29 juin 2023 4 29 /06 /juin /2023 06:14

d'Ira Sachs (France, Grande-Bretagne 2022) 

 

avec Franz Rogowski, Ben Whishaw, Adèle Exarchopoulos

 

présenté en compétition à la Berlinale 2023

Tomas et Martin forment un couple gay vivant à Paris. Leur mariage traverse une crise lorsque Tomas entame une liaison avec Agathe, une jeune institutrice. Mais lorsque Martin débute également une liaison, Tomas doit faire face à des décisions qu’il n’est pas prêt ou qu’il n’a pas envie d’affronter

Passages

On dit qu'un  prologue peut encoder un film.

Film dans le film -ou du moins répétition d’une scène - tel se présente le tout début de « Passages » d’Ira Sachs . Un réalisateur Tomas dirige un comédien : celui-ci doit descendre un escalier, se rendre à un comptoir commander une boisson avant de participer à une fête; or sa démarche est empotée, manque de spontanéité ; on répète plusieurs fois la  "descente" des marches, alors que défile le générique. Tomas s’énerve. Le ton monte, celui de la colère intransigeante. Ainsi on "passe" très rapidement de la "direction d’acteurs"  à la volonté d’humilier.

Or c’est précisément ce qu’est Tomas tant dans sa relation avec Martin qu’avec Agathe -malgré des dénégations répétées, de vaines promesses et de torrides rapports sexuels - Non pas simple "distributeur" de rôles,  mais manipulateur, c’est ainsi qu'il sera décrit  dans "sa vie"  au quotidien. Avec ces moments d’indécision -qui font d’ailleurs écho à l’indécision de l’acteur dans la scène liminaire !. La dynamique du film ? la perte progressive d’un pouvoir jupitérien, celui de tout contrôler   

L’escalier sera de toute évidence un motif récurrent : marches que l’on (Tomas) monte et descend avec ou sans vélo, marches que l’on gravit en "passant"  d’un appartement à l’autre- -Martin/Agathe   -et la rapidité épousera aussi celle du pédalier tout comme elle dira  l’essoufflement avant la  "crise"

Plus qu’une énième variation sur le "triangle" amoureux avec un couple d’homosexuels - le trio est porté par un formidable casting !, le film d’Ira Sachs serait une interrogation sur l’impossibilité de  "créer une famille "  quelles qu’en soient les "formes" . Tomas, qui est quasiment de tous les plans, est celui par qui advient naît meurt un « semblant » de « construction ». Le couple qu’il formait avec Martin et leurs projets d’avenir risquent de s’écrouler quand il débute une idylle avec Agathe. Séparations réconciliations tentatives de  ….celles précisément que formulent les parents d’Agathe soucieux de l’avenir de leur fille enceinte  (une scène au comique grinçant !!) ; mais Tomas se défile -une fois de plus tout comme il fonce dans les rues de Paris en empruntant délibérément les accès interdits aux vélos (très belle séquence d’extérieur, avec en écho inversé les séquences des cafés). Nombriliste, égoïste Tomas sera-t-il renvoyé à la "solitude fondamentale"?

Le réalisateur semble exceller dans la rencontre et l’exultation des corps -et certaines scènes dites de « sexe » signent l’apothéose de la sensualité sans verser dans l’érotisme vulgaire ni le voyeurisme. De même s’impose le « rendu » d’appartements ouatés de velours pourpre (qui contraste avec certaines entrées d’immeubles.) Souvent filmé de dos, -comme pour ne pas s’exposer à une lumière qui le condamnerait -Tomas rappelle ces êtres antipathiques à la Pialat …

Et pourtant !!! malgré tout cela,  il y a - presque tout au long du film-  un  je ne sais quoi (clins d’oeil trop appuyés à la « nouvelle vague »  ? poncifs plus ou moins éculés ? théâtralité trop apparente ?) qui empêche une totale adhésion…..

Dommage!

