22 décembre 2023 5 22 /12 /décembre /2023 05:43

Diptyque  réalisé par Mila Turajic (France Serbie Croatie Qatar 2022)

 

 Toronto International Film Festival, Première Mondiale ; DOK Leipzig, Première Européeenne ; International Documentary Filmfestival Amsterdam (IDFA), Best of Fest ; Festival International du Cinéma d'Alger ; Trieste Film Festival ; Dublin Film Festival ; Zagreb Dox ; Visions du Réel, Nyon ; It’s all true, Brésil ; Festival du Film d’auteurs de Belgrade ; Crossing Europe Film Festival, Vienne ; Uruguay International Film Festival

 

 

Synopsis  Non Alignés & Ciné-Guérillas est un diptyque documentaire de 2 longs métrages, qui nous embarque dans un road trip en archives  en s’appuyant sur des images 35mm inédites, filmées par Stevan Labudović, le caméraman du Président yougoslave Tito. Non Alignés fait revivre la naissance du mouvement, en examinant comment un projet global d’émancipation politique a été façonné par l’image cinématographique. Ciné-Guérillas nous plonge dans la bataille médiatique qui s'est jouée pendant la guerre d'indépendance algérienne où le cinéma a été mobilisé comme arme de lutte politique contre le colonialisme.

Ciné guérillas et Non alignés scènes des archives Labudovic

Plongeant dans des centaines de bobines de films en 35 mm, une pièce sans lumière où sont entreposées les archives Labudovic, aidée par la cheffe des archives,  puis interviewant des "témoins" encore vivants au moment du tournage - Mila Turajic réalise  deux documentaires "exceptionnels" : des "images"  inédites, qui vont "bouleverser" notre vision de l'Histoire 

 

Pour les deux  longs métrages,  le spectateur est guidé par la voix off de la réalisatrice;  censée définir la genèse du projet, "contextualiser", faire part aussi de ses étonnements et de sa fierté. Elle  se plaît à faire  éclater la  chronologie en  superposant les temporalités (elle interroge celui qui fut plus de 20 ans le cameraman de Tito Stevan Labudovic, nous le voyons l'entendons  commenter ses propres documents  -films et carnets de terrain -, oser certaines  remarques dans la façon de filmer, alors que défilera sous forme d'extraits une double "épopée":  la guerre d'Algérie vue du côté des résistants à la colonisation française et  la création à Belgrade du mouvement né durant la guerre froide en 1956 (Yougoslavie, Egypte, Cuba Inde entre autres) qui a refusé de s'aligner sur le bloc de l'Est comme sur celui de l'Ouest 

 

À la fois film d’aventure en temps de guerre, portrait intime d’une amitié intergénérationnelle à travers la mémoire et le récit historique d’un mouvement d’opposition méconnu, Ciné-Guerrillas: Scenes From the Labudović Reels est un film sur la puissance des images, vecteurs de récits oubliés et d’intimités complices, et outil d’organisation des pouvoirs" (Madeleine Robert - Visions du réel) 

 

Plus d'un demi-siècle  après les "faits", force est de constater que la rhétorique des pays occupants et leur méthode sont  inchangées ....

 

Un diptyque salutaire à voir de toute urgence

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

 

 

NB Née en 1979 à Belgrade, la réalisatrice a été marquée par la guerre civile qui mit fin à la Yougoslavie. Son film s’inscrit dans la lignée de son travail où, comme l’explique un article du site Film Documentaire, elle s’intéresse à la mémoire de ce pays disparu en interrogeant les images produites et les acteurs de cette histoire. Dans son premier long-métrage, Cinema Komunisto (primé à 16 reprises), elle rencontre Leka Konstantinovic, le projectionniste attitré de Tito. Il lui raconte comment Tito s’est servi du cinéma pour produire l’histoire d’un État.

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20 décembre 2023 3 20 /12 /décembre /2023 08:28

d'Alexander Payne (USA 2023)

 

avec Paul Giamatti (le professeur Hunham), Dominic Sessa (le pensionnaire Angus) Da'vine Joy Randolph (la cheffe cuisinière Mary Lamb)

Hiver 1970 : M. Hunham est professeur d’histoire ancienne dans un prestigieux lycée d’enseignement privé pour garçons de la Nouvelle-Angleterre. Pédant et bourru, il n’est apprécié ni de ses élèves ni de ses collègues. Alors que Noël approche, M. Hunham est prié de rester sur le campus pour surveiller la poignée de pensionnaires consignés sur place. Il n’en restera bientôt qu’un : Angus, un élève de première aussi doué qu’insubordonné. Trop récemment endeuillée par la mort de son fils au Vietnam, Mary, la cuisinière de l’établissement, préfère rester à l’écart des fêtes. Elle vient compléter ce trio improbable.

