Film russe d'Andreï Zviaguintsev avec Nadezhda Markina, Andreï Smirnov, Elena Lyadova
Le film s'ouvre sur un plan fixe (très long): branches d'un arbre gelé, fenêtre, balcon. Il se clôt sur le même plan (mais beaucoup moins long) en arrière-plan derrière la baie vitrée présence de la "nouvelle" famille: Le point focal a donc changé, tout comme le film s'est inversé autour du personnage éponyme, après son acte "meurtrier" et sa "nouvelle vie". Ainsi entre les deux plans, c'est tout le cheminement d'une conscience, c'est tout un pan de l'existence avec ses contrastes et ses métamorphoses, sa tension entre vie et mort, et surtout un jeu sur la lumière (jusqu'à cette rupture de courant dans l'appartement étriqué où habite le fils d'Elena –avec sa femme et ses enfants- comme la métaphore d'une cécité ambiante)…
"L'histoire de ce film forme un cycle. Elle débute au lever du soleil et s'achève au coucher. Entre les deux, Elena sera confrontée à un choix moral" dit le réalisateur
D'abord le spectateur assiste à la répétition quasi mécanique de certains gestes: Elena s'éveille, réveille son mari Vladimir (les époux font chambre à part), elle ouvre les rideaux, sert le petit déjeuner, échange des banalités souvent. Un grand écran divisé parfois en deux espaces dont un "flouté" (meubles ou visages, profondeurs de champ ou arrière plan) comme prélude à ou illustration d'une partition - enjeu(x) du film?. Enjeu social: Elena a épousé un ploutocrate, elle vit dans un appartement somptueux qui contraste avec celui, presque sordide de son fils, sis près d'une centrale -Métaphore du peuple russe? D'un côté les ploutocrates de l'autre les laissés pour compte? Enjeu moral: Elena en tant que mère et grand-mère veut aider financièrement sa famille; elle commettra l'irréparable. Un crime sans remords; c'est que les valeurs humanistes sont absentes de la Russie actuelle "Il n'y a plus de remords, ni de repentir car il n'y a plus de condamnation morale" Elena agit très vite" pour préserver le futur de sa famille" (propos du cinéaste)–et le corps de son petit-enfant en gros plan sur le lit où reposait il y a peu Vladimir, le prouverait aisément. Enjeu politique: un nouveau pouvoir sera-t-il capable d'enrayer le mouvement d'une spirale où tous les gestes semblent dictés par l'argent depuis les années 90?
Et pour rendre compte de tout cela, le réalisateur a privilégié des tons froids; il a banni l'émotion dans les relations "humaines"; -les époux Vladimir et Elena dialoguent comme des étrangers, l'unique scène de rapport sexuel sera suggérée; le fils traite sa femme comme une chose, Sacha son fils fait partie d'une bande qui prend plaisir à "tabasser"…
Et la religion serait-elle un recours? Il semblerait que la télévision si omniprésente (au point d'envahir parfois l'écran) ait remplacé Dieu...
Constat désespéré? À voir…
Colette Lallement-Duchoze
PS quelle que soit l'interprétation - tout en sachant d'ailleurs que chez les "grands" (romanciers, cinéastes) l'ancrage historique débouche sur une vérité universelle -, le spectateur aura été sensible aux cadres, aux contrastes, à la direction d'acteurs, aux jeux de lumière, il aura laissé la musique répétitive de P. Glass envahir son corps...