Documentaire réalisé par Raoul Peck (2024 France Etats Unis)
Festival de Cannes 2024 Oeil d'Or (prix du meilleur documentaire)
Ernest Cole, photographe sud-africain, a été le premier à exposer au monde entier les horreurs de l'Apartheid. Son livre House of Bondage, publié en 1967 alors qu'il n'avait que 27 ans, l'a conduit à s'exiler à New York et en Europe pour le reste de sa vie, sans jamais retrouver ses repères. Raoul Peck raconte ses errances, ses tourments d'artiste et sa colère au quotidien, face au silence ou la complicité du monde occidental devant les horreurs du régime de l'Apartheid
Un travail colossal : à partir de milliers d’images, du livre House of Bondage, de textes, du témoignage du neveu et d’archives filmées (puis la découverte dans une banque suédoise de 60 000 négatifs en 2017) Raoul Peck va « reconstituer » l’itinéraire de celui qui « fut le premier à exposer au monde entier les horreurs de l’Apartheid » contraint à l’exil en 1967. Aux USA même s’il fréquente d’autres exilés (Miriam Makeba) s’il travaille un temps pour le New York Times il sera en proie à la solitude fondamentale, au taedium vitae, suspect quand il photographie les formes les plus patentes du racisme américain à l’encontre des « Noirs » (cf les lois Jim Crow) et surtout quand il les met en parallèle avec l’apartheid… Meurtri à jamais! Une fin plus que tragique ; solitaire clochardisé mort à 50 ans d’un cancer du pancréas…
Le documentariste a opté pour une voix off (la sienne ?) à la première personne comme s’il s’agissait d’une autobiographie post mortem ; et de fait la raucité de cette voix, la récurrence du lamento (l’exil et la douleur du never more ), les questionnements -qui sont autant d’accusations de tous les pays complices de l’apartheid- dont la violence éclate dans ces photos (prises très souvent à hauteur d’homme comme pour éviter de se « faire prendre ») peuvent corroborer une telle illusion : l’œuvre d’un « survivant » …Une telle approche immersive rompt ainsi avec les interviews face caméra où chaque intervenant dira son « point de vue » contribuant à cette fâcheuse atomisation du propos (une exception ici l’interview du neveu) Mais surtout ce « je » censé être celui du photographe et du citoyen penseur que fut Ernest Cole, n’est-il pas aussi par extension celui du réalisateur lui-même haïtien d'origine et celui du spectateur ? Personne ne regarde le ciel à New York. » cette remarque d’Ernest Cole se superpose aux images de Soweto (tout comme Raoul Peck est hanté par la mort de ses frères en Haïti…) l’exil vous ronge… et l’apartheid ne sévit-il pas encore au XXI° siècle? sous d’autres formes certes mais qui n’en sont pas moins humiliantes déshumanisantes pour les victimes …
Raoul Peck va « réinventer » des cadrages en jouant sur les valeurs de plan ; il peut agrandir un détail avant de le replacer dans le format original ou le juxtaposer avec d’autres images (grâce aux split screens et mosaïques) il passe du noir et blanc (statique mais avec l'illusion du mouvement) à la couleur (pour des images et films d’archives). Ce faisant il met à la fois en évidence et en perspective le travail d’Ernest Cole photographe-reporter obstiné, et sa « trajectoire » d’homme apatride à jamais blessé
Ernest Cole photographe :ou le « devoir de mémoire » ?
Colette Lallement-Duchoze