Winter break

Si ce film manque d’originalité et dans le fond et dans la forme, sa sortie à quelques semaines des congés scolaires et des fêtes de fin d’année peut faire « sens ». Ne serait-ce que par un étalage bien ficelé de bons sentiments, ne serait-ce que dans cette relation très positive qui se construit sous nos yeux, par un apprivoisement réciproque, relation entre un professeur pervers narcissique, un élève esseulé turbulent et une cuisinière plantureuse à l’écoute des cœurs meurtris. Et même si nous sommes en décembre 1970, que la guerre du Vietnam est présente, Noël est le prétexte à se focaliser sur la solitude, celle qui étreint trois figures du deuil (une paternité avortée pour le professeur, Paul Hunham, la perte d’un fils au Vietnam pour la cuisinière Mary Lamb et pour le pensionnaire Angus la perte symbolique d’un père qui de par sa maladie mentale a cessé d’embrasser le réel). Une solitude, un isolement si criant.es de vérité plus de 50 années après ! Car ce film aux allures de « conte » (et pourtant ancré dans le réel) est comme un viatique efficace, un garde-fou contre la dépression et la solitude …(le temps d’un break?… ) Les trois personnages (ces holdovers -titre original- ceux qui restent) sont attachants ( le prof, atrabilaire, pervers sadique s’humanise : il cède aux injonctions poignantes d’Angus, lors de l’escapade à Boston, il bat sa coulpe quand la mère écœurée par le comportement de son fils opterait pour un changement d’établissement)

Un film  conventionnel, académique, non dénué d’humour - or si certaines répliques ont la puissance de savoureux aphorismes , l'humour est souvent caricatural (le prof qui pontifie citant à tire-larigot Cicéron Marc-Aurèle, le prof qui siffle l’air des Walkyries lors de la remise de copies pour humilier ces « gosses de riches » qu’il « conchie », le prof addict à l’alcool). Un film non dénué de symboles aussi (mais force est de constater  que celui lié à l’œil de verre est bien trop appuyé)

Cela étant, les fans d’Alexander Payne et d’autres cinéphiles seront sensibles à cette façon de « raviver » une période, une ambiance celle de la Nouvelle Angleterre des années 70 (la mise en scène est souvent éblouissante, même si le cinéaste use et abuse de surimpressions) et ce faisant de rendre hommage au cinéma des seventies  (cf le grain à la fois visuel et sonore, le naturalisme de l’époque)

 

A vous de juger !

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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19 décembre 2023 2 19 /12 /décembre /2023 06:27

d'Elene Navariani (Géorgie 2023)

 

avec Eka Chavieishvili, Teimuraz Chinchinadze

 

Quinzaine des cinéastes, Cannes 2023

Ethéro tient une épicerie dans un petit village reculé en Géorgie. À 48 ans, cette femme indépendante et solitaire découvre tardivement l’amour et sa sexualité. Alors que cette passion nouvelle change sa façon d’envisager son avenir, elle doit faire face aux commérages des femmes de sa communauté et aux fantômes des figures patriarcales de sa famille...

Blackbird, blackberry

Une sensualité à fleur de regard, de main - regard qui capte le merle chanteur, main qui cueille délicate une mûre -c’est la scène d’ouverture (qui suit de près le bouillonnement de plus en plus impétueux de l'eau...comme prémices du désir?) , et cette sensualité imprègnera tout le film (manger avec gourmandise d’énormes gâteaux aura quelque chose de savoureusement léger,   inhaler les odeurs de la peau, des vêtements aura  quelque chose de voluptueusement liturgique)

Mais dès la séquence d’ouverture, en imaginant son double mort suite à une chute, se profile subrepticement la présence de la Mort ; un plan sur un cercueil à l’hôpital de Tbilissi lui fera écho dans la dernière partie du film;. Entre les deux Ethero aura connu  le pouvoir quasi magique de l’Amour. (enfin après 48 ans de virginité !!!). Thanatos aurait provoqué l’irruption d’Eros ?

 

Un présent terne et morose (on pense bien évidemment à Kaurismaki dans la façon de l’appréhender) -fait de solitude, de silences, de gestes répétitifs dans la gestion de la boutique Rien que pour vous : beauté et confort, un présent marqué par la récurrence de quolibets et sarcasmes sexistes déversés par la gent féminine (qui lui rappelle ironiquement le sort dévolu à la femme et dont elles semblent s’acquitter…) Or semble nous démontrer la cinéaste  n’est-ce pas le patriarcat qui fragilise la solidarité entre les femmes ? Un passé certainement douloureux (que l’on exhumera par bribes sans verser ni dans le misérabilisme ni dans l’apitoiement -seules les photos/témoins des hommes castrateurs seront exhibées ou camouflées au gré des visites). Un quotidien avec lequel Ethero décide de rompre : les odeurs, la chair, les caresses, la voix de Mourmane (Un gentil chien au milieu de tous ces loups) vont le bouleverser.  Ethero vit la passion amoureuse comme une adolescente et son regard magnétique irradie son visage son être tout entier ; mais toujours dans l’observance d’une forme de bien-pensance (ah ces traditions locales patriarcales si tenaces), en évitant les regards réprobateurs et bien pire les « qu’en dira-t-on » Emerveillement et légèreté ne sauraient donc entacher la méfiance (être à l’affût, choisir des lieux isolés, comme dérobés au regard d’autrui, etc.)

