De José Luis Valle. Avec Jesus Padilla, Susana Salazar
Un film pour le moins étrange! Il livre avec parcimonie et de manière progressive les éléments informatifs, narratifs, majeurs, (d'ailleurs il restera au final des parts d'ombre). En outre, le recours aux longs plans séquences, aux plans fixes cadrés avec rigueur et le choix d'un rythme lent pourront dérouter voire agacer certains spectateurs...
Il me semble que la séquence d'ouverture (qu'on retrouvera presque identique à la fin) contient le tout. Plan large sur la mer et la grève avec une bande son qui restitue le bruit des vagues; imperceptiblement sur la droite de l'écran se dessine ce qui pourrait ressembler à une digue; puis très lentement apparaît le "mur" de séparation (une femme "minuscule" face à l'énormité de ce rempart, va communiquer avec d'autres -invisibles pour nous- à travers les barreaux); et voici que surgit une tête vue de dos, celle d'un personnage masculin; (à la fin ce sera celle d'un personnage féminin); c'est en fait à travers son regard que se profilait la scène. Révéler peu à peu, lentement. Caméra subjective. Un mur avec toutes ses connotations. Des personnages comme écrasés....N'est-ce pas un message subliminal?
En un montage parallèle, le réalisateur s'intéresse au "destin" de deux "workers": Rafael, balayeur depuis trente ans dans une usine d'ampoules électriques, Lidia domestique au service d'une richissime propriétaire monomaniaque (elle ne vit que par et pour sa "princesse", une chienne lévrier, à laquelle elle léguera tous ses biens). Les gestes du premier, toujours impavide, semblent obéir à un rituel immuable. La seconde plus loquace (encore que...) "semble" attachée à la fois à sa maîtresse et à sa chienne; en tout cas très pragmatique elle donne l'impression de gérer un quotidien absurde. Elle est filmée parfois (sur son lit par exemple) à la façon de Reygadas.
Mais se méfier des apparences!!! La placidité ou/et l'obéissance forcée aux nantis peuvent masquer une révolte. Le film dessine en creux (ou plutôt tel un miroir déformant) une société (nous sommes à Tijuana ville frontière au nord-ouest du Mexique) qui sauvagement déshumanise (le cas de Rafael en est l'exemple le plus probant); alors comment lui résister sinon par une autre forme de "sauvagerie"?...
Exploitation sans vergogne des travailleurs clandestins ou des domestiques, omniprésence des cartels, etc. tous ces problèmes sont traités avec un humour jaune et grinçant (où le cynisme côtoie souvent l'absurde) ce qui a valu au réalisateur le prix du jury, lors du festival international du film grolandais (c'était à Toulouse en septembre)
À voir absolument!
Colette Lallement-Duchoze