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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27 juin 2023 2 27 /06 /juin /2023 11:24

de Jeanne Aslan et Paul Saintillan (2022)

 

avec Céleste Brunnquell (Sophie dite Fifi) , Quentin Dolmaire, (Stéphane) Chloé Mons (la mère)

 

meilleur film de la section Nouveaux réalisateurs du Festival international du film de San Sebastián en 2022

Nancy, début de l’été... et Sophie, dite Fifi, 15 ans, est coincée dans son HLM dans une ambiance familiale chaotique. Quand elle croise par hasard son ancienne amie Jade, sur le point de partir en vacances, Fifi prend en douce les clefs de sa jolie maison du centre-ville désertée pour l’été. Alors qu’elle s’installe, elle tombe sur Stéphane, 23 ans, le frère aîné de Jade, rentré de manière inattendue. Au lieu de la chasser, Stéphane lui laisse porte ouverte et l’autorise à venir se réfugier là quand elle veut.

Fifi

« j’ai voulu faire un film qui avance par le beau et pas par le drame », assure Jeanne Aslan.

Mère démissionnaire, beau-père alcoolo, promiscuité, chamailleries voire engueulades  dans un appartement de la cité assez délabrée des HLM du Haut du Lièvre à Nancy, tel est l’environnement  de Fifi. Les réalisateurs ont eu la pudeur d’éviter le misérabilisme facile dans la peinture de ce milieu. Suffisamment  pour  comprendre la volonté de s’en extirper , en ......squattant la maison d’une camarade. Echappées à vélo ! de la barre HLM vers la ville, traversée de ces  espaces de lumière qui se dilate et se diffracte dans le vert ; avec aux oreillettes le Rappel des oiseaux de Jean-Philippe Rameau. Après l’appartement minuscule, sa promiscuité et ses lits superposés, voici une demeure vaste calme et lumineuse ! où un piano,  Kafka,   Charlie Chaplin et un bain moussant font bon ménage!   

 

Une  parenthèse estivale qui va évoluer au gré des conversations entre Fifi et Stéphane, au gré des non-dits aussi, des attentes secrètes, avec des jeux de caméra qui évitent le champ-contrechamp!  Et  loin des clichés faciles opposant le fils de bourgeois et l' adolescente de la cité ! (même si parfois le trait est « grossi ».) 

Quant à la  "romance" -qui ne dit pas son nom- entre une adolescente de 15 ans et un jeune homme de 23 ans elle est traitée par (avec) la délicatesse des regards, des gestes à peine esquissés comme en suspens ; tout étant dans la nuance ! et le refus des stéréotypes !

Plus proche du roman d’apprentissage, que du documentaire -grâce à un apprivoisement réciproque-, ce film est porté par l’actrice Céleste Brunnquell, au naturel si déconcertant - que nous avions découvert et apprécié dans la série « en thérapie ». Sans oublier bien évidemment le phrasé et la nonchalance de Quentin Dolmaire (qui rappelleraient Charles Denner ?) en harmonie avec les doutes et les remises en question du personnage.

 

Fifi et Stéphane : un couple -impossible-(?)  en quête d’un indicible apaisement (?) 

Fifi n’avait jamais vu la mer ! Le dernier plan élargit l’espace -tout en le limitant au cadre narratif- aux dimensions bien réelles de son rêve !

A voir !

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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27 juin 2023 2 27 /06 /juin /2023 05:16

documentaire réalisé par Philippe Baron (2022)

 

à voir sur Kub

jusqu'au 26/07/2023

 

O.K., Joe ! - KuB (kubweb.media)

O.k., Joe!

Été 1944, le débarquement américain repousse l’occupant nazi, les GI sont accueillis en héros libérateurs, c’est l’euphorie, les lendemains peuvent à nouveau chanter. Ce déferlement d’hommes va provoquer son lot de crimes sexuels – des milliers de viols – et de crimes de sang dont les victimes sont les frères et les pères qui tentent de s’interposer.

 

L’armée américaine met en place une cour martiale pour les juger. Presque par hasard, elle embauche l’écrivain Louis Guilloux comme interprète. Peu à peu, le romancier découvre que seuls les soldats afro-américains sont condamnés, souvent à des peines capitales. Il le raconte dans un court récit : O.K., Joe !