La sexualité est filmée de façon paradoxalement pudique -voyez ces corps nus vieillissants dont celui d’Ethero à la surcharge pondérale évidente, s’étreindre et jouir ; corps filmés avec douceur sans vulgarité, car la caméra d’Elene Naveriani n’est jamais intrusive. La  rondeur devient sculpturale  ( Botero)  Et le plan   choisi  pour l'affiche baigne dans  un hédonisme lumineux qui rappelle certaines peintures

 

Adapté du roman éponyme (en français, Merle, merle, mûre) de Tamta Mélachvili, écrivaine géorgienne et militante féministe, le film d’Elene Naveriani insiste sur l’indépendance de son héroïne (étonnante Eka Chavleishvili). Au plus fort de la passion Ethero ne cèdera aux propositions plus ou moins machistes de Mourmane (quel avenir en Turquie, sinon laver, nettoyer, attendre l’époux ? que nenni !!)

Ethéro est une féministe instinctive qui n’a rien appris dans les livres, Elle tient à son indépendance même si elle fait l’objet des commérages de ses amies, qui la taxent de vieille fille. Je pense que cette toxicité et ce genre de piques entre proches sont caractéristiques de l’identité géorgienne (propos de la réalisatrice)

 

Une chose est sûre : la mûre n’aura  plus jamais  la saveur d’antan : elle est devenue douce-amère! 

Doux-amer, oxymore pour définir ce film ?

Un film  à ne pas rater (même si la fin ... inattendue est tendancieuse !)

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

 

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18 décembre 2023 1 18 /12 /décembre /2023 07:53

de Felipe Gálvez  (Chili 2023)

 

avec Camilo Arancibia (Segundo), Mark Stanley (MacLennan), Benjamin Westfall (Bill), Alfredo Castro (Menéndez), Marcelo Alonso (Vicuña), Sam Spruell (Martin), Mishelle Guaña (Kiepja).

 

Prix Fipresci - Un Certain Regard à Cannes 2023

 

synopsis: Terre de Feu, République du Chili, 1901. Un territoire immense, fertile, que l’aristocratie blanche cherche à « civiliser ». Trois cavaliers sont engagés par un riche propriétaire terrien, José Menendez, pour déposséder les populations autochtones de leurs terres et ouvrir une route vers l’Atlantique. Sous les ordres du lieutenant MacLennan, un soldat britannique, et d’un mercenaire américain, le jeune métis chilien, Segundo, découvre le prix de la construction d’une jeune nation, celui du sang et du mensonge

Les Colons

Vos troupeaux sont maintenant si voraces qu’ils dévorent les hommes." (Thomas Moore cité en préambule) 

Le problème, ce sont les Indiens. Ils mangent les troupeaux. Ouvrez-moi une route sûre et rapide vers l’Atlantique pour mes moutons » (Menendez riche propriétaire terrien) 

 

 

Un mouton isolé, égaré dans l’immensité c’est le plan d’ouverture ; un gros plan prolongé sur le visage de l’Indienne (qui refuse d’obtempérer) c’est le plan final. Entre les deux l’histoire -en plusieurs actes- d’un génocide. Celui des autochtones au Chili, début du XX° siècle, les Selk’man appelés Onas par les Blancs. Ces deux plans qui encadrent le film,  en un saisissant raccourci mettent précisément en exergue les deux aspects de la colonisation (accaparement des terres, assimilation forcée)

Une tragédie effacée de la mémoire collective chilienne? Le réalisateur a décidé de s’attaquer frontalement à ce  douloureux et déshonorant épisode d'un passé relativement proche. Car si l’île de Dawson, en Terre de Feu, a servi de camp d’extermination sous la dictature de Pinochet, elle fut auparavant le lieu d’un autre massacre D’où l’importance, pour comprendre notre histoire récente, de remonter plus loin, au temps de la colonisation des terres indiennes (rappelait  Felipe Gálvez lors de l'avant-première le 17/12)

 

Le format 4,3,  le rouge (pour annoncer chaque partie dont  ‘le cochon rouge’, ‘le roi de l’or blanc’ ‘le métis’), la musique signée Harry Allouche, qui mitraille de ses percussions,  et aux accents morriconiens parfois,  les clins d’œil au western, le mélange de personnages ayant réellement existé dont José Menendez (cf les archives du générique de fin) et d’autres de pure fiction, l’alternance entre les séquences nocturnes (où l’écran s’embrase du rougeoiement du feu alors que les chevaux piaffent dans leur pré-science du danger), et celles où les trois hommes chevauchent, souvent en file indienne, sur ces « terres vierges » jusqu’à ce « bout du monde »,  cette autre alternance entre les très gros plans (l’œil des chevaux, le visage du métis) et les vues panoramiques sur les vastitudes, et surtout l’omniprésence de la violence, une violence crue ou suggérée (un ouvrier manchot devenu inutile tué à bout portant, l’extermination des Indiens suggérée par le bruit des armes avant que les corps morts ne soient alignés, les relations maître/esclave ; une violence inouïe qui précisément contraste avec la beauté plastique du paysage)

Oui tout cela contribue à faire des Colons une charge efficace et sans compromission. Felipe Gálvez sait montrer du doigt les coupables, en adoptant le point de vue des Colons, (le choix d’un Ecossais, vétéran de l’armée britannique comme personnage principal  et flanqué d’un mercenaire américain au racisme primaire, n’est pas innocent) ; il sait que la responsabilité se tapit aussi dans le silence et l’indécision (Segundo), et il aura démontré avec une sobriété -souvent- exemplaire comment une société a eu l’outrecuidance de se bâtir sur l’extermination d’un peuple - la dernière séquence est à cet égard très éloquente

Un film à voir de toute urgence !!

