De Miguel Gomes (Portugal 2023)
avec Gonçalo Waddington, Crista Alfalate, Teresa Madruga Lang Khé Tran
Prix de la mise en scène Cannes 2024
Argument: Rangoon, Birmanie, 1918 Edward, fonctionnaire de l'Empire britannique, s'enfuit le jour où il devait épouser sa fiancée Molly. Déterminée à se marier, Molly part à la recherche d'Edward et suit les traces de son Grand Tour à travers l'Asie.
Epoques langues (récits aux voix off différentes) noir et blanc et couleurs vont s’entrecroiser se télescoper dans ce film hybride (qui mêle le récit d’aventures le "documentaire" l’onirisme) et audacieux (récompensé d’ailleurs à Cannes 2024 par le prix de la mise en scène) ; le public était certes préparé à une telle approche innovante et perturbante (rappelez-vous Tabou 2012)
Des scènes ont été tournées en studio -sans les artifices de fonds verts et des trucages digitaux MAIS avec de vrais décors construits comme on le faisait …..à une époque à Hollywood !!!
Après une scène de manège forain en couleurs -qui reviendra d’ailleurs tel un rappel ludique ou la marque d’une scansion- le spectateur va suivre le parcours d’Edward -Birmanie Singapour Chine Japon - puis dans un deuxième temps celui de Molly. Film d’aventures (presque au sens classique) celles d’une comédie loufoque. Car si l’expression « grand tour » renvoie au voyage qu’entreprenaient de riches Britanniques au XIX° en Asie (de l’Inde à la Chine en passant par la Birmanie) dans le film éponyme de Miguel Gomes, Edward alors à Rangoon, va fuir par couardise sa promise Molly – laquelle l’obstinée -au rire intempestif disgracieux - partant de Londres est bien décidée à rejoindre le « promis » renonçant à toutes les propositions… (pour les dernières étapes elle sera accompagnée de la fidèle Gnoc) , vivant elle aussi comme à la marge, celle d’un trépas annoncé … Chacun -dans ce chassé-croisé- aura enduré la moiteur la touffeur de la jungle aura participé peu ou prou à des coutumes locales, ballotté ou emporté par des vents mauvais ou les forces vives telluriques -empruntant des trains qui déraillent …suivant le cours de fleuves aux tourbillons mortifères, ou traversant des forêts de bambous, vivant des situations « improbables » ou trépidantes d’un imaginaire collectif
Simultanément le spectateur est ainsi convié à un voyage dans le temps et surtout dans l’univers du cinéma (cf Resnais et son approche du Temps dont se réclame d’ailleurs Miguel Gomes) …Voici une Asie « fabriquée » par le cinéma (l’histoire se passe certes en 1918 or des images ayant les mêmes espaces sont filmées de nos jours (cf présence de portables de scooters) et la voix off -qui changera selon les contrées traversées- nous guide dans l’approche de ce que les deux personnages principaux mais aussi tous les protagonistes rencontrés sont en train de faire
Là est une des revendications du cinéaste : un temps unique ou du moins comme suspendu (n’est-ce pas précisément celui du monde du cinéma »)-ce dont témoignent les références au cinéma muet, aux origines du cinéma, le mélange de décors réels et reconstitués et les images d’archives. Un film sur la mémoire du cinéma ? Oui à n’en pas douter
La charge à la fois critique, ironique (colonialisme revisité, devenir du couple, quintessence de l’amour) est évidente dans un film qui serait avant tout une « aventure mentale » parfois déroutante, à ne pas manquer !
Colette Lallement-Duchoze