de Shujun Wei (Chine 2023)
avec Yilong Zhu, Zeng Melhuizi, Tiantai Hou, Tong Lin Kai
Prix du jury Festival de Cannes 2024 (ex aequo avec Borgo)
Synopsis: En Chine, dans les années 1990, trois meurtres sont commis dans la petite ville de Banpo. Ma Zhe, le chef de la police criminelle, est chargé d'élucider l'affaire. Un sac à main abandonné au bord de la rivière et des témoignages de passants désignent plusieurs suspects. Alors que l’affaire piétine, l’inspecteur Ma est confronté à la noirceur de l’âme humaine et s'enfonce dans le doute...
Une atmosphère trouble et aqueuse de bout en bout, une pellicule 16mm, telle serait la spécificité de ce film adapté d’une nouvelle de Yu Hua. Bien sûr il s’agit d’un « polar » (enquête recherche du coupable, l’auteur présumé de meurtres commis dans une petite ville chinoise et le « fou » serait le coupable idéal) mais cette intrigue est rapidement évincée par l’exploration d’autres tréfonds -quelle est cette folie qui habite chacun d’entre nous ? Ma Zhe, policier d’élite -qui est de tous les plans- est lui-même tiraillé entre les exigences professionnelles (on le somme de « boucler » au plus vite pour le prestige !) et celles de sa vie privée (sa femme est enceinte, mais l’analyse de sang place le couple face à un dilemme "garder ou non l’enfant qui risque d'être anormal" ) Nous pénétrons sa psyché, partageons ses doutes et ses tourments et ce voyage intérieur est bien l’essentiel de ce film primé à Cannes
Une salle de cinéma aménagée, -nouveau local de la police-, une scène d’ouverture (gamin déguisé en policier armé pourchassant des enfants dans de sombres ruelles, dédales d’un immeuble délabré, ouvrant des portes avec fracas avant un « éblouissement » inattendu sur le ….vide ) autant de signes (ou signaux) avant-coureurs, censés alerter le public: il va assister au spectacle de la comédie humaine…dans un Etat qui, en pleine mutation, privilégie les enquêtes policières à l’ouverture par la culture ou l’art !
Quand une sonate au clair de lune -en décalage avec les images- le transportera vers un autre univers (l’onirisme) que la musique incessante de la pluie qui ruisselle le cloue dans des cloaques ou que la traque du fou (adopté par la vieille, première victime d’un criminel jamais appréhendé) le contraint à sinuer dans les méandres de l’enquête, oui le spectateur est constamment pris à partie dans un parcours dédaléen dont se moque le supérieur plus préoccupé par le ping-pong ….(mais ne serait-ce pas encore une métaphore ? ) et qui n’a de cesse de mettre fin à l’enquête (lui-même dépendant de diktats supérieurs…)
Un film exigeant (et dans la construction, une apparente absence de logique, et dans les critiques du pouvoir, nous sommes dans une période de transition, entre sous-développement et modernité, transition douloureuse pour les …plus démunis !)
Nouvelle interrogation sur la "quiddité" du cinéma ?
Un film à la beauté âpre - que je vous recommande
Colette Lallement-Duchoze