De Yasujirô Ozu (Japon 1932) Version restaurée
avec Hideo Sugawara (Ryoichi, le fils aîné), Tokkan Kozo (le cadet), Tatsuo Saito (Yoshii, le père), Mitsuko Yoshikawa (la mère), Takeshi Sakamoto (le patron), Seiji Nishimura (le maître d'école).
La famille Yoshi s’installe dans la banlieue de Tokyo où le père a trouvé un emploi. Ryoichi et Keiji ses deux fils se lient avec Taro, le fils du patron de leur père.
Un camion de déménagement patine. Très gros plan sur une roue dans l’ornière boueuse. Deux gamins descendent, aident à pousser ; ils rentreront seuls car leur père va rendre visite à son patron Iwasaki …C’est la scène d’ouverture. En écho inversé au final le père, à la demande expresse de ses deux fils, s’en vient saluer son patron, prend place à ses côtés dans la voiture alors que le fils Taro rejoint Keiji et Ryoichi Yoshi réconciliés et les trois "gosses" regardent la voiture s’éloigner ……Ce qui était "suggéré" dans la scène liminaire aurait trouvé sa résolution ?? Et les enfants Yoshi, victimes de conflits de classe et de génération, peuvent-ils poursuivre leur cheminement ? Le cinéaste qui adopte leur point de vue et filme à leur hauteur, expose impulse et stimule ces questionnements jusqu’à leur résolution (sous forme de "réconciliation")
Film muet de 1932, film populaire comme les shomin-geki, qui content la vie des petits gens, Gosses à Tokyo est composé de deux parties la séquence du "film dans le film" jouant le rôle de transition. S’adapter à un nouveau milieu, affronter des « clans » déjà constitués, subir des invectives, être victime de malversations voire de brimades, tel est le lot des deux frères Yoshi ; ils désertent, le père les tance , et leur enjoint de « devenir des êtres importants » grâce à l’école Mais lors d’une soirée organisée par le patron (projection privée) ils prennent douloureusement conscience d’être les enfants d’un père "minable d’obséquiosité" aux « grimaces de marionnette, et décident de se « rebeller (on pense à Bonjour 1959) « faire la grève de la faim ». (Puisque le « salaire » perçu par un employé sert à la « survie » de la famille)
Inversion des rôles. Le père bat sa coulpe. Il sait que la raison est de leur côté (l’école à quoi bon si l’avenir est déjà tracé ?) ce qui n’interdira pas la fessée, marque d’autorité…
Dans le monde des "gosses" c’est la loi du plus « grand » Un monde avec ses rites (œuf de moineau à gober) ses codes (signe de pistolet qui met à terre la victime) ses gestes (chaussure posée sur la tête); dans le monde des adultes c’est la dure loi des "castes sociales"… Déterminer les spécificités de chacun, faire éclater leurs "ressemblances" (par un montage parallèle), afin de dépasser des forces "enchaînantes" que matérialisent ces poteaux ces fils électriques ces barrières (passage à niveau, jardin) à la récurrence sur-lignée ? Peut-être
Peu de mouvements de caméra (le travelling latéral sur ces employés qui baillent au bureau ou celui sur les deux visages des frères qui rompant leur contrat portent à leurs lèvres une boulette de riz n’en seront que plus marquants…) ; la récurrence du passage de trains rappelle certes le contexte de la banlieue ; bien plus le passage à niveau franchi chaque jour marque la frontière entre le monde de l’intime (la famille) et celui plus vaste (et dévastateur) des conflits sociaux et autres; privilégier dans le cadre une présence collective (groupe des gamins, duo des frères, famille) sans exclure les plans rapprochés aptes à déceler une sensation, s’intéresser aux détails moins pour les grossir que pour les auréoler d’une belle calligraphie… tout dans la forme est pure saveur (et prouve l’acuité du regard )… ajoutons l’interprétation des deux gamins (facétieux à souhait) l’humour omniprésent ; dommage que la musique (qui accompagne la version restaurée) crispe parfois par ses aigus
Un film à ne pas rater !
Colette Lallement-Duchoze
(attention une séance par jour; Omnia dimanche 11h, lundi 20h30, mardi 13h30)