 

En confrontant son récit à la réalité historique et aux souvenirs de témoins et de descendants, ce documentaire révèle plusieurs tabous de la Seconde Guerre mondiale : les exactions de l’armée américaine envers des populations civiles, les viols des femmes, la ségrégation raciale, les châtiments cruels et sélectifs qu’elle inflige à ses soldats noirs.

O.k., Joe!

                                                                   © Les Films du Sillage

 

En 2022, en plein mouvement Black lives matter, le livre de Louis Guilloux, O.K., Joe !, publié en 1976 chez Folio, s'est offert une réédition préfacée par Éric Vuillard, prix Goncourt 2017 et spécialiste des récits historiques. Alors qu'il passe assez inaperçu à sa sortie, la France ne voulant pas ternir l'image des Américains libérateurs, il est aujourd'hui reconnu par tous les historiens comme un témoignage capital pour la compréhension de cette période entourée de nombreux mythes et fantasmes. En effet, dans ce livre, Guilloux revient sur sa propre histoire, lorsqu’il était interprète auprès des tribunaux militaires américains en 1944. Juste après la Libération, il accompagne les deux officiers américains chargés d’enquêter sur les exactions commises par les soldats américains sur les populations civiles bretonnes. Au fil des condamnations, souvent à mort, le jeune interprète se rend compte que seuls les soldats noirs sont poursuivis. Mal à l’aise face à ce racisme décomplexé, perpétré par une armée qui se veut civilisée et généreuse envers les populations locales, il mettra 30 ans à écrire ce récit puissant et brillant. Par petites touches, presque en douceur, il témoigne ainsi de la part sombre qui accompagne ce grand moment de l’Histoire.

 

Le film de Philippe Baron est une belle composition qui mêle les témoignages des femmes d’alors ou de leurs descendants, et de magnifiques archives de 1944 où le regard absent de celles qui ont couché avec l’ennemi rencontre celui, bravache, de ceux qui se décrètent héros de la Résistance. Les embrassades de joie émoustillent le désir frustré de soldats qui se sentent, pour certains, tout permis

 

KULTUR  BRETAGNE

 

EDITO SERGE STEYER

 

"Un homme qui s'endort ferme les yeux sur bien des choses"

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24 juin 2023 6 24 /06 /juin /2023 06:09

de Soudade Kaadan (Syrie, Royaume-Uni, France, 2022),

 

avec Hala Zein, Kinda Alloush, Samer al-Masri, Nizar Alani, Darina al-Joundi

 

 

Festival de Venise 2022, Orizzonti, Prix du public Armani beauty

 

Festival MedFilm de Rome 2023, Prix Amnesty International

 

Festival de Cannes 2023, Ecrans Juniors

Au cœur du conflit syrien, Zeina, 14 ans, et ses parents sont parmi les derniers à encore vivre dans leur quartier assiégé de Damas. Lorsqu'un missile fait un trou béant dans leur maison, Zeina découvre une fenêtre qui ouvre sur un monde de possibilités inimaginables. Elle aime dormir à la belle étoile et se lie d'amitié avec Amer, un voisin de son âge. Quand la violence des combats s’intensifie, Zeina et ses parents sont poussés à partir, mais son père est déterminé à rester dans leur maison. Il refuse d'être un réfugié. Confrontées à un dilemme de vie ou de mort, Zeina et sa mère doivent prendre une décision

Nezouh

Partir quitter son pays en guerre et devenir un réfugié ou rester au cœur même du désastre , accepter de mourir chez soi ? c’est le dilemme qui oppose la mère (Hala /Kinda Alloush) et le père (Motaz /Samer Al Masri) de Zeina (Hala Zein.) Cette adolescente va  "contourner"  le tragique de la situation (bombardements, explosion, Damas un champ de ruines,  imminence de la mort) en s’évadant (par ses rêves et sa rencontre avec le jeune voisin Amer (Nizar Alani). -un technicien geek qui récupère les appareils abandonnés du quartier !!! ) Son projet? réaliser un film témoignage du siège de Damas, un film où personne ne meurt ????

