De Bertrand Bonello
Avec Hafsia Herzi (Samira) Céline Sallette (Clotilde) Adèle Barnol (Madeleine) Noémie Lvovski (Madame) Xavier Beauvois Jacques Nolot etc
Costumes Anaïs Romand
Ceci est un billet d'humeur; (ou mes réponses à des critiques lues et/ou entendues…)
- 1)"ce qui manque en définitive à ce film c'est un scénario"
- Affirmation péremptoire qui pose –en filigrane- la question "qu'est-ce qu'un scénario?" C'est "un document narratif décrivant ce qui sera tourné; comportant les dialogues il se différencie du découpage par sa forme littéraire et par le fait que le récit y est fragmenté en scènes, non en plans". (définition dictionnaire du cinéma). Apollonide est un film structuré en deux parties annoncées par des encarts -qui renvoient à deux moments dans le passé: fin XIX° siècle et début XX° siècle. Le titre "souvenirs de…" suppose que le point de vue sera rétrospectif. C'est celui de Madeleine (surnommée la Juive) la femme "qui rit" –rictus cicatriciel suite à une mutilation sciemment infligée par "l'amant de coeur". Certes à l'intérieur de ces parties va-et-vient récurrents entre le moment présent et le passé plus ou moins proche, entre le vécu et le "fantasmé"; mais ici la frontière est si ténue que les deux "mondes" s'interpénètrent aisément…et si le fil conducteur était cette parole (empruntée à Henri Michaux) prononcée par une prostituée "si nous ne brûlons pas comment éclairer la nuit"? J'invite ces prétendus critiques à se procurer dare-dare script, synopsis ou pitch du film…
2)"la scène de la mutilation revient trop souvent"
Si la scène est "montrée" plusieurs fois dans le film, bien se rappeler qu'elle obéit à une chronologie inversée. D'abord le cri et un plan sur le visage ensanglanté; puis les étapes à rebours qui ont conduit à ce "rite sacrificiel" (geste très "méthodique" du "bourreau). Une étude plus approfondie analyserait les moments précis où la scène apparaît (voir le scénario)
3) "un film trop esthétique"
Certes les cadres, les ambiances recréées, les costumes, les objets, l'architecture de la maison –avec ses couloirs, son salon, ses escaliers, etc.- et jusqu'à la présence d'une panthère sur un divan contribuent à faire de L'Apollonide un film très esthétique. Et chaque spectateur avec ses schémas culturels conscients ou inconscients y reconnaîtra Baudelaire (languides ou flamboyantes voluptés, morsures sacrées de la Chair, etc.) Courbet (l'origine du monde) Manet (l'Olympia) mais aussi Fernand Khnopff (la caresse). Après tout Bonello ne nous invite-t-il pas à voyager avec les artistes du XIX° siècle? Jeux d'oppositions aussi entre les femmes aux visages démaquillés, aux corps quasi dénudés en combinaison blanche et les mêmes fardées, toilettées, parées, parfumées pour accueillir les clients. Film esthétique mais non esthétisant.
4)"un film nostalgique sur les maisons closes"
Comme dans "le pornographe" ou "Tirésia" Bonello se refuse à tout jugement moral. L'arrivée d'une jeune fille, Pauline, dans ce monde clos, permet au réalisateur d'évoquer la condition de ces femmes recluses et condamnées à l'être –ne serait-ce que par l'énormité de leurs dettes. La scène d'auscultation, la lecture d'un texte d'anthropométrie, le cas de syphilis en disent long sur le statut des incarcérées du plaisir vénal. La cicatrice sur le visage de Madeleine ne suffirait-elle pas à elle seule à invalider la critique formulée?
5)les larmes de sperme sont d'un grotesque…"
Rappelons que dans un premier temps Madeleine dit avec émotion –à son amant- la fulgurance du désir, du plaisir qui a envahi tout son corps (et "mes yeux pleurent le sperme"); un plan montrera ces pleurs (mais n'est-ce pas le rôle de l'image de montrer ce qui est dit?)
Colette Lallement-Duchoze