 

Colette Lallement-Duchoze

Les Colons
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17 décembre 2023 7 17 /12 /décembre /2023 07:47

de Dragomir Sholev  (Bulgarie Roumanie 2021)·

 

 avec Deyan Donkov, Suzy Radichkova et Valentin Andreev

 

 

Prix de la Critique internationale au Festival international du film de Sofia 2022

 

 A voir sur Arte -arte kino festival 2023-  jusqu’au 31 décembre; il suffit de s'inscrire  Votez pour vos films - ARTE Kino

 

 

 

Argument: La tranquillité d’un camping proche de la mer Noire est troublée le jour où Ivo, le manager, découvre un dauphin mort sur la plage. Il remarque des traces de balles sur l’animal et décide de prévenir les autorités. Toutefois, ces dernières ne peuvent pas, ou tout simplement ne veulent pas, prendre cette affaire en main. C’est alors que d’une manière ou d’une autre, tous les clients du camping se retrouvent peu à peu impliqués dans cette affaire.

Fishbone

 

Un énième dauphin échoué. Une  mort qui engage la responsabilité de l’homme ? Empoisonnement dû aux eaux polluées ? "Braconnage" ? - Yvo le gérant du camping a décelé  des traces de balles !! Mais après de pseudo enquêtes – dont certaines volontairement bâclées- et une autopsie pratiquée en plein air par des " bouchers en herbe"  on conclura à " la mort par noyade".....…

.

Le réalisateur a fait le choix d’un problème environnemental - qui s’inspire d’ailleurs de faits réels- pour en faire l'arête dorsale (sens propre et figuré ) de Fishbone,  afin  de donner une portée universelle à son film (ce qui n’exclut pas d’autres problématiques)

Métaphore (ou allégorie) de la stratégie de l’évitement pratiquée en haut lieu, du dysfonctionnement du "vivre ensemble" dans une  communauté  ? Ce qu’illustre(rait) la prolifération de personnages, qui se détachent dans la juxtaposition par mosaïque de micro-histoires, personnes directement concernées ou qui progressivement vont se sentir impliquées : gérant du camping, police,  organismes de la santé,  écologistes,  vacanciers , gitans

 

Le film s’ouvre dans une atmosphère bleutée, -à mi-chemin entre la nuit et l’aurore, sur la présence d’un couple âgé nu en bord de  mer ; ce couple évoque  un renard tué enterré qui les hante par-delà sa mort ; il  continuerait à les observer (en écho ce très  gros plan sur l’œil du dauphin, et un indice pour le choix de focalisation : qui regarde et quoi ?) ; un serrement, un serment d’amour « je ne pourrais vivre sans toi je veux partir le premier. Si tu pars, qui me préparera mon thé ? ….A cette scène inaugurale répondra au final une scène d’intérieur avec les mêmes personnages dans leur mobil home : la femme préparant le thé !!!!…  Entre ces deux "moments" nous aurons vu défiler des saynètes souvent savoureuses, et certaines sont ciselées telles des vignettes de BD,  annoncées non pas par des identités propres mais par une " fonction", un détail, une action spécifiques, et loin d’être cloisonnées elles s’intègrent -telles des arêtes secondaires- à l’architecture d’ensemble. Chaque histoire (9 au total certaines revenant à intervalles réguliers) dévoile une problématique particulière, histoires modestes d’individus ordinaires, ou commentaires déliés sur des faits antérieurs (la prison 11 ans pour un crime …avoué sous la torture, l’attentat qui a coûté la vie des proches de cet enquêteur à la retraite) ou à venir (cette épouse qui ne "supporte" plus son mari, l’accouchement de la « compagne » du gérant) ou constats amers sur les pannes d’électricité, sur l’entretien de la plage, sur les odeurs pestilentielles, sur la paperasserie administrative

Faisant corps avec l’arête principale ces micro histoires sont nécessaires à la structure d’ensemble et aux thématiques abordées sans l’une d’entre elles la construction s’effondre (propos du réalisateur). La récurrence d’un duo (d’abord deux femmes, puis  deux policiers puis deux  gitans représentant deux générations)  tractant en ahanant le cadavre du dauphin afin qu’il rejoigne les siens dans une sépulture de forêt !!, l’interrogatoire du photographe (premier cliché sur la mort du cétacé !) un personnage sans domicile fixe qui  a fait le choix d'une vie de solitaire, sont riches d’interprétations narrative et symbolique 

 

Fishbone ! un film qui se singularise par sa structure originale, son mélange de réalisme et d’absurde, son humour pince-sans-rire et décalé (incarné surtout par cet inspecteur à la retraite, imposteur ou fou pensant ?) son naturalisme dévié (cf la famille assise sous un parasol s’interrogeant sur la présence saugrenue d’une gamine, la mère évoquant un avortement alors que le père bedonnant reste placide)

 

Fishbone un film à ne pas rater

 