 

 Il y a de la dérision dans l’acharnement du père qui  " colmate"  avec les draps toutes les ouvertures (surtout ne pas laisser un œil intrus percer l’intimité) ou dans son déni du réel (On rit jaune) Tout comme il y a de la poésie dans cette ouverture cette béance au plafond qui ouvre pour Zeina  les portes de la transfiguration, contrastant d’ailleurs avec l’enfermement quand la caméra filme les personnages au plus près en les enserrant dans le huis clos.

 

Un récit ancré dans un  " factuel" (toute puissance du mâle, dont se libérera l’épouse, désolation d’une ville éventrée, et les travellings, les panoramiques sur les façades et les amoncellements de gravats ainsi que les  vues en plongée en restituent le douloureux tragique) mais un récit qui fait la part belle au  "merveilleux" : à partir d’une immense déchirure voici que s’impose un firmament étoilé, à partir d’une corde tendue voici que s’ouvre un univers de légendes.

 

Nezouh ! ce mot arabe signifie déplacement. Soudade Kaadan en propose diverses acceptions sous forme d’une allégorie ; en déclinant la thématique omniprésente de la déchirure, en transcendant le tragique de la guerre par la poésie- sans occulter, bien évidemment,  l’âpre réalité (sociétale et politique)

Certes non sans maladresses (jeu un peu appuyé des trois acteurs qui par moments donnent l’impression d’être maladroits dans l’appropriation de l’espace, des  longueurs, trop plein de naïveté)

Mais on retiendra cette explosion filmée au ralenti qui mêle habilement mirage et chorégraphie, les reliques tels les cailloux du petit Poucet dont Hela parsème son chemin (une fuite faussement émancipatrice ? ), les cailloux lancés par Zeina depuis le toit et qui, en apesanteur, font des ricochets dans le ciel !!!

 

A voir 

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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22 juin 2023 4 22 /06 /juin /2023 07:36

de Wes Anderson (2022 USA)

 

avec Scarlett Johansson, Tom Hanks, Margot Robbie Maya Hawke, Matt Dillon, Sophia Lillis, Steve Carell, Jason Schwartzman, Tilda Swinton, Jeffrey Wright, Liev Schreiber, Rupert Friend, Bryan Cranston, Edward Norton, Adrien Brody, Hong Chau, Willem Dafoe, Jeff Goldblum Damien Bonnard

 

Présenté au festival de Cannes 2023

Asteroid City est une ville minuscule, en plein désert, dans le sud-ouest des États-Unis. Nous sommes en 1955. Le site est surtout célèbre pour son gigantesque cratère de météorite et son observatoire astronomique à proximité. Ce week-end, les militaires et les astronomes accueillent cinq enfants surdoués, distingués pour leurs créations scientifiques, afin qu’ils présentent leurs inventions. À quelques kilomètres de là, par-delà les collines, on aperçoit des champignons atomiques provoqués par des essais nucléaires. Le programme des jeunes astronomes et d’un groupe de cadets de l’espace va être bousculé par des événements qui pourraient chambouler notre monde

Asteroid City

Déjà fusent les critiques de spectateurs accusant Wes Andesron de « nombrilisme » dans ses « obsessions formalistes » Il est vrai que les récits gigognes -narrations avec enchâssements et mises en abyme-, les déroulés labyrinthiques, le soin scrupuleux accordé au cadre, à la symétrie auxquels il nous a habitués, se « répètent » - avec cette démesure d'où serait bannie l'émotion- Est-ce à dire que le réalisateur serait à court d’inspiration ?

