De Mohammad Rasoulof (Iran France Allemagne 2024)
avec Missagh Zareh : (Iman) Soheila Golestani (fa) : (Najmeh,) Mahsa Rostami :( Rezvan,) Setareh Maleki (: Sana,) Niousha Akhshi : (Sadaf)
festival de Cannes 2024 : Prix spécial Prix FIPRESCI Prix du jury œcuménique Prix de l'AFCAE Prix François-Chalais
Festival du film de Sydney 2024 : meilleur long métrage international5
Argument: Iman, un avocat honnête a récemment été nommé enquêteur au tribunal révolutionnaire de Téhéran. Il découvre qu'on attend de lui qu'il approuve des condamnations à mort sans évaluer les preuves. On lui ordonne également de cacher des informations à ses amis et à sa famille...Il va tomber dans la paranoïa le jour où son arme de service disparaît au sein du foyer familial...
La violence (pour ne pas dire l’horreur) totalitaire restituée sur les petits écrans de portables -avec de poignantes images d’archives lors des manifestations « femme, vie, liberté » après la mort de l’étudiante Masha Amini, ou vécue au quotidien à l’intérieur d’un microcosme familial et restituée sur le mode fictionnel sur le grand écran, telle est la force subversive de ce film qui a reçu à Cannes le prix spécial du jury. Car par une construction et une progression subtiles le cinéaste mêle habilement implosion du pays, du régime, de la famille et des convictions. Il en démonte les rouages, cerne au plus près les étapes, celles qui mèneront à la folie destructrice (Iman est promu juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran, et incarne le patriarcat dans le huis clos familial) ou à une prise de conscience (la mère, d’abord garante de l’ordre, tiraillée entre deux forces antagonistes, la soumission au mari et son amour maternel, revendiquera des initiatives personnelles) ou à la vengeance (Sana l’arme et le rôle des hautparleurs) dans une perspective qui renoue avec la mythologie (cf les dernières scènes de la seconde partie dans cette cité oubliée terreuse et labyrinthique à la force suggestive explosive)
Une main signe un pacte "diabolique" -ouverture du film-, une main émergera des décombres se confondant avec leur flou ocre terreux -fin de la seconde partie- des mains de manifestants brandies tels les étendards de la liberté, le film est ainsi traversé, balisé par ces indices à la puissance suggestive insoupçonnée dans l’acceptation ou le refus du pouvoir des mollahs. Il en va de même de ces forces antagonistes générationnelles (télévision vs réseaux sociaux) de cette récurrence des scènes d’interrogatoires (celui pratiqué sur les trois femmes par un « expert » dans l’art d’« extorquer » des aveux, celui pratiqué par le père dans le huis clos de la maison familiale il filme son épouse et ses filles- prétendues coupables d’avoir « volé » et caché son arme- tout en éructant des propos injurieux) et à chaque fois se profile (invisible mais suggérée) une des manipulations du régime (interrogatoires musclés après arrestations, tortures et condamnations). L’arme de service dont la disparition signifie déchéance pour Iman est devenue prétexte au « rétablissement du principe d’autorité » mis à mal par la révolte de ses filles (qui ont choisi ouvertement le camp de l’opposition…) Quant à l’enfermement il est montré ou suggéré par le confinement imposé aux deux filles, par ces couloirs de l’administration, par ces plans récurrents sur les portes, les embrasures, les fenêtres d’où l’on écartera le voilage alors que l’on se couvre d’un voile..
Certes il y a quelques "longueurs" (épisode de la traque, séquence où la mère extrait délicatement, comme en temps réel, toutes les " balles" de chevrotine, du visage ensanglanté et éborgné, celui de l’amie de sa fille Rezvan…même si cette scène a la portée symbolique du supplicié !)
Mais ce ne sont là que de légers bémols qui ne sauraient ternir la force de ce film où la tension ne faiblit pas et où les individus sont littéralement broyés (émergence d’un sursaut final ?)
Est-il besoin de rappeler que le cinéaste a été condamné à l’exil (après avoir connu la prison le fouet etc..) que trois des actrices sont en exil elles aussi en Allemagne, et que le film tourné dans la clandestinité porte de ce fait, tels des stigmates, les blessures de ces douloureuses et tragiques destinées…
Un film à ne pas rater !
Colette Lallement-Duchoze