21 décembre 2013 6 21 /12 /décembre /2013 15:19

Documentaire de Kaveh Bahktiari

Musique: variations de Luc Rambo

Présenté à Cannes (Un certain regard) soutenu par 9 associations, ce film a obtenu plusieurs prix (à Namur, Montréal et Leipzig) 

 

 

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À l'heure où à l'échelle européenne l'on verse des larmes de crocodile sur les malheureux migrants que la mer ou la terre a ensevelis, à l'heure où l'on est fier d'afficher des quotas de retour aux frontières, à l'heure surtout où l'autre -précisément à cause de cette altérité- sert de bouc-émissaire à toutes les turpitudes (idéologiques) et à toutes les dérives du comportement, voici un film documentaire salutaire! Non parce qu'il s'interroge sur les causes politiques ou économiques de la migration clandestine, mais parce qu'il donne à voir, palper même (la caméra dans l'espace étouffant de l'appartement filme au plus près) une situation humaine très violente dans sa quotidienneté (même si quelquefois on rit de bon cœur ou que le réalisateur dédramatise une situation: le recours à des lentilles pour faire coïncider la couleur des yeux avec celle du faux passeport par exemple!)

  Le réalisateur   Iranien d'origine, immigré en Suisse, est en outre le cousin d'un des protagonistes (c'est à lui qu'il dédie L'Escale): ce statut de filmeur/complice/parent permet au spectateur de se sentir lui aussi au cœur de la clandestinité (et non pas de rester extérieur... comme c'est souvent le cas dans des docus/fictions); nous sympathisons avec "Bruce Lee" ex prof de sport, avec cet ado révolté, avec ces deux cuisiniers ventrus, avec Moshen le cousin à la lèvre suturée, avec Ahmid dont l'ultime recours est la grève de la faim!. Film clandestin (le cousin a servi de "passeur" au cinéaste qui partagera et filmera leur quotidien) sur la clandestinité!

Film qui fait alterner les scènes d'intérieur (promiscuité dans l'appartement d'Amir où se sont retrouvés quelques Iraniens en "escale" à Athènes dans l'attente de passeports pour un ailleurs) et scènes d'extérieur: la déambulation dans les rues entravée par la peur permanente des contrôles (surtout ne jamais courir...), la pause en bord de mer.. moins anxiogène ....où les corps filmés de dos sont comme silhouettés dans la pénombre entre terre mer et ciel, loin des "barrières" qu'escaladent certains, parfois avec succès...

 Voici un gros plan sur un rideau épais  à l'intérieur de l'appartement d'Amir (ce plan ouvre et clôt le film); une lumière le lacère en sa moitié; oblitérer l'ouverture -vers l'extérieur, vers le regard d'autrui-  dit la volonté de se rendre "invisibles", car être clandestin n'est-ce pas précisément être "hors du champ social"?Voici une scène en extérieur : migrants et famille grecque, un enfant comme objet de "culte" on lui sourit on le caresse; cette scène  comme illustration de "non-dits" à la fois sur un passé (famille en Iran?) et sur le futur proche (après l'escale la joie d'être père un jour?). Voici une scène de nuit non loin de l'embarcadère: une foule en masse compacte sur laquelle la caméra à distance va zoomer; escalades (réussies ou avortées) de la grille puis des fils barbelés; cette scène comme métonymie du sort de tous les migrants clandestins?  

Ce film prouve que Kaveh Bahktiari a bien bien assimilé la leçon de son maître Abbas Kiarostami "dans chaque film, il y a une pierre précieuse qu'il te faut trouver" Et si la pierre précieuse sortie de son écrin/écran continuait à rutiler et chanter en nous au son des variations de Luc Rambo!! 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

 

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