28 octobre 2024 1 28 /10 /octobre /2024 08:41

D'Emanuel Parvu (Roumanie 2023)

 

avec Ciprian Chiujdea (Adi) Valeriu Andriuta (le chef de police) Ingrid Berescu (Llinca) Bogdan Dumitrache (le père)  Adrian Titieni (le prêtre) Laura Vasiliu (la mère)

 

Festival Cannes 2024 Queer Palm 

Adi 17 ans passe l’été dans son village natal niché dans le delta du Danube. Un soir il est violemment agressé dans la rue. Le lendemain son monde est entièrement bouleversé. Ses parents ne le regardent plus comme avant et l’apparente quiétude du village commence à se fissurer

Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde

Ténuité de l'intrigue scénaristique, longs plans séquences, importance de la parole comme substitut de l’image, choix de cadrages particuliers pour éviter le statisme, ces « constantes d’un certain cinéma roumain » (Marita baccalauréat Illégitime Par-delà les collines) au service de dénonciations plus ou moins acerbes de dysfonctionnements de la société nous les retrouvons dans ce film d’Emanuel Parvu. Avec cette originalité, le jeu inattendu sur le bord cadre (souvent à droite) et l’intention assumée maîtrisée de faire du village un personnage à part entière -bruits et clapotis, tremblements de la végétation sous le souffle du vent, couleurs lumières chemins/ruelles– un village filmé comme un écrin paisible si convoité par les touristes, mais dont la sérénité bucolique contraste avec les vilénies humaines et  que le cinéaste oppose aux intérieurs (cloisonnés) symboles de l’étouffement

Pour démonter les rouages d’un mécanisme verrouillé, celui d’une société moins traditionaliste que rétrograde qui enferme (sens propre et figuré) ligote musèle martyrise un adolescent homosexuel, pour mettre à nu l’homophobie, le cinéaste opte pour une mise en scène « théâtrale » :Un théâtre de la cruauté où les personnages incarnent  des « fonctions » (parentale politique religieuse) où les « étapes » sont soigneusement mises en évidence -de la déposition en bonne et due forme suite au tabassage (hors champ) , jusqu’à son abandon en passant par des voltefaces, astucieusement préparées manigancées à coup d’arguments souvent fallacieux pour ne pas dire spécieux. Ce dont témoignent les dialogues ciselés où à peine insidieuse s’exerce la manipulation de l‘information (on minimise les faits on déforme la « réalité » par extension ou détournement de sens, on menace par des propos comminatoires, on joue le casuiste bref on travestit la vérité). L’homosexualité ? une maladie une tare une souillure; dont le village doit se prémunir comme d’un opprobre…Les parents, le prêtre, le policier, le père des agresseurs et... potentat local, vont œuvrer avec zèle dans ce sens (cf la séquence d’exorcisme où Adi muselé ligoté tente de se débattre alors que les parents, le prêtre et son acolyte impassibles récitent les formules expiatoires et propitiatoires). Honte peur mais aussi intérêts bassement égoïstes autant de « motivations » qui alimentent l’homophobie… et que  "stigmatise"  avec intelligence ce film,  -- l'absence de musique  -hormis dans le dernier plan-séquence- accentue cette "stigmatisation" 

Et l’agressé ? la victime ? Le spectateur  "lit" sur les ecchymoses du corps et sur le visage tuméfié l’empreinte de l’agression. Filmé de face avec les effets spéculaires du miroir, Adi semble interpeller le public…  C'est qu'il subit aussi l’agression de la communauté,  de ses parents en particulier. Dès le moment où il est "châtié" (enfermement confiscation du portable) il opte pour le silence…un silence lourd de " révélations" : n’incarne-t-il pas avec Llinca  « l’humain »  dans ce microcosme des turpitudes ?…Le dernier plan séquence  lui offre (ainsi qu’au spectateur) une énorme bouffée de vie, une respiration … à 3km du village.... là où la terre cède la place à la mer, là où l’eau et le ciel célèbrent leurs épousailles, c’est l’ouverture vers un ailleurs…qui restera hors champ…

Un film à ne pas rater !!

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Mode d'emploi

Ce blog est destiné à collecter nos ressentis de spectateurs, à partager nos impressions sur les films (surtout ceux classés Art et Essai).

Envoyez vos articles ou vos réactions à: artessai-rouen@orange.fr.

Retrouvez aussi Cinexpressions sur Facebook

 

 

Recherche