Documentaire de Göran Hugo Olsson
"Faire parler les archives c'est la spécialité de Göran Hugo Olsson documentariste suédois passé maître dans l'art d'éclairer notre présent en mixant des images et des sons du passé" peut-on lire dans la présentation ( très pertinente; une fois n'est pas coutume) de ce film
Le documentariste a utilisé les archives de la télé suédoise; entre autres des extraits de films (des années 60 aux années 80) réalisés par des cinéastes suédois, dans une Afrique qui luttait pour son indépendance: guérilleros Frelimo du Mozambique; MPLA en Angola; guerres d'indépendance en Tanzanie et Guinée Bissau; entretiens avec des colons en Rhodésie, avec des mineurs grévistes du Libéria. On entend le témoignage de Thomas Sankara, officier révolutionnaire du Burkina Faso, qui refuse pour son peuple la "mentalité d'assisté" (il sera assassiné lors d'un coup d'état dont la France fut complice...).Rappelons qu'à l'époque la Suède, état "neutre", était assez critique envers les puissances impérialistes. (même si elle ne fut pas exempte de reproches, elle fut moins impliquée dans l'enfer de la colonisation et de la décolonisation que la France ou la G-B)
Fragmenté en 9 chapitres (= 9 scènes de l'autodéfense anti-impérialiste) respectant en cela le découpage des "Damnés de la Terre" de Frantz Fanon, ce documentaire dessine une cartographie de la VIOLENCE en Afrique. Nous entendons la voix de Lauryn Hill lisant des extraits de l'ouvrage de F Fanon, tandis que ses mots envahissent l'écran...Le choix des intertitres, la décision d'incruster le texte de Fanon dans l'image, n'est pas neutre; on peut certes penser à Godard; mais surtout on devine la volonté de "frapper" le spectateur (l'image n'est pas une illustration, imprégnez-vous du texte )
Étonnant! Le texte de 1960 n'est pas "daté" (hormis peut-être la théorie de "l'homme nouveau"); il reste au contraire très actuel en ce sens qu'il peut aider à "comprendre" notre présent. En démontant les mécanismes du colonialisme (Le colonialisme n'est pas une machine à penser, n'est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l'état de nature et ne peut s'incliner que devant une plus grande violence ) Fanon semble annoncer cette surenchère de la violence (qui sévit au Proche-Orient par exemple ). En dénonçant l'équation qui subrepticement, insidieusement, assimile cause et conséquence et vice-versa (Aux colonies, l’infrastructure économique est également une superstructure. La cause est conséquence : on est riche parce que blanc et on est blanc parce que riche) il semble anticiper sur l'exploitation outrancière que les néo-colons ont faite du delta du Niger...(et l'on connaît aujourd'hui la suite tragique...)
L'ouvrage de F Fanon avait été préfacé par J-P Sartre lequel commit l'erreur d'y voir une "apologie de la violence" ce que rappelle Gayatri Chakravorty Spivak dans le prologue de ce documentaire dont la finalité avouée est bien de "Comprendre le mécanisme sous-jacent de la violence"
La première séquence est assez révélatrice car elle semble métaphoriser la violence : des soldats portugais tirent d'un hélico sur des vaches...(cette image ne nous rappelle-t-elle pas Apocalypse now?) Et que dire de celle où l'on voit une jeune femme mutilée d'un bras, allaitant un enfant lui-même amputé d'une jambe...???
" L’Europe est littéralement la création du tiers monde" (F Fanon)
Colette Lallement-Duchoze