Film documentaire de Gilles Perret et François Ruffin (2023)
avec François Ruffin Sarah Saldmann
C’est quoi ce pays d’assistés ? De feignasses ? » Sur le plateau des Grandes Gueules, l’avocate parisienne Sarah Saldmann s’emporte: « Le Smic, c’est déjà pas mal. » D’où l’invitation du député François Ruffin : « Je vous demande d’essayer de vivre, madame Saldmann, pendant trois mois, avec 1 300 €. - Admettons, mais une semaine, ça sera déjà pas mal. » Alors : peut-on réinsérer les riches ?
Reportage, documentaire ?... peu importe, mais certainement pas fiction, le film de François Ruffin et Gilles Perret qui passe très vite (1 h 25) est une petite merveille d'intelligence politique.
On connaît plus ou moins la vie des pauvres en France mais très mal celle des riches. L'idée de "réinsérer les riches," selon l'expression du réalisateur, est toute simple : prendre une avocate ultra-libérale, Sarah Saldmann, chroniqueuse aux Grandes Gueules en 2023 sur RMC puis à Cnews et la plonger quelques jours dans les métiers manuels de ceux qu'elle accuse d'être des feignasses, gavés aux aides sociales.
Le film est drôle d'emblée, à la manière de "Merci Patron". On croit rêver en entendant les propos pleins de mépris sur les assistés que cette jeune femme assène sur les ondes. Mais elle accepte de jouer le jeu, et la voilà avec ses talons hauts et vêtements de grandes marques, prête pour une journée de livraison. La caméra de Gilles Perret la suit sans malveillance, épuisée au bout de la matinée. "J'ai 70 points de livraison à effectuer, mais on a pris du retard, 15 ce matin seulement alors que d'habitude j'en ai déjà fait 50 ! ...dit le livreur sous le regard abattu de Sarah Saldmann.
On s'attend après l'avoir vue peiner et découvrir le métier d'ouvrière dans une usine de harengs fumés, celui d'agricultrice, d'aide à domicile, serveuse en brasserie, bénévole au Secours Populaire, etc...qu'elle prenne conscience de la réalité des métiers durs où les gens sont abîmés physiquement par leurs tâches.
Certes notre bourgeoise émet quelques regrets sur ses déclarations intempestives, réactionnaires et surtout bâties sur l'ignorance de la vie des pauvres, "j'ai merdé là dessus" avoue-t-elle, mais la rédemption durable se fait toujours attendre....
Ruffin évite le tourisme social. Leurs discussions à ce sujet recadrent l'objectif du propos et sont parlantes. Il mêle habilement toutes sortes de catégories parmi ces personnages réels à qui on confie la “stagiaire”. Si fait qu'il démolit au passage tous les préjugés sociaux et racistes contre les immigrés, les femmes seules chargées de famille, les hommes jeunes des banlieues, précaires, qui habitent toujours chez leurs parents faute d'avoir les moyens pour se payer un loyer, ou les vieux cassés par des années de travail éreintant.
Le spectateur découvre ou redécouvre la condition de la classe ouvrière. Très bien filmé, au style alerte, enlevé, nous passons du rire aux larmes sans aucune lourdeur ni voyeurisme. Ruffin a de l'empathie à revendre et sait la communiquer, aidé en cela par l'adresse de son complice cinéaste- cameraman Gilles Perret (auteur du fameux documentaire sur la Sécurité Sociale").
Le final du film est festif, original et inattendu car il y a toujours de la surprise, de la fantaisie et de l'espoir dans les films de François Ruffin. Son œuvre cinématographique est unique par son style et ses scénarios. Il parvient une fois de plus à redonner le souffle et l'élan pour combattre les injustices aux spectateurs qui ont politiquement le moral en berne.
Un film d'utilité publique ! A voir et faire voir dès sa sortie nationale le 6 novembre.
Serge DIAZ
PS : Contrairement aux usages en général, le film n'a été pré-acheté par aucune télé, brûlot trop efficace sans doute contre les alliés du système capitaliste actuel.
Sarah Saldmann, avocate et chroniqueuse télé, est la fille d'un riche propriétaire de cliniques privées à Paris, et auteur à grand succès de livres sur le jeûne. On la voit dans une boutique de luxe regarder une veste qui lui plaît de 2990 € et dire face à la caméra "ça va, elle n'est pas chère" sans plaisanter.