de Richard Ayoade
Grand prix long métrage au festival des Hallucinations collectives 2014.
Avec Jesse Eisenberg (Simon James/James Simon) Mia Wasikowska (Hannah) Wallace Shawn (M. Papadopoulos) Yasmin Palge (Mélanie)
On peut toujours gloser sur le thème du double: sosie réel ou fantasmé, frustration et paranoïa, quête d'identite, et le vertige qui en découle. Le film de Richard Ayoade, adaptation du roman de Dostoïesvski se prête en effet à une lecture plurielle! D'un point de vue formel, le film joue avec les "duplications" créant ainsi des effets spéculaires. Voici Simon James, timide voire timoré, et son double James Simon, extraverti flagorneur et cynique; voici les textes/dessins qu'Hannah jette régulièrement chaque soir, et que Simon récupère dans le vide-ordures pour les "reconstituer"; le rôle de la photocopie(use); celui des carreaux des vitres des miroirs où se reflètent des visages ou des corps; l'œil du voyeur (Simon scrute de sa longue vue, à la manière de James Stewart, la fenêtre d'en face -pénétrer l'intimité d'Hannah!). Les exemples abondent! Et quand Simon quitte son minuscule bureau, le couloir qu'il arpente seul en profondeur de champ, ne ressemble-t-il pas à un tunnel maléfique (dans toutes les acceptions de ce terme)?
Mais ce qui frappe d'emblée, c'est le décor: délibérément le réalisateur mêle ambiance futuriste et objets surannés (une photocopieuse à l'allure de tank, des ustensiles de cuisine et des lampes d'un autre âge, par exemple). Il brouille aussi les repères en introduisant des chansons japonaises des années 60...Les lumières et les couleurs (vitreuses chlorotiques ou verdâtres) l'absence de ciel et de verdure, créent un univers kafkaïen (le Procès d'Orson Wells avec ses cauchemars et son humour noir n'est pas loin) La scène d'ouverture pourrait être cocasse: dans le métro (?), quasiment vide, un passager -dont on ne verra pas le visage- fait comprendre à Simon qu'il a pris sa place; en fait cette scène met en évidence tel un message subliminal le premier "déraillement" (auquel assiste le spectateur) et le regard hébété du personnage en dit long sur une forme d'autisme. À l'entreprise où il travaille on lui demande de décliner son identité "mais je travaille ici depuis 7 ans". Serait-il à ce point transparent? Et quand apparaîtra son "double"un nouvel employé (mais personne hormis Simon ne prend conscience de cette ressemblance plus que troublante), il le sera encore plus (jusqu'à être "radié"de l'entreprise).
Il faut saluer la prestation de Jesse Eisenberg (vu récemment dans Night Moves) qui excelle autant à interpréter le caractère halluciné (et pourtant statique) de Simon un anti-héros solitaire, que la jovialité charismatique de James
Une firme qui traite des données pour ses clients, son PDG qui se fait appeler "colonel", un employé (James) qui usurpe le travail d'autrui (Simon) en exploitant ses talents, des suicides: caricature ou miroir à peine déformé de notre monde??
Colette Lallement-Duchoze