16 avril 2024 2 16 /04 /avril /2024 08:49

 De Delphine Girard (Belgique 2023)

 

avec Selma Alaoui, Anne Dorval, Guillaume Duhesme Veerle Baetens

 

Prix du public à la Mostra de Venise 2023 dans la section parallèle Giornate degli autori, (équivalent de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes)

Une nuit, une femme en danger appelle la police. Anna prend l’appel. Un homme est arrêté. Les semaines passent, la justice cherche des preuves, Aly, Anna et Dary font face aux échos de cette nuit qu’ils ne parviennent pas à quitter...

Quitter la nuit

La première séquence (qui joue le rôle de prologue) est à couper le souffle, tant le mystère et le suspense sont savamment entretenus. Nous sommes embarqués, -tel un passager clandestin- dans l’habitacle d’une voiture. C'est la nuit. La  route semble déserte!…La passagère (dont nous ne voyons que la nuque et la main) est censée appeler sa sœur, elle déguise son affolement par des détails plausibles (garde de l’enfant par exemple, retard) C’est en fait un appel au secours que captera – après hésitation- ….la policière du centre d’urgence à l’autre bout du fil , à ses questions précises (afin de localiser puis intervenir) la passagère répond par des monosyllabes (donner le change au conducteur qui maugrée, s’impatiente)

En parallèle, deux univers dans le bleu de la nuit :- un habitacle de voiture, un centre d’urgence open-space dans une tour , deux paroles, deux discours ; deux formes d’affolement, de terreur,! Mais  un lien qui se tisse entre les deux femmes, pour une séquence filmée en temps réel (temps minuté,  minutes d'éternité!  )

 

Mais que va-t-il se passer après  ? La mémoire de la nuit, de cette nuit entachera le quotidien des trois protagonistes .... Quitter la nuit, ​​​​​​ Est-ce  possible ?

 

Entrevues ressassements interrogatoires;  analepses aussi : ces retours en arrière qui permettent au spectateur de visualiser un avant de se familiariser avec lui,  Tout cela conjugué  frappe  moins par l’éclatement des  points de vue que par la tendance affichée (en écho au mode de pensée qui continue à sévir -même après #Me Too)- qui veut inscrire une histoire réelle de viol dans l’ambiguïté permanente (et si c’était consenti ?) et dans la minoration des faits (simple incident de parcours) et faire le procès de « deux discours » (parole contre parole) en évacuant la réalité (d’ailleurs à un moment Aly a l’intention de retirer sa plainte…) Aly ne serait pas la "bonne victime"? (elle a entre autres refusé l'examen médical complet)  Dary un violeur? (trop affable amène avec  les siens..) 

 

Un éclaircissement lent et douloureux ; au brouillage à la suspicion entretenue substituer la clarté de l’évidence, tel est bien l’intérêt majeur de ce film,  son enjeu :  "quitter la nuit"  (seconde acception de la formule  à valeur programmatique) 

Y contribuent l’éclatement de la chronologie, l’enchâssement et/ou le télescopage et la confrontation des récits, des différents points de vue, les tâtonnements réitérés. et bien sûr la prestation des trois acteurs

Une approche originale -surtout si on la compare aux propos édifiants de certaines productions…

Un film que je vous recommande, même s’il n’échappe pas à certains poncifs

Même si la lenteur ….calculée,.... peut parfois irriter

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

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15 avril 2024 1 15 /04 /avril /2024 07:19

de Nehir Tuna  (Turquie 2023)

 

avec Doğa Karakaş Can Bartu Aslan, Ozan Celik  Tansu Biçer Didem Elliath

 

 

Prix du scénario Mostra de Venise section  Orizzonti

Prix SFCC de la critique festival du premier film d’Annonay

Festival du film de Mararkech prix du meilleur acteur pour Doga Karakas

 

Argument: Turquie, 1996. Ahmet, 14 ans, est dévasté lorsque sa famille l'envoie dans un pensionnat religieux. Pour son père récemment converti, c'est un chemin vers la rédemption et la pureté. Pour lui, c'est un cauchemar. Le jour, il fréquente une école privée laïque et nationaliste ; le soir, il retrouve son dortoir surpeuplé, les longues heures d'études coraniques et les brimades. Mais grâce à son amitié avec un autre pensionnaire, Ahmet défie les règles strictes de ce système, qui ne vise qu’à embrigader la jeunesse...

