédéric Buy
Musique Benoît de Villeneuve, Benjamin Morando, Delphine Malausséna, Les Percussions de Strasbourg
À l’été 2021, une vague de chaleur et une sécheresse exceptionnelle provoquent des incendies géants qui ravagent 19 millions d’hectares dans le nord-est de la Sibérie. Dans cette région, au cœur de la taïga, le village de Shologon se voile d’un épais nuage de fumée. Les cendres noires portées par le vent propagent des nouvelles alarmantes : la forêt est en feu et les flammes approchent. Abandonnés par le gouvernement, livrés à eux-mêmes, les habitants doivent s’unir pour combattre le Dragon
Pénétrer dans les entrailles du Monstre, filmer au plus près la solidarité humaine tout en dénonçant l’incurie délibérée des pouvoirs tel est le parti pris assumé du documentariste Alexander Abaturov (dont nous avions apprécié Le Fils Le fils - Le blog de cinexpressions)
C’est l’apocalypse zombie s’esclaffent les gamins.
Un paradis transformé en enfer ? La vie en Sibérie est peut-être plus rude qu’ailleurs, mais c’est notre paradis et nous n’en avons pas d’autre. Le paradis, c’est l’ici et le maintenant. Mais le paradis est aussi fragile et peut se transformer en enfer Dans ces zones de contrôle (appellation ironique, cynique, qui ne résisterait pas à un examen critique et historique) l’état s’est désengagé "légalement" et laisse les habitants livrés à eux-mêmes au plus fort des désastres
Refus du sensationnalisme ? Or les crépitements tumultueux, les couleurs jaunes rouges ambrées des flammes qui saignent de rage et de véhémence, les visages affairés et souillés, la répartition des couleurs contrastées et celle de l’espace -forêt et immensité céleste- rappellent un embrasement apocalyptique et transforment l’écran de la salle en brasier. Comme si en "filmant" le feu on ne pouvait échapper à ces aspects "spectaculaires". Et les images sur écran dé téléphone en décuplent la tragique portée. Or, dans cette contrée si lointaine de Sibérie, et plus particulièrement le village de Shologon, une "foi" animiste habite les villageois qui vont convoquer les « divinités » ancestrales. Le feu est perçu comme un prédateur un Dragon qui dort, menace, rugit, s’empare de la forêt ; lui faire face ensemble, parer sa menace, puis contrer son piège dévastateur, n’est-ce pas la force intrinsèque de Paradis, sa dynamique ?
La fumée (plus que le rouge flamboiement ou le crépitement) est assurément « la trame dramaturgique » du film (symbole de la menace qui gronde, elle aussi est mortifère) Le film semble composé de deux « parties » : la menace (attente angoissée, analyse précise de cartes, mesures préventives) et l’incendie lui-même dévastateur (lutte, mise en place d’un contre incendie).
Le son est très important dans ce film/documentaire J’ai décidé de ne pas utiliser de musique traditionnelle yakoute ni de chant de gorge. Notre choix s’est porté sur les tambours et les instruments à percussion. C’est un patrimoine partagé : dans le monde entier, les humains ont toujours joué des percussions. Elles existent partout, dans toutes les cultures. L’idée n’était pas de poser un regard exotique sur les personnes filmées, mais de montrer ce que nous avons en commun avec elles
Paradis: une catastrophe écologique? Ce que confirme le carton informatif qui s’affiche à l’écran avant que ne défile le générique de fin 19 millions d’hectares consumés en Russie pendant l’été 2021, 90 % des incendies venaient des « zones de contrôle ». Pour la première fois, on a vu des cendres voler jusqu’au pôle Nord .
Certes il y a un happy end (la pluie salvatrice puis la pêche « miraculeuse ») mais ce n’est que « provisoire » (tant que l’inconscience en haut lieu et son lot de choix capitalistes éhontés perdureront !!!)
Un film à voir de toute urgence
Colette Lallement-Duchoze