Au questionnement sur l’écriture (the french dispatch The french dispatch - Le blog de cinexpressions ) succède celui sur le théâtre. En convoquant la tradition scénique qui a prévalu aux USA dans l’après-guerre (Elia Kazan Richard Brooks) il l’illustre  à plusieurs niveaux (une constante chez lui) avec passage du noir et blanc à la couleur (dominante acidulée, ici). Un conteur à l’avant du plan (soit l'avant-scène) puis une troupe de théâtre ; deux univers « parallèles » (?) l’un où l’on répète, en noir et blanc -chapitré en trois actes sorte de making of ou tout simplement les coulisses de la fabrication ; l’autre, en couleur, où l’on joue (personnages qui se rencontrent aux abords d’une ville des années 50 ; l’histoire dans ce désert est en fait une pièce de théâtre qui se jouerait sur une scène new yorkaise). Et l’on passe d’un univers à l’autre en parcourant  latéralement -et littéralement-  l’écran ou en étant interpellé par un des acteurs filmé en frontal.

Questionnement sur l’acteur, son incarnation ? certes Mais il y a aussi les non-dits et les thématiques (pour certains éculées) du deuil de l’enfance et de la ….mort. Ainsi Jason Schwartzman (qui jouait déjà dans A bord du darjeeling Limited et dans french dispatch) incarne un photographe veuf qui tente de surnager avec ses enfants, mais sous le regard désapprobateur du grand-père maternel (Tom Hanks), Scarlett Johansson incarne une  star de cinéma venue accompagner sa fille un peu délaissée…

Asteroid City, ? Bourgade perdue au milieu du désert qui, en 1955, célèbre le Jour de la Météorite, qui a laissé un immense cratère en 3.007 avant J.-C, Un cratère ? un trou ? habitacle des peurs ? celle des forces chthoniennes ? celles des extra-terrestres et de l'arme nucléaire? (celles qu’on éprouvait dans les années 50) Wes Anderson en exploite  les connotations MAIS en les dotant de ce  " merveilleux"  auquel on peut ou non adhérer ! 

Dans the grand budapest hotel, Zero Moustafa disait à propos de son mentor  il entretenait l’illusion avec une grâce merveilleuse  

La grâce s'en serait-elle allée dans ce nouvel opus au casting pléthorique, aux arborescences foisonnantes voire excessives? 

Et  si le petit oiseau joueur  s’en venait à déployer les ailes de géant de son mentor Wes Anderson ?

A vous de juger

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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20 juin 2023 2 20 /06 /juin /2023 02:27

de Benjamin Millepied  (Australie, France 2022)

avec Melissa Barrera, Paul Mescal, Rossy de Palma 

Carmen, une jeune mexicaine qui tente de traverser la frontière, tombe sur une patrouille américaine. Aidan, jeune ex-marine lui sauve la vie en tuant l’un des siens. A jamais liés par cette nuit tragique et désormais poursuivis par les forces de l’ordre, ils font route ensemble vers la Cité des Anges. Ils trouveront refuge au cœur de la Sombra Poderosa, un club tenu par la tante de Carmen qui leur offrira un moment suspendu grâce à la musique et la danse

Carmen

 

Le film de Benjamin Millepied tout en s’inspirant de la nouvelle de Prosper Mérimée et de l’opéra de Bizet se propose d’en réinventer l’histoire, le personnage et les ambiances. Loin de l’Espagne mythique ou du moins imaginaire du XIX° nous voici à la frontière qui sépare le Mexique des USA début XXI° siècle et nous allons participer à un voyage halluciné, éminemment sensoriel,  qui mêlera le folklore hispanique (les flamencos) le western américain (le cabaret La sombra Poderosa, tenu par la tante de Carmen rappelle le saloon, les voitures bolides poursuite ont remplacé les chevaux) mais aussi la tragédie antique (lutte des amants contre le fatum) avec des moments chorégraphiés dans la volupté sensuelle ou la sauvagerie (la boxe et les enchères éructées des profondeurs de gorges « humaines »)