Yurt

Dédié au père (cf générique de fin) ce premier long métrage largement inspiré de la vie de son auteur exploite en un premier temps les atouts du noir et blanc (deux univers, deux tendances, deux idéologies, laïcité le jour, islam la nuit, soit un lycée privé BCBG et un Yurt (dortoir) un internat géré par des religieux psychorigides la nuit) Il introduira la couleur dans le dernier quart consacré à l’escapade libertaire des deux pensionnaires Ahmet et Hakan

Turquie 1996 dit le prologue. Période qui oppose laïcité et islamisme. Fracture sociétale et politique que va incarner le personnage principal Ahmet ; mais ne nous leurrons pas le réalisateur souligne l’aspect très rigide des deux modes d’éducation et de pensée, de même qu’il évite le manichéisme en mêlant rigueur et bienveillance (portrait du père par exemple) alors que  les aveux de Hakan diront  la difficulté à (et de) faire voler en éclats les barrières sociales

Ballotté entre deux univers, ballotté entre les pressions sociales, entre l’affection d’une mère et les objurgations d’un père (récemment converti), entre les brimades et les attirances envers une jeune fille mais aussi envers Hakan,  l’ado parviendra-t-il  à se forger une personnalité ? en dehors de la "dissimulation" (cigarettes, cassette par exemple)?  En ce sens Yurt est un récit d’apprentissage à la force émotionnelle indéniable et la prestation de Doga Karakas, est  convaincante

Mais alors pourquoi cette tendance fâcheuse à tout surligner ?

Tant dans les enjeux narratifs que dans les éléments symboliques (avec force gros plans prolongés ou floutages excessifs)

Une surenchère qui, à mon humble avis, dessert le propos…

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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14 avril 2024 7 14 /04 /avril /2024 07:02

De Jawad  Rhalib   (Belgique 2023)

 

avec Lubna Azabal, Fabrizio Rongione, Catherine Salée, Kenza Benbouchta Ethelle Gonzales-Lardued, Johan Heldenberg, Babetida Sadjo, Mehdy Khachachi

 

 

Prix du Public, CitéCiné, le Festival International du Film Politique de Carcassonne –

Prix du Public, Festival Palm Springs - Best of Fest 2024

Présenté en avant-première à Rouen, lors du  festival Ciné Friendly  vendredi 11 avril en présence du réalisateur 

 

 

Sortie en salles mercredi 17

Argument: Amal, enseignante dans un lycée à Bruxelles, encourage ses élèves à s’exprimer librement. Avec ses méthodes pédagogiques audacieuses et son enthousiasme, elle va bouleverser leur vie. Jusqu’à en choquer certains. Peu à peu Amal va se sentir harcelée, menacée

Amal,  un esprit libre

Non ce film n’est pas une diatribe contre la communauté musulmane. Le titre n’est-il pas suffisamment éloquent ? Amal ou le portrait d’’une enseignante (admirablement interprétée par la talentueuse Lubna Azabal) qui contre vents et marées revendique sa passion pour la liberté d’expression,  milite pour la sauvegarder (le choix du poète musulman Abu Nuwàs-libertin et bi- du VIII° siècle n’est pas anodin). Oui , l’école est et doit rester ce lieu privilégié où s’épanouit l’esprit critique (et non de critique) loin des idéologies sectaires (dont le radicalisme musulman) Allah n’a pas sa place dans une salle de classe ; affirme péremptoire l’enseignante. OR quid de la laïcité dans les écoles belges ? (nous l’apprendrons par le générique de fin…)

Courageux le réalisateur Jawal Rhalib a su mettre les « mots »  sur les « maux » loin des stéréotypes (attendus et clivants)

La scène d’ouverture est à couper le souffle ; en écho lui répondra la toute dernière, dure acérée tel un couperet. Entre les deux le « parcours » de deux victimes « sacrificatoires ». (on a tous en mémoire la tragédie de Samuel Paty) Voici en plan très rapproché une jeune fille vue de profil qui vient d’être tabassée (meurtrissures bleutées arcades sourcilières sanguinolente) la cloison des toilettes encaisse ses cris, les frappements de ses mains comme une caisse de résonance ; puis un gros plan sur son tatouage « memento mori » (« souviens-toi que tu vas mourir » mais la traduction littérale souviens-toi que tu es en train de mourir serait-elle prélude à… ?). De quoi Monia est-elle le « nom » ou le « non », pour être ainsi harcelée jusqu’au « châtiment» par les « siens » ? (Modernité tenues vestimentaires tatouages, et surtout ... homosexualité ?)

