d'Antonella Sudasassi Furniss (Costa Rica 2023)
Avec Sol Carballo, Paulina Bernini
Prix du public dans la section Panorama de la Berlinale 2024,
Ana, Patricia et Mayela, élevées à une époque répressive où la sexualité était taboue, ont peu à peu trouvé le sens de la féminité Aujourd'hui, leurs voix sont incarnées par une femme de 65 ans qui revisite leurs souvenirs et leurs secrets.
Ce film est la conversation que je n’ai jamais eue avec mes grands-mères.” La réalisatrice a en effet interrogé plusieurs femmes sur leur maternité leur sexualité les violences dont elles furent victimes -des « sujets » que délibérément on avait occultés et surtout pour lesquels la responsabilité incombait à la femme …Qu'as tu fait pour éveiller ces instincts chez ton cousin ou chez ton oncle ? " Tu as dû faire ta séductrice ? ", Qu'as tu fait pour que ton mari te frappe ? )
Matériau qu'elle met en "en scène" (en forme) grâce à un dispositif à la fois original et efficace
Voici une actrice qui incarnera Ana -mais aussi toutes ces femmes, dont nous entendons la voix off. Elle évolue dans un décor unique un appartement empli d’objets (abolis bibelots d’inanité sonore ?) objets souvenirs de toute une vie ? et tandis qu’elle époussette déchire lacère des photos se maquille, voici que se télescopent différentes temporalités (parfois au sein d’un même cadre ; cf la présence d’une poule qui s’invite…).Apparaissent ainsi d’autres « personnages/acteurs » censés incarner les propos (un parcours depuis l’enfance jusqu’au divorce en passant par une éducation tatillonne et des frustrations) mais loin d’être pure illustration, la présence simultanée de tous ces protagonistes (flash-back côtoyant le présent de narration) rend « universels » des cheminements particuliers (apparemment individualisés) et la confrontation passé/présent fait que le récit -ces mémoires légèrement déformé.es par le souvenir et réactualisé.es au goût du jour- va « accoucher » d’une autre « vérité » -ce que renforcent le recours au plan séquence et l’enfermement dans un lieu unique -métonymie d’une prison -les verrous les portes que l’on ferme- mais aussi métaphore de l’habitacle de la pensée, si propice à l’introspection
Oui le dispositif choisi chronique d’une vie par l’intime, à laquelle se superposent en voix off les témoignages de trois septuagénaires enfin libérées du « carcan de la vie maritale » et l’éclatement chronologique évitent le piège de la simple illustration !
Parfois on rit de bon cœur avec ces femmes dont la raucité de la voix peut se briser en éclats de ....rire (quel vocabulaire soudainement trivial pour évoquer une sexualité enfin (re)découverte) et Ana (interprétée par l'épatante Sol Carballo ) peut reprendre à son compte une formule lapidaire…Filmée en chemise de nuit, la voici (mais « je » est un autre) qui redécouvre à 71 ans le sexe sans tabou le plaisir faisant fi de tout ce qui pouvait entraver (flatulences ronflements) mais valorisant des « interdits » dont les plaisirs buccaux et l’onanisme
Oui l’ignorance (dans laquelle ces femmes furent cantonnées) oui l’oppression masculine (dont elles furent victimes) oppression que renforce la prégnance pour ne pas dire l’omnipotence du catholicisme au Costa Rica , ont eu raison en leur temps (elles sont nées dans les années 50) des incandescences (j’ai eu deux enfants sans orgasme…)
Ces « mémoires d'un corps brûlant » sont le chant d’une revanche ;
c’est bien le corps de la femme qui depuis les premiers baisers volés...jusqu'à la ménopause en passant par l'onanisme est « embrassé dans ce film »
le corps ce « brasier du désir -enfin assouvi…
Colette Lallement-Duchoze