d'Alain Guiraudie (France 2024)
avec Félix Kysyl (Jérémie)• Catherine Frot (Martine) • Jean Baptiste Durand (Vincent) • Jacques Develay (L’abbé )• David Ayala (Walter)
Présenté au festival de Cannes 2024 Section Cannes Première
Présenté hier soir à l'Omnia en présence de l'acteur Félix Kysyl
Argument: Jérémie revient à St Martial pour l'enterrement de son ancien patron. Il s'installe quelques jours chez Martine, sa veuve. Mais entre une disparition mystérieuse et un abbé aux intentions étranges, son séjour au village prend une tournure inattendue
Miséricorde -du latin miseria, misère et cor, le cœur, signifie étymologiquement Un cœur ouvert à la misère de l’homme. Empathie compréhension de l’autre au-delà de toute morale, c’est ce que le curé proclame (le Verbe) c’est aussi ce qu’il accomplira (le Geste) contre toute attente, contre tout préjugé, usant au besoin de « pieux » mensonges. Oui tout le film sous-tend (ou tend vers) cette notion quand bien même rien n’est dit explicitement, avec un mélange de comédie et de tragédie, de réalisme et de cauchemar. Un film où l’on rit de bon cœur (inversion des rôles au confessionnal, pénis en érection, ruptures de rythme inattendues, propos saugrenus, incongrus, dialogues décalés- mais aussi parodie du polar (à partir du moment où un duo de gendarmes -archétypal ?-, est censé mener l’enquête). Miséricorde ? Une comédie certes MAIS aux ressorts essentiellement …dramatiques
Alors que défile le générique, nous avons pris place dans l’habitacle d’une voiture, nous empruntons cette route en lacets, jusqu’à un village « mort » en apparence ; habitacle de la pensée?, cheminement sinueux vers un passé tortueux ? Questions qui affleurent et resteront sans réponse -comme d’ailleurs toutes celles qui parsèment le récit…le mystère étant devenu l’auxiliaire de la « miséricorde »
Mais la circulation des regards- empreints de désir- et ce, dès les premières scènes met en évidence et de façon paradoxale le « refoulé » (quand Martine la veuve demande à Jérémie « tu veux le voir », un gros plan sur le visage du mort aura été précédé par un reflet dans la glace de l’armoire, par le regard embué de larmes de l’ex apprenti et par l’aveu « j’étais très lié à lui »… ; quand Vincent (le fils unique de Martine) pose des questions à Jérémie sur son intimité, ce sont les non-dits qui sont les plus éloquents captés par le regard inquisiteur, jaloux ( ?) ou légèrement concupiscent ( ?) …. Regards qui se projettent, ou se prolongent (c’est selon !) dans une bagarre, -corps à corps qui ne dit pas son nom- , une volonté d’en finir (avec la part « sombre » de soi ?), une main qui se pose sur un torse (celui de Walter qui fut l'ami de Jérémie et de Vincent) -autant pour le renverser que pour l’étreindre- une forme de jalousie (in)compréhensible ?? regards ambigus de Jérémie (apôtre du mal sous couvert de bonhomie ( ?) lui le désirant désiré désirable, salué par le curé -à son retour après tant et tant d'années, comme l’enfant prodigue de la parabole évangélique…
Et ces allées et venues entre ruelles portes -aux heurts répétés peut répondre la menace d’une chevrotine-, et forêt complice -en ses fruits défendus, ses champignons prétextes à.., semblent répondre en écho aux allers et retours entre passé enfoui et présent …Passé dont la seule trace visible et lisible serait cet album photos que Jérémie se plaît à feuilleter (et le commentaire de Martine "comme il (Walter) était beau " peut laisser pantois ! .. Ce film à l’évidente circularité narrative où s’impose la mort -à la séquence inaugurale de l’enterrement répondra in fine celle du cimetière – est surtout un film crépusculaire (sens propre et figuré) ; ce qu’accentue le choix de la saison automnale dont la cheffe opératrice Claire Malthon a prodigieusement restitué la lumière diffractée dans (et par) les dominantes rouges mordorées et qu’une bande-son accompagne de leur crissement les pas hésitants ou accélérés du faux promeneur , lui-même comme emprisonné par la vastitude de cette sylve qui le « regarde » --surplombs, plans larges, plans serrés qui enferment…
Un film servi par de talentueux acteurs (mention spéciale à Félix Kysyl qui incarne avec brio l’ambigüité du personnage principal et à Jacques Develay qui dispense de bout en bout les charmes (sens premier) de la Miséricorde…)
Un film à ne pas rater
Colette Lallement-Duchoze