Amal -esprit libre car libéré du carcan de l’intolérance- va s’employer à « gérer » la sauvagerie de la discorde, (par une méthode qui rappelle la maïeutique), évacuer coûte que coûte les effluves délétères voire morbides qui polluent l’ambiance où l’imam (interprété par Fabrizio Rongione) exerce une influence néfaste, insidieuse en dehors de tout contrôle, où certains parents s’immiscent dans la vie scolaire en exigeant le respect de leur loi dans le choix des auteurs inscrits au programme, où l’administration prône avant tout la sécurité » (argument qui sert à maquiller la lâcheté) ambiance où la puissance virale des réseaux sociaux et la haine diffusée (et diffuse) peuvent décider du sort d’une « victime » (justice immanente et charia). Amal est …. seule, dans ce parcours de combattant dont le film restitue les étapes, telle une tragédie à l'antique ( avec son chœur et son coryphée, avec sa structure  de l’exposition au dénouement-), étapes souvent lisibles sur le visage de Lubna Azabal, qui d’un regard d’un battement de cil d’un sourire, de lèvres closes comme suturées exprime  bienveillance ironie, détermination  ou au contraire exaspération, affolement

La bande-son coupée au plus fort d’une empoignade en classe et voici qu’à la violence verbale se substitue celle des gestes ou des grimaces de visages déformés, comme autant de stigmates de la haine ; avant que ne retentisse l’injonction « silence » proférée avec fermeté par l’enseignante, un moment décontenancée par l’explosion. C’était comme l’acmé de la « tragédie »

Le film tourné essentiellement à l’intérieur de l’établissement -salle de classe salle de réunion- ou dans l’appartement d’Amal- ,plonge le spectateur in situ, in media res (un seul plan en large panoramique sur la ville). La caméra immersive l’invite ainsi à n’être pas seulement « regardeur »

Un film coup de poing à ne pas rater ! 

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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11 avril 2024 4 11 /04 /avril /2024 08:30

D'Igor Minaïev (1995 France Russie) version restaurée

 

avec Isabelle Huppert, Boris Nevzorov, Macha Lipkina 

 

Film d'auteur, inspiré de la nouvelle d'Evgueni Zamiatine, (découverte par Isabelle Huppert), produit par Toscan du Plantier 

Petrograd années 1920 . Pour sauver son couple qui se meurt, Sophia propose à son mari Trofim d’adopter Ganka, orpheline de treize ans. L’intrusion de l’adolescente va être encore plus destructrice pour le couple.

L'inondation

Voici des plans sur la ville de Petrograd (Saint Pétersbourg) ils servent d’ouverture à un drame qui se jouera dans le huis clos d’une maison. Expressives (par les jeux de lumières les alignements les vues d’ensemble ou les plans plus rapprochés) ces successions d’ambiances auront leur écho dans la séquence de l’inondation (crue dévastatrice de la Neva, tragiques engloutissements) ; inondation et prémices à l’explosion d’une colère refoulée… ???.

L’essentiel donc se passera à l’intérieur d’une maison où Sophia partage le rez-de-chaussée avec son mari bourru, macho intraitable, qui ne lui pardonne pas de ne pas être enceinte…. Intérieur d’une maison et intérieur d’une conscience ?

L’appartement donne sur une courette où Sophia apparait pour la première fois en train de récurer méticuleusement une table à l’aide d’un hachoir .....

 

Intérieurs cadrés tels des tableaux avec des effets spéculaires -fenêtres miroirs- et des clairs obscurs -pénombre, ombre et lumière, celles de la conscience de Sophia (sagesse étymologiquement…) ses tourments ses hésitations (dont les regards toujours à l’affût sont l’expression ; la lumière blanche qui transformerait son visage en icône contraste souvent avec l’obscurité ambiante ) Une pénombre qui se prête au jeu des ombres ; ombres fantastiques jamais tutélaires, ombres démesurées à peine tremblées et dont la portée se mesure à l’aune du désir vécu sur le mode de la douleur : fantasmer le retour du mari sous les draps ; froissements et masturbations ; mari « volage » ; Ganka victime (enfermée dans ces WC extérieurs elle est la risée d’une bande de chenapans,) orpheline (le père menuisier vient de mourir) employée par Sophia, elle-même victime du « patriarcat ».. Quand, assise face aux flammes de la cheminée Ganka coupe le bois, le gros plan sur la hache est celui d’une caméra subjective…on devine les intentions…. de l’épouse bafouée Sophia

