Film russe d’Andreï Zviaguintsev
Avec Aleksey Serebryakov, Elena Lyadova, Vladimir Vdovitchenkov
Prix du scénario Cannes 2014
Sorti en septembre 2014 sélectionné pour le "festival Télérama" en janvier 2015, ce quatrième film d’Andreï Zviaguintsev (on se rappellera "Le retour" 2003 et plus récemment "Elena" 2011) Leviathan a obtenu à Cannes le prix du scénario et pour cause!! le réalisateur s'inspirant du Livre de Job lui confère une dimension à la fois sociale (la misère) et mythique (le titre désigne tout autant la bête de l'Apocalypse que la bête "sociale et politique"russe) dans un ancrage historique facilement identifiable (la Russie post soviétique) qu'accompagne la musique répétitive et souvent inquiétante de Philip Glass
La première séquence, en train, entraîne le passager (Dmitri l'avocat venu plaider la cause de Kolia) et le spectateur, de Moscou vers la Russie du nord, au bord de la mer de Barents; Pribejny où Kolia garagiste risque d'être expulsé; le maire (incarnation du "pouvoir" ) souhaitant s'approprier ses biens pour....(on l'apprendra vers la fin dans cette scène assez terrifiante où le ballet mécanique et très sonore des grues et des pelleteuses matérialise l'inexorable dépossession)
Il y aura toujours des contempteurs pour dénoncer un excès de "formalisme" et pourtant!!!
Des scènes en miroir (prologue et épilogue avec leurs plans assez brefs sur une mer agitée); la récurrence de certains plans sur des carcasses de poissons, de baleine (voir l'affiche), des paysages désolés, des ruines; le travail exigeant sur les lumières les cadres, la structure même de la narration; la dialectique ombre /lumière qui parcourt tout le film; les analogies entre le métier de Lylia (elle vide des poissons décapités) et le substrat du livre de Job hameçon et capture -rappelé d'ailleurs par le pope Vassili à Kolia désemparé face à l'inclémence de Dieu- Tout cela témoigne de la puissance suggestive du film, et de la maîtrise de son réalisateur
Malgré quelques saynètes comiques (anniversaire de Stepanytch avec le tir de portraits de présidents; "remariage" entre Kolia et Lylia) le message est assez sombre: l'individu est broyé par la mécanique d'un système où tous les pouvoirs pactisent dans une corruption généralisée; et comme la contestation est impossible car la répression est féroce, il semble "accepter" cette servitude avec la vodka comme seul exutoire...
Colette Lallement-Duchoze