de Rithy Panh (France / Cambodge 2023)
avec Grégoire Colin, Irène Jacob, Cyril Gueï
Inspiré du livre de la journaliste américaine Elizabeth Becker, Les larmes du Cambodge : l'histoire d'un auto-génocide (When the War Was Over: Cambodia and the Khmer Rouge Revolution).
Présenté à Cannes Première au Festival 2024
1978. Depuis trois ans, le Cambodge, devenu Kampuchéa démocratique, est sous le joug de Pol Pot et des Khmers rouges. Le pays est économiquement exsangue, et près de deux millions de Cambodgiens ont péri dans un génocide encore tu. Trois Français ont accepté l’invitation du régime et espèrent obtenir un entretien exclusif avec Pol Pot : une journaliste familière du pays, un reporter photographe et un intellectuel sympathisant de l’idéologie révolutionnaire. Mais la réalité qu’ils perçoivent sous la propagande et le traitement qu’on leur réserve va peu à peu faire basculer les certitudes de chacun
Le sujet de mon film, c'est la manipulation, l'idéologie, le langage et quel est le rôle de chacun là-dedans
Dès la première séquence le spectateur est invité à se familiariser avec les choix de Ruthy Panh : enchevêtrement d’images d’archives (vue aérienne sur le Cambodge des années 1978) et fiction (reconstitution à travers trois journalistes) ; à cela va s’ajouter le recours aux figurines, devenues effigies (cf l’image manquante) celles des trois journalistes -écho qui démultiplie leur démarche- celles de tout un peuple déporté victime des travaux forcés, celles des khmers rouges, avec un jeu sur les « échelles » des mondes représentés (l’univers miniaturisé se superpose au monde « reconstitué » quand il ne se confond pas avec lui !)
On pourra être "gêné" par la multiplicité des " approches" (formelles) dans la dénonciation du génocide, par l’aspect "machinal" (on a parfois la fâcheuse impression que les trois acteurs, censés incarner trois manières de se positionner face à l’innommable, récitent "machinalement" il en va de même pour les "sbires" alliés de Pol Pot -, mais ...peut-être est-ce délibéré …)
En fait, tout cela n’est-il pas au service d’une mécanique diabolique dont Rithy Panh démonte les rouages : manipulation (discours) et violence (répression) ?
Le film obéit en outre à une dynamique interne qui va de l’attente anxiogène (au tout début le vide du tarmac puis la bande son très métallique lors de " visites programmées" ) aux « révélations » (celles du photographe qui enfreignant les consignes drastiques, va au-devant de l’horreur entendons, il veut voir derrière les "apparences"), tout cela scandé par la récurrence de l’orage (dont le symbolisme du bruitage et de la forme est évident …)
Raviver la mémoire (on se souvient de S21 la machine de mort khmère rouge ) raviver les mémoires (l’image manquante) certes et plus encore dans ce film. En s’inspirant du livre enquête d’Elisabeth Becker Les larmes du Cambodge : l’histoire d’un auto-génocide, et du personnage de Malcolm Caldwell, professeur marxiste et activiste – le réalisateur franco cambodgien met en garde contre l’aveuglement obstiné face aux contradictions entre utopie et réalité…. (dont le grotesque éclate dans l’épisode d’identification d’un éléphant " factice"…)
Pol Pot ? – l’acteur qui incarne "le camarade n°1" est vu de dos ou sera flouté, tel le fantôme de l’Extermination – parallèlement, des artistes sculpteurs peintres s’ingénient à en restituer un portrait flatteur..
Et lors de l’entrevue (précédée d'ailleurs par les différents rendez-vous avec l'Histoire ) Alain Carillou (Grégoire Colin) "l'ami" , osera un questionnement !!! …la suite est sans appel (ne pas spoiler !);
Je trouve qu'aujourd’hui, la guerre de la communication sur les réseaux sociaux pose exactement les mêmes questions. Qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui n’est pas vrai dans tout ce que l'on voit, dans tout ce qu'on nous raconte ?" (Rithy Panh)
A voir assurément !
Colette Lallement-Duchoze