Le silence est le quatrième personnage de ce huis clos à 2 puis à 3, (cf les dîners vus à travers la fenêtre) un silence lourd de ces choses qu’on ne peut dire, faute de mots ( ?) faute de souffle ( ?) faute de …

 

Omniprésent (de la première séquence dans la cour jusqu’à la crue de la Neva) avec bien évidemment toutes ses connotations (purification et dévastation) le thème de l’eau se double de celui du sang avec les connotations identiques de vie et de mort ; les deux irriguent jusqu’à saturation le « théâtre » d’Eros et Thanatos

Tout cela sur un fond politique juste esquissé (il est question de mobilisation) MAIS dont la bande son -cris fusillades bruits de pistolet- est censée restituer le climat « révolutionnaire »( ?) ; ces cris du « dehors » restent inaudibles -Sophia est obnubilée par ce qui la ravage intérieurement; en revanche dans une église orthodoxe rutilante d’objets cultuels elle assiste à une empoignade qui oppose deux conceptions de la relation église (pope) et croyants, cupidité malsaine et « pieuse » sensiblerie et qui se soldera par le saccage et les vols…

 

On appréciera la musique d’Anatoli Dergatchev, la photo de Vladimir Pankov et la prestation toute en nuances d’Isabelle Huppert (Bovary éthérée et femme vénéneuse tout à la fois).

En revanche on peut déplorer l’outrance dans la théâtralisation, (acteurs-récitants, déplacements tâtonnants, dans l’espace, lui-même scène et avant-scène devenu) les effets d’insistance (la hache en gros plan, la vulgarité du mari machiste, la force tempétueuse du vent) et l'imperfection  du doublage - imposé par/pour cette  nouvelle version française ???

 

L’inondation : un théâtre d’ombres ?

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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10 avril 2024 3 10 /04 /avril /2024 07:07

'De Rodrigo Moreno  (Argentine/Brésil/Luxembourg/ Chili) 2023 (durée 3h10)

 

avec Daniel Elias, Esteban Bigliardi, Margarita Malfino, German de Silva, Laura Paredes, Cecilia Rainero 

 

 

présenté au  festival de Cannes 2023 (section Un Certain Regard)

 

présenté à Rouen  lors du festival à L'Est  du 12 au 17 mars en Compétition d 'Est en Ouest

Román et Morán, deux modestes employés de banque de Buenos Aires, sont piégés par la routine. Morán met en oeuvre un projet fou : voler au coffre une somme équivalente à leurs vies de salaires. Désormais délinquants, leurs destins sont liés. Au gré de leur cavale et des rencontres, chacun à sa manière emprunte une voie nouvelle vers la liberté...

Los delincuentes

Un film étrange audacieux qui mêle habilement  -parfois en les pulvérisant- les codes de certains films de genre : le polar la romance. Un  film où l’onirisme côtoie le réalisme cru, où la poésie transcende l’immanence, où le burlesque et l'humour pactisent avec le sérieux et le grave.  Composé de deux parties il oppose ville (Buenos Aires) et nature quasi idyllique (région de Cordoba); le grouillement les architectures (cf les différents angles de vue pour cerner une forteresse, la banque où sont employés Román et Morán) à la musique du  silence,  à la précieuse rareté des fleurs, à  la majesté d’un cheval , à la somptuosité des étendues (vastes panoramiques) à la vie idyllique dans une nature comme « inviolée » (l’ascension de Morán et les vues en contre plongée n’en seront que plus exemplaires).