Colette Lallement-Duchoze

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14 décembre 2023 4 14 /12 /décembre /2023 07:54

de Rolf De Heer (Australie 2023)

 

avec Mwajemi Hussein, Deepthi Sharma, Darsan Sharma

Musique Anna Liebzeit

 

Festival international du film de Berlin, Prix Fripesci de la critique 2023

Argument: Ses tortionnaires l’ont déposée là, dans une cage au milieu du désert, aride, sous un soleil de plomb. Elle parvient à se libérer et marche au hasard sans pouvoir se fixer. . Elle va traverser les  ruines d’un monde en désolation, 

Une odyssée qui la mène jusqu’aux frontières de l’humanité

 

The survival of kindness

Sans pré-générique  -hormis la déclinaison calligraphiée en plusieurs langues du titre-, voici une scène d’ouverture qui encodera tout le film. Atmosphère sombre, personnages munis de masques à gaz, langage réduit à des borborygmes onomatopées ou sifflements, face à un immense gâteau qui représente un monde en miniature dont le sol est jonché de cadavres de corps noirs ; une portion de ce gâteau que l’on avale. Dévoration et engloutissement. Ce que confirme la scène suivante où l’on conduit une femme noire,  encagée,  vers un désert….

 

Et voici une première partie où le réalisateur par une multitude de cadrages filme cette cage entre l'infiniment petit (des fourmis carnassières qui envahissent l’écran) et l'infiniment grand (vastitude aridité du monde environnant), entre le soleil qui darde imposant son éblouissement, et la déshydratation mortifère, entre les différentes positions du corps prisonnier (debout à l’assaut des barreaux, allongé recroquevillé pour un semblant de repos) avant qu’il ne parvienne à s’extirper de ces grillages (après de très gros plans sur un cadenas de fortune !!)

 

Et voici la femme qui marche. BlackWoman dira le générique de fin. Le rêve cauchemar (la fin nous ramènera au point de départ) en marche lui aussi. Et nous allons traverser une multitude de paysages : plaines rougeoyantes ou jaunes, canyons, montagne, oasis de sérénité, ville - ou plutôt ses simulacres comme après une apocalypse? Et nous allons retrouver ces personnages du « prologue », affublés de leur masque à gaz qui tuent à bout portant tous ceux qui n’ont pas la couleur de peau…recommandée ; rencontrer entre autres un homme blanc le visage dégoulinant d’hémangiomes pleurant le corps mort de sa compagne…noire, ou encore ce couple (BrownGirl BrownBoy) qui dans un premier temps sauvera la BlackWoman avant de « disparaître » lui aussi (avec ces stigmates de la pandémie : excroissances rouges, toux, voies respiratoires violemment attaquées, crachats de sang)

 

Cette BlackWoman, à chaque « étape » de son odyssée, change  de vêtement, devenant ainsi une « autre femme » (citadine en chemise, exploratrice en chapeau, militaire déguisée pour tromper ceux qui la pourchassent) comme si la "survie"  ancrée dans l’évidence du réel nauséabond avait besoin de ces  "échappées"- subterfuges? ;  de plus son regard à la fois ironique et bienveillant  donne(rait) une autre dimension à cette dystopie si noire en apparence. N’est-elle pas la "seule"  à avoir été épargnée par la pandémie et le racisme ? seule face à l’échec du colonisateur (victime de cette maladie qu’il a lui-même provoquée). Elle,  le témoin ultime de l’horreur généralisée ?

Mais le dernier plan, hallucinant de puissance suggestive, à la limite du soutenable, semble imposer une autre lecture. Encore que….

 

Un film sans dialogue, -mais porté par le thème musical d’Anna Liebzeit- , une interprète hors norme (originaire de la RDC Mwajemi Hussein n’avait jamais vu de film et encore moins joué …) qui impose à chaque plan une présence incontournable,  une fable très sombre (mais à la lecture plurielle), une façon de filmer qui mêle âpreté saisissante et beauté sidérante, un message que l’on peut deviner dans le contraste permanent entre la douceur du personnage féminin et la bestialité alentour

(un seul bémol , mais ce n’est qu’un point de vue : la longueur excessive de l’épisode avec le jeune couple Brown et la scène de kungfu)

 

 

UN FILM A NE PAS RATER

 

Colette Lallement-Duchoze

 

(du même réalisateur Charlie's Country - Le blog de cinexpressions )

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12 décembre 2023 2 12 /12 /décembre /2023 06:46

de Denys Arcant (Canada 2023)

 

avec Rémy Girard, Sophie Lorain, Guylaine Tremblay 

Argument Dans une ère d’évolution identitaire, Jean-Michel Bouchard, un célibataire de 70 ans, a perdu tous ses repères dans cette société. Il habite dans une maison de retraite située dans un édifice patrimonial, dirigée avec soin et précision par Suzanne Francoeur. Leur quiétude est bousculée par l’arrivée de jeunes activistes qui exigent la destruction d’une fresque historique. Dépassé par une époque dominée par la rectitude politique, Jean-Michel retrouvera foi en l’humanité avec la naissance d’un amour inattendu...