Le film s’ouvre sur un prologue à couper le souffle. Une Mexicaine (la mère de Carmen) exécute un solo endiablé qui nargue les « malfrats » : pieds qui martèlent le sol, cadence qui va s’accélérant, buste qui défie l’adversaire, bras tendus ou arc boutés, regard réprobateur et ironique. Elle sera froidement abattue…. Une mère ! dont la silhouette revisitée reviendra à intervalles réguliers, une mère dernier port d’attache !. Et ce sera le début d’une cavale pour sa fille Carmen. Qui va entraîner dans sa fuite Aidan (un ex marine traumatisé par la guerre d’Afghanistan, installé comme patrouilleur frontalier ; en tuant un des siens, il sauve la jeune femme mais il est recherché comme hors la loi). Deux êtres en cavale -le tempo du film obéit à l’alternance entre fuite échevelée et pause ; deux êtres qui traversent espace et temps en incarnant des problèmes ancrés dans un présent factuel mais à la portée universelle (deuil, exil, racisme, guerre)

Film d’atmosphère, film aux fragrances et lumières nocturnes, film où dominera le rouge (sang et passion) film qui mêle onirisme (avec cette référence au testament d’Orphée quand, Rossy de Palma a les yeux peints sur les paupières) et réalité crue, et qu’une bande son signée  Nicholas Britell (chants monacaux orgues puissants) accompagne comme pour souligner l’inéluctable dans la liturgie même.

Certains verront dans l’exagération esthétisante un certain tape-à-l’œil (qui d’ailleurs ferait bon ménage avec la publicité) : effets de ralenti ou d’accéléré, très gros plans, couleurs, certains découpages/répartitions de l’espace. Or il serait intéressant de s’interroger sur et d’analyser la dimension spatiale, dans ce film, non seulement celle du désert que traverse le couple en cavale, mais celle qui fait corps avec le métier de chorégraphe

Danseur (New York City Ballet) et chorégraphe (directeur l’Opéra de Paris Relève: histoire d'une création - Le blog de cinexpressions) Benjamin Millepied, en se plaçant de l’autre côté de la caméra, sait aussi que seul le cinéma peut faire surgir comme par enchantement une « danse » -ici variation de flamenco- que le spectateur n’attendait pas à tel moment encore moins à tel endroit-, être ainsi en conformité avec le personnage libre et enchanteur de « sa » Carmen (brillamment interprétée d’ailleurs par l’actrice mexicaine Melissa Barrera)

 

Un film à voir ! assurément !

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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19 juin 2023 1 19 /06 /juin /2023 15:51

de Johan van der Keuken (Pays-Bas, 1974, 39 minutes ) écriture, réalisation, image montage 

 

 

 

"Le Jeu de Paume à Paris consacre l’une de ses expositions d’été à Johan van der Keuken, cinéaste et photographe néerlandais décédé en 2001, (cinéaste bien connu du public rouennais grâce au festival du cinéma nordique ) inventeur d’essais visuels,  proche de Godard ou Chris Marker.

En écho, Mediapart diffuse, en partenariat avec la plateforme Tënk, « Les Vacances du cinéaste », éblouissant film de famille tourné dans un village de l’Aude dans les années 1970."

Un petit village de l’Aude, ses habitants, leurs joies, leurs souffrances et la caméra en liberté du cinéaste en vacances qui saisit ces moments intermittents qui, dans le souvenir qu’on en garde, ressemblent si fort au bonheur

Les vacances du cinéaste

« J’ai été formé par la tradition de l’œil vagabond et solitaire - un mythe que j’avais fait mien depuis mon adolescence », écrit van der Keuken en 1984. Les deux commissaires de la manifestation parisienne se sont emparés de cette phrase comme d’une boussole. De cet « œil vagabond », on saisit quelques éclats dans le moyen-métrage que Mediapart diffuse, à partir de ce samedi, en écho à l’exposition parisienne, Les Vacances du cinéaste, réalisé en 1974.