Oppositions mais aussi échos : ainsi la banque est présentée d’emblée comme un univers carcéral (gros plans sur les serrures et grillages, et bruitages inhumains) et c’est le même acteur qui interprète le « boss » (banque) et le « caïd » (prison) ; deux employés de banque (le « complice » d’abord réticent assumera le choix imposé) deux sœurs ; un vidéaste cinéaste qui arpente les étendues magiques (et ce très gros plan sur une fleur rouge improbable) double de Rodrigo Moreno?  (peut-être). On  pourrait multiplier les exemples et inscrire ce film dans la production argentine foisonnante (cf  Trenque Lauquen Trenque Lauquen Parties 1 & 2 - Le blog de cinexpressions ) signe d’un incroyable dynamisme  culturel (hélas compromis  par les choix mortifères du nouveau président  ???…)

Certes le découpage peut sembler artificiel (d’autant que le début de la partie II n’est que le prolongement d’une séquence de I) peut-être que le film a été conçu dans la durée ; certes les split-screen d’abord assez singuliers (les bras des deux protagonistes filmés en des décors et circonstances dissembalbles donnent l’impression de se « toucher » ) répétés, ils perdent leur originalité ; les anagrammes (Moran Roman Norma) , doublées par le jeu des initiales du réalisateur (R M)  et certaines interprétations confiées aux mêmes acteurs, mêlent un peu facilement le ludique et le  symbolique et on pourra toujours déplorer l’irréalisme d’une rédemption par la poésie (cf le caïd en prison)

Mais tout cela -broutilles pour esprits chagrins - s’inscrit en fait dans une approche qui fait la part belle aux lectures plurielles (d’où le choix du « double ») de même que la déclamation de la grande salina (Ricardo Zalarayá) irrigue le film de poésie, de même que la pochette du disque Pappos Blues, baladée au rythme du scénario apparemment (ou délibérément) tortueux joue le rôle de talisman ; et ce n’est pas pur hasard si le film se clôt sur  un  hymne à la liberté  

 A ne pas manquer

 

 

Coletet Lallement-Duchoze

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9 avril 2024 2 09 /04 /avril /2024 05:43

d'Ethan Coen (USA 2023)

 

avec  Margaret Qualley, Geraldine Viswanathan, Beanie Feldstein, Joey Slotnick, Matt Demon

Jamie, une jeune femme libre d’esprit essuyant une énième rupture amoureuse, et Marian, son amie pudique et réservée qui souffre de frustration généralisée, sont en quête d’une bouffée d’air frais. Elles se lancent dans un road trip en direction de Tallahassee, mais leur périple va vite se compliquer quand elles croisent la route d’une bande de truands.

Drive-Away Dolls

Une gamine perfore la balustrade et de son œil avide contemple sa voisine se baignant nue dans la piscine (filmée au ralenti la femme va se chausser de bottes rouges alors que le mari réclame à manger….) Flash back ou comment  Marian -Geraldine  Viswnathan-  revit extasiée ses premières attirances pour les femmes,,  avant de « lâcher prise »

Sa compagne Jamie très affranchie, multipliant les aventures (au grand dam de certaines…), incarne la liberté sans entrave. Un groupe de sportives lesbiennes  s’adonnent à des « parties » de fantaisies rythmées par les coups de sifflets; une flic Sukie ( Beanie Feldstein)  -dans une des premières scènes  d’ailleurs sa chair triturée léchée explose de plaisir dans sa flaccidité-  larguée par sa partenaire Jamie va concocter sa  vengeance; elle saura dans l’exercice de ses fonctions mettre KO les deux mâles malfrats, à la recherche de cette mallette contenant des godemichés compromettants …pour l’avenir politique d’un sénateur…républicain...

 

Bienvenue au pays de la femme libérée…lesbienne !

Bienvenue dans ce road trip qui se veut plaisant,  au rythme souvent endiablé, aux situations absurdes , aux dialogues pas toujours subtils et souvent vulgaires, aux jeux de miroir (cf les duos : le couple de malfrats et leurs   méthodes si opposées,  le couple Jamie/ Marian si dissemblable...)

 

Le hic, car il y a un hic -et le nom Ethan Coen est bien évidemment responsable, il est porteur d’un label et implique des attentes !

Les digressions psychédéliques semblent « plaquées » artificiellement, alors qu’elles étaient censées donner le « tempo » en tant que « transitions » entre les étapes de cette « course poursuite » ; le recours aux plans coupes est excessif et nuit à sa prétendue originalité, l’opposition démocrate/républicain (en cette période électorale….) esquissée légère et vulgaire ; mais bien pire l’ensemble souffre d’un manque d’ingéniosité, d’originalité !!

 

Colette Lallement-Duchoze

Drive-Away Dolls
Drive-Away Dolls

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7 avril 2024 7 07 /04 /avril /2024 10:26

Documentaire réalisé par Andrés Peyrot (Panama/France 2023) 

En 1975, Pierre-Dominique Gaisseau, explorateur français, se rend au Panama pour réaliser un film sur la communauté fermée des Kunas, où la femme est sacrée. Or, le projet fait faillite et les Kunas attendent toujours de découvrir leur film.