Testament

 On ne gouverne pas avec la réalité, mais avec les apparences (la ministre à Suzanne)

 

De temps en temps, poser un geste gratuit de bonté, c’est ce qui rend la vie supportable. (Jean-Michel Bouchard à Suzanne)

L’heure du bilan a sonné comme dans les invasions barbares (même acteur Rémy Girard, même regard introspectif) hormis que dans testament le personnage, septuagénaire a toujours été célibataire…De plus en mettant en scène l’idéologie « woke » en se moquant -apparemment- d’un certain militantisme - l’environnement, l’identité de genre, l’inclusion des diversités culturelles-  le film de Denys Arcand aura forcément ses contempteurs….Mais maquiller son désenchantement sous de pseudo-arguments « objectifs » dits techniques n’est-ce pas faire fi de la force explosive de la satire et de la caricature?. Dérives de la période Covid, fluctuations ridicules dans l’approche et l’appréciation de l’art, sensationnalisme éhonté des médias, irresponsabilité des septuagénaires, bouffonnerie des « boomers » manifestants, sportifs compulsifs, etc. ….tous les excès, toutes les dérives sont passé.es au  crible voire au  rouleau compresseur

Testament, un film tonique ! Non seulement parce que la trame narrative et dramatique dynamise un cheminement qui va de la résignation forcée et mélancolique à une forme de « renaissance » (le titre ne doit pas être pris au sens littéral et Jean-Michel Bouchard n’avoue-t-il pas se sentir de nouveau « ado » ?) mais parce que le metteur en scène octogénaire se plaît avec une vivacité, une sagacité - jamais démentie depuis le déclin de l’empire américain-1986 -  à ausculter radiographier une société qu’il « met en boîte » (et ce dans tous les sens) L’humour est certes  un peu désabusé : ce dont témoigne la scène d’ouverture où un pianiste d’un autre temps, et d’un âge certain s’en vient distraire « péniblement » quelques résidents retournés en enfance, scène qui sera reprise en écho vers la fin, ce dont témoigne aussi la conscience aiguë qu’a Jean-Michel de l’effritement d’une culture,- dont le passage de l’écrit au numérique, à l’instar du passage de l’oral (culture amérindienne) à l’écrit ???

Jean-Michel Bouchard fut archiviste. Un tel choix -est-il besoin d’insister -est en harmonie avec ces strates du passé individuel et collectif que l’on exhume et dont l’immense tableau qui « accueille » résidents visiteurs de ce centre du troisième âge, serait l’allégorie ; un tableau objet de tous les ressentiments des défenseurs des cultures premières (les Occidentaux prédateurs usurpateurs sont représentés en grand apparat alors que les mohawks les autochtones spoliés de leurs biens sont nus, visages haineux, femmes dépoitraillées,! Un tableau qui pue le racisme ! un tableau qui sans vergogne met en scène le prélude à l’extermination !

Qu’à cela ne tienne. Jean-Michel va jouer sa partition. Dans un premier temps il entraîne le spectateur dans les méandres de sa pensée (voix off) et de son quotidien, celui d’un solitaire. Solitude que comble une fois par semaine la présence d’une jeune femme payée pour écouter, et poser une main vigilante sur son épaule…Puis face à l’incurie des différents ministres, à leur volte-face, au licenciement de Suzanne la directrice de l’établissement, inapte à gérer  l’ingérable… il va apporter son soutien 

Le plan final -pied de nez à la scène du cimetière?- plan où le  " couple"  vu de dos marche avec le bébé (petit-fils de la directrice) sur le tapis de feuilles « mortes » dans le cadre qui flamboie des couleurs automnales, fête les épousailles entre l’automne de la vie et la (re)naissance; .dans la luxuriance  de l'embrasement !!!

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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11 décembre 2023 1 11 /12 /décembre /2023 08:44

de Babak Jalali (USA 2023)

 

avec Anaita Wali Zada (Donya) Hilda Schmelling (Joanna) Greg Turkinton (le psy) Jeremy Allen Wight (Daniel) Siddique Ahmed (Salim) Avis See-Tho (Fan)

 

Prix du jury Festival de Deauville 2023

Donya, jeune réfugiée afghane de 20 ans, travaille pour une fabrique de Fortune Cookies à San Francisco. Ancienne traductrice pour l’armée américaine en Afghanistan, elle a du mal à dormir et se sent seule. Sa routine est bouleversée lorsque son patron lui confie la rédaction des messages et prédictions. Son désir s’éveille et elle décide d’envoyer un message spécial dans un des biscuits en laissant le destin agir…

Fremont

Un format 4,3 qui enserre le visage de Donya (impressionnante Anaita Wali Zada) telle une icône, un noir et blanc somptueux qui n’est pas sans rappeler Jim Jarmusch, des plans fixes le plus souvent, des dialogues minimalistes (hormis le beau discours du Chinois sur la frontière, celui du voisin sur les étoiles ou celui du psy sur Croc-Blanc, reliant la trajectoire du chien-loup et celle de la réfugiée afghane), la musique de Mahmood Schricker (partition de jazz avec trompette cor et violoncelle, mais aussi sonorités typiques de l’oud), tout dans ce film prouve l’originalité dans le traitement de l’exil. Originalité et juste mesure- Celle préconisée d’ailleurs par le patron chinois, dans la rédaction des fortune cookies, des messages - prédictions ni trop positifs ni trop négatifs ni trop didactiques ni trop lyriques  A cela il convient d’ajouter l’humour (parfois décalé à la Kaurismaki)

