de Yasmine Benkiran (Maroc 2022)
avec Nisrin Erradi, Nisrine Benchara, Rayhan Gusran
Photographie Pierre Aïm
79ème Mostra de Venise 2022 (37ème semaine internationale de la critique, film de clôture)
Casablanca, Maroc. Zineb s’évade de prison pour sauver sa fille de la garde de l’État. Mais les choses se compliquent rapidement lorsqu’elle prend en otage la conductrice d’un camion, Asma. La police aux trousses, les trois femmes se lancent dans une cavale dangereuse à travers l’Atlas, ses roches rouges et ses déserts brûlants…
Ces filles ont un certain style
Oui Zineb l’évadée -elle a voulu sauver sa fille Inès du carcan des services sociaux- et la conductrice Asma prise en otage, ces fugitives, ces « reines » ont quelque chose de singulier, dans leur inventivité, leurs pulsions de Vie, leur audace, qui irrigue de façon assez novatrice les « codes » de la course poursuite.et va même jusqu’à les faire voler en éclats La réalisatrice signe, en outre, un plaidoyer en faveur de l’émancipation de la femme dans une société encore dominée par les valeurs patriarcales voire virilistes (ce dont témoignent à la fois le « mari » d’Asma et la commissaire Batoul (Jalila Talemsi), guindée dans son uniforme, rigide à l’excès pour mener à bien sa tâche…)
Car la thématique majeure est bien celle de l’enfermement (carcéral social ou politique) et les trois « fugitives » incarnent chacune, à sa manière, une façon de s’en affranchir : même la « captivité » d’Asma/otage résonne comme une « délivrance »… Certes les deux femmes en cavale (interprétées de façon magistrale par Nisrin Erradi et Nisrine Benchara) sont « dissemblables » ( Zineb est armée, elle peut tuer, c’est une « hors la loi »…) , mais elles partagent le même désir d’émancipation (clin d’œil à Thelma et Louise ?). Quant à la gamine, interprétée par Rayhan Guaran, une pré-adolescente éduquée pour être « lionne » elle n’a de cesse de retrouver les pierres bleues de l’univers des djinns, évasion par l’imaginaire ?
Un trio ou la fusion mythe et réalité ? L’errance des deux femmes ne s’en vient-elle pas rejoindre (symboliquement) celle d’Aïcha Kandisha (cette femme sorcière, dont la vie est consignée dans le cahier d’Inès, un cahier viatique ! un cahier où chaque page serait ouverture sur d’autres « possibles » ?)
Et le spectateur est embarqué pendant quatre jours à bord de ce camion (qui transporte des paraboles…tout un programme) dans l’Atlas marocain, à la beauté sidérante.
Les couleurs ocre rosé orangé ou rouge vif (avec de brusques passages de l’ombre à la lumière) les effets de clair/obscur lors de pauses vespérales ou nocturnes, le mutisme de la conductrice qui contraste avec la fougue de la mère arnaqueuse et les exigences de la gamine, le déploiement des forces engagées à leurs trousses, les imprévus souvent rocambolesques ! le rythme, les revirements dans les relations féminines, la foi en l’imaginaire, tout concourt à faire de ce premier long métrage, road movie revisité par Yasmine Benkiran, un chant de la désobéissance -et peu importe s’il n’est pas toujours convaincant !
Colette Lallement-Duchoze