"Johan van der Keuken, alors âgé de 36 ans, part en vacances avec sa famille dans un petit village de l’Aude, qui se vide de ses habitant·es. Le cinéaste subvertit les codes du film de famille en y injectant des photographies qu’il a prises plus jeune (dont son sublime autoportrait à 14 ans, ou le portrait de son ami et poète avant-gardiste Remco Campert, toutes deux exposées au Jeu de Paume), ou encore des extraits de films déjà tournés, sur lesquels il revient, obstiné à percer le mystère de ses propres images. On pense en particulier à la très belle scène de cet adolescent jouant au basket de manière répétitive, sur un terrain d’Amsterdam plongé dans un brouillard épais (tirée du court Un moment de silence, 1960-63, qui est, lui aussi, visible dans l’exposition). 

Sous ses allures de film d’été, noyé sous le soleil de l’Aude, le film de van der Keuken s’avance tout près du précipice, évoquant la figure du grand-père décédé, celle du villageois atteint de la maladie de Parkinson, ou encore celle du saxophoniste Ben Webster, décédé l’année précédant le tournage du film à Amsterdam, et qui fut un ami de van der Keuken.

On conseillera à celles et ceux qui souhaitent prolonger la douceur, et peut-être l’émotion ressentie au visionnage de ce film, de se rendre dans la première salle de l’exposition du Jeu de Paume, consacrée aux portraits des intimes de van der Keuken. C’est en photographiant ses proches, artistes et écrivains, que le Néerlandais s’est autorisé à développer une approche plus expérimentale et rythmique, qui deviendra sa marque, en photo comme au cinéma."

  • L’exposition Le Rythme des images est visible jusqu’au 17 septembre au Jeu de Paume à Paris.
  • Retrouvez d’autres documentaires à visionner sur Mediapart ici. Les films de notre partenaire Tënk sont ici.

 

Mediapart et Tënk

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17 juin 2023 6 17 /06 /juin /2023 06:24

de Claire Denis  (2022 Panama USA)

 

avec Margaret Qualley, Joe Alwyn, Benny Safdie, John C. Reilly, Danny Ramirez, Nick Romano

Stars at noon

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15 juin 2023 4 15 /06 /juin /2023 16:47

2 documentaires réalisés par  Jean Eustache    1968 et 1979

avec les habitants de Pessac, le(s) maire(s) et la(es) rosière(s)

Depuis 1876 à Pessac, la ville natale d'Eustache, le maire et un jury procèdent chaque année à l'élection d'une "Rosière"  une jeune fille choisie pour un an, pour ses qualités morales et sa vertu, qui recevra un prix honorant toute la communauté

Printemps 1968. Une vingtaine de notables se réunit autour du maire de Pessac pour comparer les situations de quelques jeunes filles triées sur le volet. La plus vertueuse est élue 72ème Rosière de Pessac. La cérémonie est organisée selon un protocole strict : la remise de la dot, le cortège mené par la fanfare, la messe, les discours, le banquet et ses chansons à boire.

10 ans après retour à Pessac avec l'idée de "refaire le même film" 

La Rosière de Pessac 1968 et 1979

" En 1968 quand j'ai tourné le film, j'ai regretté qu'il n'existe pas le même film tourné en 1896 l'année où cette tradition qui remonte au Moyen Age a été ranimée et instituée et qui correspond à peu près à l'invention du cinéma. J'ai rêvé à ce qu'auraient pu faire les frères Lumière en 1905, en muet, sur cet événement; j'ai rêvé qu'un autre opérateur aurait filmé la cérémonie pendant la guerre de 14-18, on aurait vu les poilus le village et les gens tels qu'ils étaient à l'époque; j'imaginais le même film en 1936, au moment du Front populaire , et puis il y aurait eu la Rosière sous l'Occupation, avec des Allemands regardant passer le défilé.

