Un film d'Atiq Rahimi avec Golshifteh Farahani, Hamidreza Javdan,Massi Mrowat, Hassina Burgan ..
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Adapter son propre roman, Atiq Rahimi l'avait fait avec "Terre et cendres"; il s'attaque une nouvelle fois à ce qu'il considère "un vrai casse-tête" en portant à l'écran son roman "Syngué sabour pierre de patience" (prix Goncourt 2008)
Les lecteurs avaient été sensibles à son écriture "durassienne": prose ciselée jusqu'à l'épure, rythme lancinant incantatoire, abondance de phrases nominales, morcellement en fragments, et avec une "grammaire" qui rappelle celle du théâtre et du cinéma. Ainsi la page liminaire consacrée au descriptif de la pièce/huis clos, procèdait par touches successives comme autant de travellings lents: latéral et ascendant, avec gros plans sur le portrait et le poignard, les oiseaux du rideau, sur le corps allongé du mari, sur les cheveux de la femme; une répartition "savante" des couleurs dans l'espace; et c'est précisément ce que donne à "voir" la scène inaugurale du film
Le roman est un long monologue. Les souvenirs enfouis se libèrent par la parole jusque-là muselée, celle-ci est entrecoupée de gestes, d'attentes, de silences (telles des didascalies). Reproches, aveux, remémorations traumatisantes, culpabilités, mensonges, désir charnel enfin assouvi avec le jeune soldat, tout cela la femme le confie à son mari -comateux et comme décérébré- qui devient sa "pierre de patience".
Pour éviter la théâtralisation, - piège de ce huis clos qui par métaphore devient le réceptacle d'une conscience-, et la redondance d'un simple copier/coller, le réalisateur (aidé par J-C Carrière) donne à "voir" et "entendre" la guerre (bombardements qui terrorisent, massacres, lutte fratricide). S'ajoute un va-et-vient récurrent entre la maison et l'extérieur (les rues où la femme est vue en plongée ou de dos, réduite à la masse de sa burka; vue panoramique sur la ville (Kaboul ?), plans rapprochés dans la maison "close" de la tante); présence prégnante du mollah (même si le voile de la fenêtre semble établir une distance entre lui et la femme). Sans oublier les lumières, les clairs-obscurs, la couleur ocre et cendrée des habitations qui portent, tels des stigmates, les meurtrissures de la guerre..
Certes le film perd de l'érotisme, si puissant dans le roman (et "montrer" les gestes du désir, affaiblit le pouvoir "suggestif" du texte); mais il transcende l'écrit par le jeu de l'actrice iranienne Golshifteh Farahani (que l'on avait vue dans "à propos d'Elly"). Car elle irradie de sa présence solaire une atmosphère torpide et un monde crépusculaire...
Colette Lallement-Duchoze