 

Une vie sociale trépidante !   Tel est l’aveu d’une Donya pince-sans- rire au psy. Morne et plat est en fait son quotidien, ce dont témoigne la répétition de gestes identiques : au travail, à la pause-café, le soir dans ce petit restaurant de quartier face à un écran qui diffuse en boucle des soaps, la nuit dans ce studio où l'obscurité  se confond avec la permanence insomniaque de l’éveil. On devine que Donya souffre d’un trauma. Taraudée par la "culpabilité" ?  N’a-t-elle pas quitté son pays en y laissant les siens ? Elle l’ex traductrice au service de l’armée américaine ? Le regard haineux du voisin Suleyman en dit long sur la réprobation ; et voici qu’éclatera l’aveu : filmée en plongée Donya crie son " innocence" c’est pour toi et pour vous sauver que j’ai accepté ce travail

Mais ce qui importe au cinéaste est moins le passé, si douloureux soit-il, que la détermination de cette réfugiée à « être ouverte au champ des possibles »

Le revirement (choisir le droit à la Vie au Désir) s’opère à la faveur d’une chanson interprétée par Joanna, (Hild Schmelling) sa collègue de travail (marieuse aussi à ses heures…

 Et dans la dernière partie, voici que l’horizon s’élargit, même et surtout dans l’étroitesse du format - la rencontre avec le garagiste ; Donya va pénétrer dans son « antre » comme elle pénètre dans le champ des possibles où le blanc d’un cerf (comique de situation mais…ne pas spoiler)  contraste avec le gris et le noir; même statufié il est porteur d'un élan oblatif vers l’échange, la Vie reconquise

 

Sensible et subtil, ce film s’interroge aussi sur d’autres problématiques (rapports entre différentes communautés) et les personnages dits secondaires se parent de la dimension authentique de l’humain et de la singularité (le patron de l’usine, le psy, le restaurateur, le garagiste)

 

 

Un film à ne pas rater !

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

( du même cinéaste Land  Land - Le blog de cinexpressions

Fremont

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10 décembre 2023 7 10 /12 /décembre /2023 07:40

de Lillah Halla (Brésil 2023)

avec Ayomi Domenica, Loro Bardot, Grace Passô

 

Présenté à Cannes 2023 Semaine de la Critique  Prix Fipresci 2023 - Section parallèles

Festival Biarritz Amérique latine Abrazo du meilleur film.

 

 

Argument: Sofia, jeune et prometteuse joueuse de volleyball, fait partie d’un club inclusif féminin – comme il en existe peu – du nom de Capão Leste. Toutes les joueuses sont issues de la communauté LGBTQI+ et forment une équipe très soudée. Un jour, Sofia est repérée par un centre de formation professionnel chilien. Enthousiasmée par cette nouvelle susceptible de changer sa vie, elle est plus motivée que jamais. Elle découvre alors qu’elle est enceinte. L’avortement étant illégal au Brésil, Sofia cherche par tous les moyens à interrompre sa grossesse. Elle devient la cible d’un groupe fondamentaliste bien décidé à l’empêcher d’arriver à ses fins

Levante

Lillah Halla, réalisatrice queer, féministe, va dans ce premier long métrage non seulement tordre le cou à certains préjugés, mais  mettre  toute son énergie à combattre la peur "paralysante".  Tourné non sans difficultés, en 2022 alors que Bolsonaro est encore au pouvoir et qu’il avait légitimé toutes les violences dès janvier 2019, son film engagé va démontrer que  le collectif est l’arme contre le fascisme  en s’attaquant presque frontalement à un sujet tabou : l’avortement

Quelle vitalité ! quelle solidarité énergisante ! Et tout dans ce film (rythme et tempo couleurs musique) illustre l’audace ! en harmonie d’ailleurs avec la polysémie du titre « levante » (soulèvement/insurrection,  mouvement au volley qui consiste à propulser le ballon vers la partie adverse ou encore plante aux propriétés énergisantes)Voici Sofia (étonnante Ayomi Domenica) une jeune métisse bisexuelle, volleyeuse talentueuse, qui, enceinte, décide de se faire avorter. Or l’IVG est illégale au Brésil, -rappelons que l’avortement clandestin est la 5ème cause de la mortalité féminine dans ce pays !!!- Dans son épreuve-calvaire elle aura le soutien sans faille de son équipe inclusive de volleyeuses, et celui d’un père bienveillant et compréhensif. En face d’elle, des cliniques faussement abortives, les pressions des mouvements pro-vies, et des sectes religieuses, et jusqu’aux regards méchamment  réprobateurs de voisins qui préfèrent leur douillet chez soi en s’y calfeutrant ; une dénonciation qui n’évite pas -par moments- les pièges de la caricature (cf le personnage très -trop- stéréotypé de cette femme militante fondamentaliste)