L'envie m'est venue de le refaire, exactement de la même façon, en filmant la même chose  avec cette idée donc que si on filme la même cérémonie , qui se déroule sous tous les régimes , sous toutes les Républiques , on peut filmer le temps qui passe, l'évolution et la transformation d'une société à l'intérieur d'une certaine permanence, celle d'un lieu et celle d'une tradition. C'est l'idée de temps qui m'intéresse" Jean Eustache 

Je voudrais que les deux films soient montrés ensemble : d'abord celui de 79, ensuite celui de 68. Une façon de dire aux gens : si vous avez envie de savoir comment ça se passait avant, restez, vous allez voir. » J. Eustache, «Cahiers du cinéma», n°306. décembre 1979

En voulant capter un rituel de fête, en respectant scrupuleusement la "matière" même du sujet -une sorte de   "cinéma vérité" avec un dispositif spécifique -place des lumières et des micros, déplacement de l'opérateur et de la caméra, absence de commentaire-,  afin de ne faire jaillir que "la réalité humaine" et surtout les rapports entre les individus (devenus acteurs de leur "destin" ), en jouant le rôle d'un témoin qui  filmerait à distance,  le réalisateur constate que la "reprise du même système de captation" à 11 ans d'intervalle offre une dimension tout autre du réel . Et ce ne sont pas seulement   la couleur (qui s'est substituée au noir et blanc)  les vues aériennes (plus abondantes) les  travellings ascendants sur des façades de buildings,  qui en "changeant la forme"  proposent une autre vision du réel.

Filmer la  mise en scène des autres  (ici une cérémonie avec son rituel immuable) dont on sera le témoin, fait que tôt ou tard elle va s'inscrire dans votre propre façon de "la mettre en scène". Le spectateur est convié à "voir" une double mise en scène celle d'un document ,celle d'un réalisateur qui aura "transformé"  cette matière première.  Dans la version de 1968 il y a comme un sous-texte (qui affleure dans le prêche du curé mais nullement dans le laïus "baveux" du maire au sourire mielleux) il  concerne la révolte de la jeunesse; dans la version de 1979 c'est le chômage qui habite tous les discours (celui du maire et  celui du curé) Si les critères d'exception morale semblent toujours prévaloir, (pour le choix de la Rosière)   le mérite dû au travail est plus prégnant en 1979. Cela étant , à 11 ans d'intervalle le propos antiféministe des "mâles" dominants n'est toujours pas "remis en cause" ( les clins d'oeil et remarques salaces font florès!!) 

 

Une belle leçon de cinéma!

et une belle définition du "réalisme" 

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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12 juin 2023 1 12 /06 /juin /2023 17:48

Court métrage de Jean Eustache (1980)

 

avec Alix Cléo-Roubaud, Boris Eustache 

 

Rétrospective Jean Eustache (même séance que Numéro Zéro: la grand-mère du cinéaste Odette Robert filmée en continu avec deux caméras fixes qui vont capter le  flux  et le reflux du Verbe  ) 

 

Les Photos d'Alix (Jean Eustache, 1980) (lefilm.co)

Une photographe (Alix Cléo-Roubaud) discute avec un jeune homme (le fils de Jean Eustache). Elle lui montre des photos qu’elle commente. Elle explique ses effets, ses intentions, explique le contexte, décrit les personnages. Tantôt on les voit parler, tantôt on voit les photos plein cadre. Peu à peu le commentaire s’écarte des images. D’abord un peu, puis de manière de plus en plus flagrante au point de ne plus correspondre du tout à ce qu’on voit.

Les photos d'Alix

César du meilleur court métrage de fiction 1982

Quand bien même ce serait un « essai en forme de canular » ce court métrage a l’immense mérite de « décloisonner désynchroniser » discours et image, et le décalage entre ce que nous voyons et ce que nous entendons est à la fois salutaire (c’est une mise en garde contre la « trahison des images » pour parodier  le titre d’une toile de Magritte) et ironique (cf le phrasé d’Alix sa diction ses afféteries assumées au service d’un exposé qui progressivement assure le triomphe de l’impudique;  après tout "une photo peut être personnellement pornographique tout en étant publiquement décente " .)

Et  simultanément le discours est hors champ quand l’image est présente (càd quand nous la voyons à l'écran)  et inversement l’image est  hors champ quand le discours est bien présent.

Réel et non-réel, réel et sur-réel (Alix dit clairement que la photo est trafiquée, elle en explicite le mécanisme mais in fine on ne sait plus si le « faux » émane de l’image ou du discours sur l’image ou des deux ! )

19’ de pur bonheur !!

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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