Documentaire réalisé par Asmae El Moudir (Maroc 2023)
avec Asmae El Moudir Elle-même Mohamed El Moudir Lui-même Zahra Jedat Elle-même Said Masrour Lui-même Ouarda Zorkani Elle-même Abdallah Ez Zouid Lui-même
Présenté au festival de Cannes 2023 • Œil d'or - Ex æquo & Prix de la mise en scène - Un Certain Regard
Casablanca. La jeune cinéaste Asmae El Moudir cherche à démêler les mensonges qui se transmettent dans sa famille. Grâce à une maquette du quartier de son enfance et à des figurines de chacun de ses proches, elle rejoue sa propre histoire. C’est alors que les blessures de tout un peuple émergent et que l’Histoire oubliée du Maroc se révèle...
Comment rendre compte d’un événement sans image ? Sans commentaire ? (Quand l’Etat a imposé une loi du silence, qu’il a fait disparaître les corps, et toute la documentation, suite aux émeutes de juin 1981 )
Comment au sein de sa propre famille, faire advenir la parole, afin de sauvegarder une mémoire déjà brinquebalante, comment l’extraire hors de ces strates qui risquent d’enfouir à jamais tout un pan de l’existence ?
La jeune cinéaste opte pour une solution originale : le recours à des figurines à l’effigie de tous les membres de sa famille et du voisinage (nous assistons à leur confection, leur manipulation) et au jeu constant sur les échelles (maisons de poupée miniatures où le doigt la main de l’adulte apparaissent dans leur gigantisme ou au contraire les mêmes agrandies par des effets de zoom et la confrontation en miroir où le personnage réel semble se confondre avec son effigie). Un tel dispositif va lui permettre de réparer l’injonction d’oubli (celle formulée par Zahra, et par l’Etat) Or la scène d’ouverture semblait contrecarrer un tel projet : que de difficultés à appareiller la grand-mère ! Elle qui avait banni de ses murs toute intrusion de photos -hormis celle du roi- refuse de répondre à certaines questions, Déni et dénigrement. Matriarche despote ? la suite du film/documentaire nuancera cette impression par la révélation d'un douloureux secret !!!
Toute la famille participe : de la maquette du quartier à la création de figurines, de la peinture de volets miniature à la confection de costumes, alors que le spectateur entend tel un susurrement la voix off de la cinéaste. Couleurs, bande sonore (bruits et musique) lumières, zooms, contreplongées surprenantes tout concourt à ce mouvement de va-et-vient constant entre deux univers (le milieu reconstruit et celui du présent) auquel se superpose l’alternance entre le « matériau documentaire » et la « fictionnalisation des souvenirs »
En recourant à l’argile, au tissu, au carton, en "interrogeant" ces figurines elle parvient à marier habilement la "petite histoire" (celle d’une famille, celle d’un quartier :la Medina quand bien même la parole a parfois le parfum du mensonge…) à la " grande" (quand bien même cette dernière fut délibérément réécrite) et de ce fait restitue avant tout la "parole manquante" (les réponses balbutiées ou plus substantielles vont révéler des secrets ….)
Certes on pourra déplorer que le prisme choisi (psychologique) son objectif sinon avoué du moins implicite : une forme de thérapie, excluent de facto une approche plus politique (quant à ces événements tragiques de 1981)
Mais on sera séduit par l’inventivité narrative - un passé revisité, un passé exhumé dans ce "nouveau" théâtre de la vie -; par la place accordée à la parole de la femme, par des révélations bouleversantes (même Zahra la mère-grand si acariâtre, murée dans une douleur indicible, ne pourra plus étouffer ses sanglots ….désespérés !)
Colette Lallement-Duchoze