De Carmen Jaquier (Suisse 2022)
avec Lilith Grasmug , (Elisabeth) Benjamin Python (Émile) Noah Watzlawick (Pierrot) Mermoz Melchior (Joseph)
Présenté en compétition au Festival Chefs Op' en Lumières 2024 de Chalon sur Saône.
Festival Cannes 2023 Women in Motion Prix Talent Émergent
Prix de la mise en scène festival de Marrakech
Été 1900, au cœur d'une vallée du sud de la Suisse. Elisabeth, 17 ans, est sur le point de prononcer ses vœux après 5 ans passés au couvent. La mort soudaine de sa sœur l'oblige à retourner dans la ferme familiale pour assumer son nouveau rôle d'aînée. Elisabeth se retrouve vite asphyxiée par cette vie de labeur et obsédée par les mystères qui entourent la disparition de sa sœur. Elle va alors chercher à s'affranchir de son statut et de ses nouveaux engagements...
Ma vulve est un paysage nocturne, dévorant. Je veux me faire soulever pour oublier le monde
C’est par la lecture du journal intime de la sœur aînée Innocente que la jeune Elisabeth va découvrir les fulgurances de l’amour ; amour charnel qu’elle assimile très vite à une vision mystique panthéiste ; le corps sera comme irradié dans une nature où les brûlures du soleil diaprent en la fendillant la somptueuse majesté des montagnes ou telles des morsures s’attaquent aux corps des quatre adolescents dont la chair palpite de frénésie d’ivresse celles du désir (la chair meurtrie par l’ortie… cloques blanchâtres sur la peau rougissante, mais une chair brûlante comme foudroyée !!!)
Un texte grimoire -on pense à Cœur cousu de Caroline Martinez- Le très gros plan sur les lèvres d’Elisabeth en train de lire des passages met d’emblée en exergue sororité, sensorialité et sensualité ; texte-confession -fragments du discours amoureux> ?-d’abord murmures des tremblés d’une vie, les mots vont s’incarner dans une fougue, ennemie des préceptes (voire des objurgations) catholiques lesquels sont personnifiés tant par la famille que par les officiants ou représentants de la religion.
Au plan du début , quand après avoir refusé de quitter le couvent, Elisabeth s’accroche aux meubles avant d’être portée sur un brancard, prisonnière, fera écho celui où son corps sera attaché par des cordes…
Dans le couvent, moribonde sur une civière (une mort symbolique …) , elle accrochait malgré elle son regard à la voûte de l’église ; elle sera désormais celle par qui le scandale arrive perpétuant le passé de sa sœur « innocente » (étymologiquement « qui ne nuit pas ») Et de fait, dès son arrivée elle fait fuir ses sœurs cadettes tant elle incarne à la fois la vierge (habit blanc de religieuse) et le diable….Dualité au cœur de l’intrigue précisément, dualité dichotomie de deux forces antagonistes (qu’Elisabeth cherche à transcender en les faisant fusionner dans une confondante unité !!!)
Certes on ne peut qu’être sensible à la beauté formelle (d’ailleurs dès le prologue se succédaient des photographies et des reproductions de tableaux fin XIX°, comme l’authentique écrin (ou prémisses ?) de ce qui allait advenir -surgissant dans le cadre et dans l’intrigue. Voyez ces couchers de soleil flamboyants -en harmonie avec l’incandescence des personnages, contemplez la majesté de ces montagnes du Binntal et alpages suisses qu’un vent léger caresse du même frémissement que la chair qui palpite (nudité des corps restitués en leurs fragments : vision furtive du sexe, mais gros plans sur les mains qui se cherchent, sur le sein, sur le grain d’une peau offerte en oblation)
Le combat pour la survie, cette urgence à (re)trouver une humanité profonde -dont l’éducation rigide a privé les quatre protagonistes -, aurait dû être poignant déchirant Mais… le bouleversement de tous les sens que renforce d’ailleurs la musique sur dimensionnée de Nicolas Rabaeus, n’aura pas (hélas !) la force convaincante capable d’emporter le spectateur. En cause moins le jeu de l’actrice Lilith Grasmug (son interprétation tout en nuances est magistrale) que cette esthétisation proche de l’afféterie, (les clairs obscurs des intérieurs, les paysages inondés de lumière, la fragmentation de la chair en lambeaux dévoreurs et dévorants et leurs plans redondants, les contre-plongées et le symbolisme de la tension terre vs ciel) une préciosité formelle qui accentue(rait) la contemplation au détriment du propos . Et la comparaison avec Pasolini -personnages et esthétique -, ne saurait plaider en faveur de la réalisatrice Carmen Jaquier ….
Colette Lallement-Duchoze