Film de Pier Paolo Pasolini avec Maria Callas, Massimo Girotti, Laurent Terzieff, Giuseppe Gentile, Margareth Clémenti, Paul Jabara, (1969) Version restaurée
Un choc visuel! Décors somptueux dans leur minéralité (Pasolini a tourné en Turquie, en Syrie entre autres); costumes aux couleurs variées; plans audacieux en plongée et contre plongée (palais du roi Créon/Crésus); "théories" de ces habitants qui arpentent les lacets processionnaires; gros plans sur le visage de la Callas (pendant assez longtemps elle restera muette -le réalisateur donnant à voir essentiellement en frontal ou de profil les expressions de son visage-); portraits représentés en icônes byzantines; peintures "vivantes" dans un environnement bucolique; valeurs symboliques du rouge flamboyant (le sang de la victime sacrifiée qui "alimentera" la terre; le feu rouge orangé à la fois purificateur et dévastateur; le rouge quasi organique des fruits et/ou du vin ) etc. Tout cela servi par un mélange de musiques liturgiques et profanes, avant que les timbres graves des trompettes n'annoncent l'imminence du sacrifice !
Dès la scène d'ouverture qui sert de prologue, le spectateur est prévenu. La leçon que dispense à Jason (d'abord enfant, puis adolescent plus mature) le Centaure Chiron (Laurent Terzieff si élégant dans l'interprétation de ce qui pourrait être pontifiant!) n'aura presque plus rien à voir avec Euripide. "il n'y a aucun dieu" exit donc le Sacré. Cette leçon repose sur une opposition Orient/Occident qui sera illustrée par la confrontation entre un monde archaïque (celui de Médée) et un monde plus "rationnel" (celui de Jason). Mais l'auteur n'exclut pas d'autres interprétations; il suffit de se référer à ses propos lus ou entendus à la Cinémathèque "Ce pourrait être aussi bien l'histoire d'un peuple du Tiers Monde, d'un peuple africain, par exemple, qui connaîtrait la même catastrophe au contact de la civilisation occidentale matérialiste". On peut aussi voir une opposition entre Italie du Nord industrielle, technique (Jason) et Italie du Sud agraire (Médée). Après le prologue, la longue séquence du rite sacrificiel sous l'égide de la prêtresse Médée en Colchide, où le sang et chaque partie du corps tranché et dépecé vont "nourrir" tout ce qui vit sur terre, renvoie à une croyance "archaïque" qui déifie le Soleil. Ce monde est voué à disparaître, d'autant que Médée hors de son "pays" d'origine sera ravalée, à Corinthe, au rang de "sorcière" Au final le sacrifice de ses enfants ne s'inscrirait-il pas dans une sorte de revanche?
Si le film "joue" constamment sur les antinomies, (et dans une perspective dialectique ne propose pas de "synthèse") il décline aussi la thématique du double. Les deux illustrations les plus patentes sont celle du Centaure à la fois homme et animal qui sera dupliqué par un autre Centaure-homme, et celle de l'offrande "empoisonnée" que fait Médée à la fiancée de Jason, (la fille du roi Créon/Crésus), qui se répète -avec une seule variante.
N'est-ce pas avant tout à un cérémonial, à une liturgie parfois hiératique que l'on vient de participer?
Colette Lallement-Duchoze
PS rappel succinct "Médée la magicienne, fille du roi de Colchide, voit arriver sur sa terre le prince Jason venu enlever la Toison d’Or, l’idole de son peuple. Tombée folle amoureuse du jeune Grec, elle trahit sa famille et son pays en dérobant pour lui la Toison d’Or et s’exile à ses côtés. Des années plus tard, alors qu’elle lui a donné deux enfants, l’homme pour qui elle a tout abandonné se détourne d’elle … "