Flamboyante cette équipe inclusive ! gros plan sur un crâne rasé, des mèches roses, des aisselles velues, un ventre qui frétille, une langue qui lèche avec avidité. Ces volleyeuses se contrefoutent hardiment d’être cis, trans tout comme dans la bonne humeur, elles se contrefoutent des normes (le ton était donné dès la scène d’ouverture, exaltation de la complicité du chapardage ,   dans une pharmacie, médocs hormones test de grossesse,...)  (à noter qu’au vestiaire le mot femmes est raturé et remplacé par le pronom "iels")  .Un cinéma autre qui proposerait la vision d’un Brésil moins sclérosé  moins infernal pour les minorités c’est le vœu de Lillah Halla

 

Malgré certaines « lourdeurs » -dont le déplacement  en Uruguay, le parallélisme métaphorique entre le « destin » de Sofia et celui des abeilles (le père est apiculteur) ou encore la récurrence de ces très gros plans sur des fragments de corps censés  les magnifier  -  Levante a au moins le mérite de rendre visible ce qui est intolérable ; or n’est-ce pas un moyen efficace pour combattre l’intolérable ?

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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9 décembre 2023 6 09 /12 /décembre /2023 07:20

de De Ladj Ly (2023)

 

: Avec Anta Diaw (Haby), Alexis Manenti (Pierre Forges), Aristote Luyindula (Blaz), Steve Tientcheu (Roger Roche), Aurélia Petit (Nathalie Forges), Jeanne Balibar (Agnès Millas),...

 Musique : Pink Noise

Argument: Haby, une jeune femme très impliquée dans la vie de sa commune, découvre le nouveau plan de réaménagement du quartier dans lequel elle a grandi. Mené en catimini par Pierre Forges, un jeune pédiatre propulsé maire, il prévoit la démolition de l'immeuble où Haby a grandi. Avec les siens, elle se lance alors dans un bras de fer contre la municipalité et ses grandes ambitions pour empêcher la destruction du bâtiment 5.

Bâtiment 5

Comme pour Les Misérables (prix du jury Cannes 2019) Ladj Ly part de faits réels, de son « vécu » (il a grandi à Montfermeil) ; en "cartographiant les cités populaires de banlieue " il  en dénonce la « politique » (ou plutôt l’absence de politique -ou son échec?). Bâtiment 5 situe le cadre à Montvilliers ; bien qu’imaginaire cette ville doit contenir toutes les spécificités des villes du même acabit, confrontées au chômage, à la vétusté des locaux, à la corruption de certains administrateurs, au trafic, à la colère latente prête à exploser.

La séquence d’ouverture – transport d’un cercueil par la cage d’escalier plus que branlante -l ’ascenseur étant en panne- dit explicitement les incommodités  "matérielles" et implicitement l’indécence face à la mort. Puis nous assistons en direct à la mort du maire qui venait de déclencher avec pompe et fracas le dynamitage d’un autre immeuble.

Ces immeubles construits dans les années 60 (rappelez-vous ce roman de Christiane. Rochefort « les petits enfants du siècle » son regard ironique et acéré sur le quotidien dans les blocs) rendent l’âme ; moribonds ils « contiennent malgré tout la mémoire d’une histoire de ségrégation sociale ». Leur destruction est-elle synonyme d’enfouissement définitif ? tel est un des enjeux de ce film. Ce que découvre le nouveau maire (lors d’une visite avant d’acter la destruction et de procéder à l’évacuation  à peu de frais du Bâtiment 5) à savoir  l’existence d’une autre société que la sienne…rappelle étrangement les « trouvailles » de certains archéologues interrogeant des vestiges :.Le plan aérien sur ce bâtiment -au tout début- puis après l’évacuation un plan audacieux circulaire sur le même bâtiment inhabité, désossé, devenu carcasse (les meubles ont été jetés par les fenêtres, objets inanimés avez-vous donc une âme ???) illustrent la manière dont le cinéaste  "appréhende"  l’histoire de ces blocs, ces douloureux témoins de la vie, d’une vie injuste indigne le plus souvent !!! Bâtiment 5 ou la fin d’un monde ?

 

Un film à mi-chemin entre documentaire et fiction, tout aussi explosif et puissant que le précédent - montage très nerveux, caméra au poing qui filme au plus près, sensationnalisme parfois qui va "sonnant"   tel un uppercut -; mais il est vrai que l’effet surprise qui avait prévalu en 2019 et qui avait littéralement   "saisi"  le public, est forcément émoussé

Un notoire changement de curseur : le personnage principal est une jeune femme militante (impressionnante Anda Diaw). Et son rôle de modérateur (elle comprend la colère de Blaz mais ne cédera pas à son radicalisme ni à la loi du talion) écarte de facto une vision manichéenne ; non il n’y a pas deux blocs opposant les  "méchants" -dont le maire retors, excellent Alexis Manenti- et "les bons " ces victimes innocentes, parquées dans l’indignité. Si le clivage existe, Haby lutte précisément pour éviter sa transformation en manichéisme prosaïque et complaisant, manichéisme attendu précisément par tous ceux qui le  " dénonceraient"; elle lutte pour la dignité (trop longtemps bafouée) 

 

(On admettra toutefois que le choix de Noël pour une évacuation bien  "virile"  et inhumaine fait de Bâtiment 5 un  "conte"  où l’ironie serait tapie dans l’antiphrase ?)

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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