Dans trois films que vous avez vus cette année, la présence d'un crocodile mérite une attention particulière!
Une jeune femme nue se déhanche, lascive, dans le bureau cossu d'un ministre; puis elle va pénétrer allègrement dans la gueule d'un crocodile à l'œil goguenard; plan suivant: le ministre (Olivier Gourmet) se réveille ahuri (en état d'érection...) d'un cauchemar!. On comprend que le réalisateur de "l'exercice de l'Etat", Pierre Schoeller, associe, dès le prologue, pouvoir et désir. Métaphore originale!!
Dans le film "Tabou" un prologue évoque le destin d'un explorateur: terrassé par le chagrin (il a perdu l'être aimé), il accepte d'être englouti, dévoré par un crocodile (la scène suggérée par une voix off, est hors champ) Par une sorte d'alchimie Amour et Mort se réconcilient! Le reptile revient en leitmotiv tout au long de la seconde partie. Jeune -tel un petit chiot- il va conduire Aurora chez Ventura (et c'est le prélude à des amours illicites, "tabous"); adulte il incarnera très vite l'Histoire Immémoriale. Écoutons le réalisateur:'Le crocodile qui est dans le film, tout le monde m'en a parlé. On me demandait : qu’est-ce que ça représente ? Et moi, au début, je disais simplement : j’aime bien les crocodiles. Et puis ensuite, il y a eu un moment, à Berlin, où, quand on m’a posé la question pour la dixième fois, tout d’un coup il m’est venu une autre réponse. Je me suis dit : bon, les crocodiles ont un côté préhistorique, donc peut-être qu’ils sont tellement âgés qu’ils ont la capacité de se souvenir de choses que les hommes et les femmes ont déjà oubliées. Peut-être que les crocodiles, tous les crocodiles du monde, à travers le temps, ont été les témoins des amours qui ont commencé et fini, des mouvements des hommes, des empires qui ont été fondés et qui se sont écroulés... Et à ce moment-là, j’ai compris que, les crocodiles ayant ce rapport avec le temps, leur présence dans le film était peut-être liée au fait que la mémoire et le temps sont les sujets de Tabou'
Si le crocodile survit au monde qui s'éteint (Tabou), l'alligator très "présent" dans le film "Les bêtes du Sud sauvage" (on est en Louisiane) assume diverses fonctions. En plats culinaires amoureusement et savamment préparés (par la mère disparue que recherche la petite sauvageonne ou par la femme aimante rencontrée au "night club" une maison close flottante) il "nourrit" (et ce dans tous les sens du terme) les habitants du Bathtub. Grâce à des vertus "thérapeutiques" ou simplement toniques, il est une aide précieuse à la Survie (même si dans le cas du père, les beignets serviront d'ultime repas...viatique pour l'au-delà). Mais surtout sa présence s'inscrit dans une vision onirique ou du moins légendaire (les femmes sont chasseuses d'alligators et le père se rappelle le courage de son épouse qui l'a sauvé de la gueule de ce reptile prédateur..), animiste et panthéiste de l'univers (telle que la revendique et pratique la petite Hushpuppy et qu'illustrera une des scènes finales: le face à face avec les aurochs!)
Colette Lallement-Duchoze