Documentaire réalisé par Piero Usberti (Italie France Palestine 2023)
présenté au festival Cinéma du réel France 2024 (Compétition)
À Gaza, il faut arriver le soir au printemps, s’enfermer dans sa chambre et écouter les sons qui entrent par les fenêtres ouvertes. Nous sommes en 2018. J’ai 25 ans et je suis un voyageur étranger qui rencontre de jeunes Palestiniens de mon âge. Ils m’ont amené dans leur quotidien qui s’est rapidement teinté d’une portée très politique. Une vie telle qu’on ne l’imagine pas toujours. » (Piero Usberti)
2018. Piero Usberti (alors âgé de 25 ans) est accueilli par Meri Cavelli (fondatrice du centre italien d’échange culturel). La voix off du documentariste philosophe -que rythment des percussions- sera notre guide
Voici des restaurants des appartements voici une foule grouillante ou des portraits de jeunes et moins jeunes au visage souriant, filmés en plan américain, voici tout un tissu urbain (qui hélas 6 ans après n’existe plus..) voici un champ de fraises bio à Beit Lahya, voici le café Al Baqa en bord de mer Une mer et ses couchers de soleil somptueux une mer (le plan sera récurrent) où se glisse -de la surface jusqu’en ses profondeurs abyssales une scène d’indomptabilité à forte imprégnation mythologique, une mer toujours recommencée …malgré le blocus imposé
(Le Hamas - il est bon de le rappeler -n’existait pas en 1948. Créé en 1987 il fut élu en 2007 pour gérer la bande de Gaza) . Eux les Gazaouis commémorent la Nakba « catastrophe » et c’est lors d’une manifestation «pacifique » que Yasser Mourtaja photoreporter palestinien fut tué le 6 avril 2018 alors qu’il portait le badge « presse » et couvrait la « marche du retour » Nous assistons à ses funérailles
‘Ma voix off ne vise pas à donner un cours d’histoire, mais je pointe des faits : Israël a mené un projet d’occupation puis d’expulsion des Palestiniens, en 1948, explique Piero Usberti. Il n’y a rien de haineux à dire cela.
J’ai pensé à une phrase de la photographe Susan Meiselas, qui dit que la caméra donne un moyen d’être là où je n’appartiens pas, et me donne la bonne distance pour rencontrer l’autre Tant il est vrai que le « texte » qu’il lit est empreint d’émotion (celle d’un " modeste" humain parmi les "humains" d'un "humain" qui respecte toute vie humaine……à bon entendeur !!!)
Piero Usberti est accompagné de Sara, 25 ans à l’époque – qui officiait dans un centre d’entraide pour des femmes. "Je vis à Gaza City" elle lui (nous) explique le verrouillage de la « bande » : au sud, la porte de Rafah à la frontière avec l’Egypte, au nord, Erez à la frontière avec Israël. Car Gaza est assurément la plus grande prison à ciel ouvert. Et les bruits permanents des drones de surveillance et/ou de combat (que d’emblée le cinéaste reporter oppose aux drones-caméras), les coupures d’électricité (une constante dans le quotidien des habitants) , ces jeunes interviewés donnent l’impression de s’en accommoder …certains tentent de s’évader par la littérature (voyez Mohanad, communiste, montrant son étagère couverte de livres dont certains "interdits".) ou par des « projets » (Jumana, professeure d’anglais et de natation, rêve de devenir journaliste) (on apprendra que Sara partira en Italie pour ses études. que Mohanad vit en Belgique depuis 2022. que Jumana est restée encore 7 mois après le 7 octobre 2023 avant de se rendre en Egypte…)
Et j’ai voulu montrer la beauté de Gaza, qui ne se réduit pas à une terre où le pire arrive
Oui en procédant par petites touches (que renforcent le tremblé de la caméra au poing et le format carré) ce documentaire "défait" "l’essentialisation" d’une zone uniformisée pour l'extérieur en pure «zone noire».
Oui Voyage à Gaza individualise singularise les êtres alors que les discours sur les habitants de cette "prison à ciel ouvert" tendent à les « engloutir sous la seule appellation de « terroristes » (justifiant à bon compte l’injustifiable !!!)
D’une façon plus générale le « dispositif » même du cinéma -grâce à son rapport au temps à l’espace aux corps aux imaginaires- va à l’encontre d’un storytelling -celui qui domine dans les discours officiels, dans les médias mainstream et les réseaux sociaux- storytelling qui se plaît à « invisibiliser » une Histoire -assez longue- dans laquelle s’inscrit le 7 octobre 2023
Un documentaire à ne pas rater !!
Colette Lallement-Duchoze