Dieu est une femme

Tout commence (film + histoires)  par ces images d’archives ; nous voyons Pierre Dominique Gaisseau recevoir en 1962 un Oscar pour son documentaire Le ciel et la boue ; nous apprenons aussi qu’en 1975, il fut l’hôte de la communauté Kuna (peuple d’Amérindiens vivant dans l’archipel de Kuna Yala, le long de la côte caribéenne du pays). Communauté matrilocale qu’il avait filmée (fasciné par son mode vie, ses pratiques cultuelles et son organisation sociale , si éloigné.e. s de sa « civilisation occidentale »)  et à laquelle il avait fait la promesse solennelle de faire connaître « dieu est une femme » Mais rien ne se passa comme prévu…

Andrés Payrot cinéaste suisse d’origine panaméenne se rend en 2010 à Ustupu ; le souvenir de cette promesse est toujours vivant (Dieu est une femme jamais visionné serait attendu comme un film miroir?) Dès lors va débuter une « quête » (retrouver ces bobines) qui se double d’une enquête. Film d’aventures ! Nous serons aux côtés du cinéaste et du poète Arysteides Turpana, âme de cette communauté ;  après sa mort en 2020 le récit serait désormais orphelin de son héraut ? Peut-être,  mais le cinéaste le veut avant tout « collectif » , et surtout débarrassé de ces oripeaux censés épater le  "touriste " (et flatter son regard "ethnocentrique")

Ainsi deux récits vont être menés de pair ou de front, le questionnement sur la fonction du documentaire dit « ethnographique » n’en sera que plus percutant. Après avoir assisté (comme en direct à la découverte des bobines puis à leur restauration, à leur transport presque dédaléen) nous serons convoqués au plus près de tous les habitants de l’île pour voir sur cet immense « écran » de fortune ce qu’étaient ces gamines (aujourd’hui adultes) ou leur père (aujourd’hui décédé) accomplir le rite de l’hyménée par une danse rituelle, la communauté dans son ensemble (rites de passage, "tonte" des cheveux certainement douloureuse)

Une « mise en abyme » donc pour un film hybride. Avec l’option de la simultanéité (comme dans des split screen) Juxtaposer dans le même cadre des extraits d’un passé restauré et le moment présent, voilà un exercice d’autant plus périlleux que le commentaire en off s’offusque de l’approche « occidentalisante » et que la proximité du présent d’hier avec celui d’aujourd’hui abuse parfois de surimpressions ou de fondus enchaînés 

Restera gravée la personnalité de cette femme qui tout en commentant l’image de ce qu’elle a été, est comme déifiée, mais sans être idéalisée tout simplement parce que son regard authentique bat en brèche toute tentative de « folklorisation » mal venue…

A voir !

 

Colette Lallement-Duchoze

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6 avril 2024 6 06 /04 /avril /2024 05:54

de Kanu Behl (Inde 2023)

 

avec Mohit AgarwalPriyanka BoseVibha ChhibberRahul RoyAanchal GoswamiRuhani SharmaSonal JhaDevas DixitRajesh AggarwalYashraj Rawal

 

Festival Cannes 2023 Quinzaine des Cinéastes 

Guru, la vingtaine, est fou amoureux d'une de ses collègues de bureau, Mala, avec qui il travaille dans un centre d'appels à Agra. Il habite toujours chez ses parents, au rez-de-chaussée de la maison avec sa mère, tandis que son père vit à l'étage avec sa maîtresse. Quand Guru annonce qu'il va se marier avec Mala, tout bascule. Les frustrations, les fêlures et les haines familiales éclatent au grand jour, symptômes d'une société indienne marquée par le poids des traditions et des multiples tabous

Agra, une famille indienne

Des coulées de gouache très colorées envahissent  l’écran ; un magma telle l’allégorie ou la métaphore d’un esprit dérangé ? Elles reviendront à intervalles réguliers comme pour avertir le spectateur « attention Guru en folie » « attention Guru en détresse »

Mais qui est Guru? Des yeux hagards, des  masturbations furieuses, des rapports sexuels torrides hallucinés fantasmés. Serait-il atteint de priapisme ? Est-il frustré sexuellement ?

