d'Emmanuel Saada
Comment rendre "palpable" une émotion, "matérialiser" un état d'âme? Comment rendre audible le silence? Ce sera par le recours systématique aux gros (voire très gros) plans prolongés. Voici une larme qui perle, douloureuse, sur une joue; voici une main comme silhouettée en quête de.. Voici un rire qui éclate, un sourire qui se fige; un rictus; des mâchoires qui se serrent; des caresses sur un ventre rebondi. Voici des regards qui livrent hors de leur écrin de paupières, une supplique; deux visages que l'ovalité confond dans le même cadre; des accolades/embrassades dans les moments tragiques (voir la scène au cimetière) ou décisifs (à l'aéroport avant le départ de l'une des protagonistes pour l'Inde). On pourrait multiplier les exemples. Mais il y a aussi ce plan sur l'immensité d'un ciel que sillonnent en pétales sombres des oiseaux migrateurs; ces escalators ou couloirs du métro, propices aux "rencontres" ou au renfermement sur soi; ce canapé sur lequel on déguste des chips si croquantes. Pas (ou peu) de commentaires; pas (ou peu) d'explications. Les six personnages de ce film ne se livrent pas mais leur présence dans le cadre, qui est aussi présence ici et maintenant, dans les petits riens qui tissent une existence, matérialise leur quête personnelle. Quelle est-elle? Celle connue de tous, car elle s'inscrit dans les relations entre mère et fille, entre sœurs, dans les relations à l'intérieur d'un couple! Le spectateur avide de rationalisations sera forcément déçu. On ne saura pas grand chose de leur passé (hormis cette femme qui "revoit" 15 ans après son compagnon chorégraphe avec lequel elle aurait pu mener une carrière de danseuse). L'essentiel pour le réalisateur est "ailleurs"; à partir d'un substrat banal (un homme qui appréhende la paternité, une mère célibataire qui fait face à l'indifférence de sa propre mère ou qui décide de rompre définitivement avec une sœur encombrante, un homme qui souffre de la séparation imposée par la femme aimée mais qui attend, serein et tourmenté à la fois, son retour, une femme qui affronte le deuil) il cherche à faire un film "sensoriel" "impressionniste" qui engage aussi le spectateur dans sa quête d'un autre cinéma. Pari réussi!
Le titre? Écoutons Emmanuel Saada "Tout comme les éléphants, les personnages du film suivent un cheminement très lent vers leur bien-être. Leur démarche est, comme celle de l’animal, à la fois pesante et délicate. Les éléphants sont aussi des animaux très touchants, leur regard triste détonnant avec leur taille"
Colette Lallement-Duchoze