"Elle est à moi, la terrasse ! » Tel l’écureuil encagé sur la terrasse miteuse, (le père vit à l’étage avec sa maîtresse, alors que le fils partage avec sa mère le ridicule rez-de-chaussée d'une une maison en ruines, sise dans une ruelle d’Agra) Guru est pris au piège. Celui de sa libido explosive qui lui joue des tours. Celui de frustrations auxquelles rien ne semble remédier ….Mais en se mariant, en épousant Maia (objet de tous ses fantasmes !!! ) il peut prétendre à un espace dédié à l’intime. (ne serait-ce qu’en transformant la terrasse en chambre)  C’est alors qu’entre en scène un autre partenaire incontournable, une société immobilière…

Enfer familial, enfer social, corruption puissance de l’argent tout cela sera traité avec un réalisme assez cru et/ou avec l’humour absurde de la comédie

Ainsi à partir d’un canevas qui lie étroitement spatialité et sexualité, hystérie et oppression sociale et sexuelle, le réalisateur a voulu "emmener le public dans un parcours difficile avec un héros qui, sans le bon vocabulaire et tout en faisant des choses odieuses inacceptables, est la seule personne qui se bat pour la vérité, qui lutte contre l'oppression sexuelle. Je voulais que ce parcours soit presque un message d’’avertissement pour montrer où finissent par mener les journées passées dans l‘obsession du phallus!"

Pari réussi ? certes du point de vue scénaristique la rencontre inattendue avec Priti une femme plus âgée, et le « mariage » de deux incomplétudes semblent « résoudre » la « douloureuse » équation inaugurale ; certes la satire du patriarcat et la dénonciation des interdits sont à la fois audacieuses (le sexe dans tous ses états) comiques et savoureuses

Mais que de longueurs ! que de répétitions !

Elles altèrent le simple plaisir de regarder, elles empêchent l’adhésion   -

-les invraisemblances quant à elles  ne sauraient choquer dans une allégorie !

 

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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4 avril 2024 4 04 /04 /avril /2024 08:09

Documentaire réalisé par Sébastien Lifshitz (2023)

 

Présenté à Angoulême festival film francophone  (2023)

 

Festival des Arcs 15ème édition 

« Bienvenue dans ma vie », cette phrase, Sylvie Hofmann la répète à longueur de journée ou presque. Sylvie est cadre infirmière depuis 40 ans à l’hôpital nord de Marseille. Sa vie, c’est courir. Entre les patients, sa mère, son mari et sa fille, elle consacre ses journées aux autres depuis toujours. Et si elle décidait de penser un peu à elle ? De partir à la retraite ? En a-t-elle le droit, mais surtout en a-t-elle vraiment envie ?

 

Madame Hofmann

Des plans de rues urbaines, désertées par l’homme

Puis nous voici au cœur d’une unité de soins de l’hôpital nord de Marseille où Sylvie Hofmann, peine à planifier son agenda (le personnel testé positif ne peut être remplacé, tout comme l’hôpital ne peut héberger de nouveaux patients)

Elle-même sent son « corps » la lâcher (surdité soudaine)

Elle-même après 40 ans de service va bientôt partir en retraite.

 

Et voici que les premières séquences (muettes ou marquées par une forme de désespoir) résonnent de façon singulière ; et si la mort apparente de la ville (due au confinement) était la préfiguration d’autres morts (inévitables ?) celles de ces patients, victimes de tumeurs cancéreuses malignes, celle du corps hospitalier -dont le documentaire met en exergue tous les symptômes, (à la surdité de Sylvie répondrait celle d’un hôpital qui devrait gérer l’incurie des pouvoirs politiques ??) celle de sa mère (dont le franc parler aux paradigmes judéo-chrétiens est truculent) mère sujette à des cancers à répétition, porteuse de ce gène mortifère…dont a hérité la fille

Sensation douloureuse d’abandon -et de solitude !

 

Et pourtant ! Le réalisateur a su saisir l’instant, son frémissement et toutes ses vibrations. Le visage de Sylvie (souvent filmé de très près au volant de sa voiture comme dans l’espace  de soins palliatifs dont elle est responsable avec son équipe, par exemple) illumine de sa blondeur de son éclat azuréen de son sourire.

Hymne à la vie ?

 

En alternant vie privée et vie professionnelle, blancheur de l’hôpital et luminosité de la plage, plans d’ensemble et plans rapprochés, scènes de liesse (avec un côté délicieusement potache pour fêter le départ à la retraite par exemple ) et face à face plus douloureux, Sébastien Lifshitz capte une personnalité, celle d’une louve, d’une maîtresse femme, donne l’éclat du diamant à son sourire à son regard, sans verser dans l’hagiographie ni la sensiblerie (quand bien même l’émotion est là à fleur de peau) et l’aveu d’une prochaine mutilation pour contrecarrer une prédisposition inscrite dans les gènes résonne comme le cri d’une parturiente

 

Oui l’hôpital public est en danger et ses mutations, ses abandons, Sylvie les recense en toute lucidité tout comme elle a la conscience aiguë de ce que désormais elle devra construire (avec ses proches, avec elle-même)

 

Vu de dos le corps de Sylvie s’éloigne progressivement de la plage et de la caméra ; il va se fondre dans le flux d’une eau lustrale. Hyménée avec la mer et le soleil ?

 

 

Ce documentaire dédié à Sylvie comme le recommandait Sébastien Lifshitz présent lors de l’avant-première mardi 2 avril, sortira en salles le 10

 

A ne pas rater

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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3 avril 2024 3 03 /04 /avril /2024 15:12

De Karim Ainouz  (USA /G-B 2023)

 

Avec Jude Law, Alicia Vikander, Sam Riley, Eddie marsan, Simon Russell Beale, Amr Waked, Erin Doherty  

 

 

Présenté en compétition officielle Cannes 2023

Catherine Parr est la sixième femme du roi Henri VIII, dont les précédentes épouses ont été soit répudiées, soit décapitées (une seule étant décédée suite à une maladie). Avec l’aide de ses dames de compagnie, elle tente de déjouer les pièges que lui tendent l'évêque la cour et le roi...

Le Jeu de la Reine (Firebrand)

L'Histoire nous dit peu de choses, elle raconte surtout les hommes et la guerre » (prologue)

Karim Ainouz va « raconter les femmes » et particulièrement Catherine Parr, en tant que Régente, épouse, « mère »,  érudite et cultivée,  en ces derniers moments de la royauté d’Henry VIII ; tout en adoptant le point de vue de la future Elisabeth 1ère (voix off relayant ses écrits)

A la barbarie de cet homme qui sadique prend plaisir à humilier intimider, Catherine feint de se « soumettre » La jambe malade exhibée avec complaisance (gros plans sur les purulences béantes) devient très vite la métaphore de l’énorme pénis. Car tout est énorme chez ce géant de la cruauté dont la stature peut envahir tout l’écran et ses grognements sont ceux d’un porc qu’on égorge (Jude Law est méconnaissable)

 

Catherine nommée Régente en l’absence de son mari guerroyant en France, saura déjouer l’attention de ses escortes en rendant visite à son amie protestante calviniste Anne Askew, tout comme elle sera la « mère » et « complice » des enfants issus d’autres mariages, (le prince Edouard les princesses Marie et Elisabeth)  tout comme elle s’ingéniera à influencer les conseillers du roi (c’était hélas ! sans compter sur leur vilénie leur trahison leur félonie leur soif de pouvoir).

Si l’Histoire a délibérément occulté cette figure féminine (à la différence d’Anne Boleyn par exemple) Karim Ainouz la réhabilite - avec la contemporanéité du mouvement MeToo,  pourra-t-on objecter

Toujours est-il qu’à travers elle, il célèbre le pouvoir de la femme, la force de la sororité. En les intégrant au sein d’un film d’époque (dont la reconstitution sera remarquée car très documentée, tant au niveau des costumes des ambiances que du mobilier) il cherche à en déjouer les « codes » (les rares échappées en extérieur renvoient au gothique et/ou romantique alors que le choix d’une musique rock pour le final tout comme celui d’une photo qui refuse « la froideur grandiose de la monarchie » tranchent avec ce que l’on attend d’un « film en costumes » ; quant aux scènes de danses, de chants,  elles ponctuent  l’intrigue ; loin d’être « plaquées » sur , loin d’être pures décorations elles participent au récit (rôle narratif) et à l’action (rôle dramatique)

 

On pourra toujours déplorer le côté crade (c’est un choix délibéré) les excès, une forme de complaisance (Catherine essayant vainement de stopper sa fausse couche ; le visage du prélat anglican ciselé telle une eau-forte ; le roi entonnant un air telle une popstar etc)

 

 

Un film surprenant que je vous recommande

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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